Bourdieu

Pierre Bourdieu (1930-2002) est un auteur incontournable de la sociologie contemporaine. Une idée fondamentale sous-tend son approche des phénomènes sociaux. Il faut examiner en profondeur les systèmes de relations entre classes, groupes ou individus. A cette analyse structurale, le sociologue adjoint la nécessité de questionner les stratégies. Les agents sociaux doivent, en effet, faire face à des situations qui se renouvellent en permanence.

Sur le site secession.fr vous trouverez une série d’articles qui vous permettrons de vous familiariser avec les concepts et les analyses développés par Pierre Bourdieu.

L’Habitus, concept réactivé par P. Bourdieu

P. Bourdieu a réactivé le concept d’habitus. Il s’en sert pour rendre compte de l’articulation entre les pratiques des agents sociaux et les structures sociales objectives (♠ lire l’article sur l’habitus)

Les Dispositions et la Socialisation

Les habitus sont des systèmes cohérents de dispositions. Les dispositions sont des manières de faire, de penser, de sentir, d’évaluer. Les agents sociaux les intériorisent tout au long de leur vie, aux différentes étapes de leur socialisation. (♣ lire l’article sur la socialisation)

L’Illusio, le sens du jeu social

L’illusio est une forme d’habitus. Il engage les agents sociaux à jouer le jeu du champ social au sein duquel ils évoluent et à ne pas le remettre en question. (♥ lire l’article sur l’illusio).

Le Principe d’Orthodoxie

La domination du champ du pouvoir ou de l’État confère un avantage. Celui de définir le sens du monde social. Ce consensus, c’est le principe d’orthodoxie (♦ lire l’article sur le principe d’orthodoxie).

Euphémisation de la Domination

Une manière de mieux imposée une domination consiste à la rendre invisible. L’euphémisation consiste dans le processus par lequel la domination avance masquée (♠ lire l’article sur l’euphémisation)

Le Capital Symbolique

C’est en reprenant l’analyse de Marcel Mauss sur le don et le contre-don que P. Bourdieu élabore la notion de capital symbolique. Le capital symbolique peut être n’importe quel type de propriété (matérielle ou morale) qui, lorsqu’elle est reconnue socialement comme telle, confère à son propriétaire le pouvoir de se faire obéir (♣ lire l’article sur le capital symbolique)

Les Rites d’Institution

Les rites d’institution sont des pratiques qui ont pour objectif d’inscrire la loi sociale dans les corps des individus (♥ lire l’article sur les rites d’institution)

Le Langage Officiel et le Langage Ordinaire

Qu’est-ce que les discriminations sur la base du langage révèlent de notre société? Pourquoi et comment la langue officielle est-elle fétichisée? (♦ lire l’article sur le fétichisme du langage)

L’Immigration et L’État

L’immigration est une porte d’entrée particulièrement bien choisie pour initier une étude sociologique de L’État  (♠ lire l’article sur l’immigration et L’État)

La Magie Sociale

Comment fonctionne cette « magie sociale » qui transforme un imposteur (personne qui tente de se faire reconnaître par les autres) illégitime, en imposteur légitime dont l’autorité est reconnue par tous? (♣ lire l’article sur la magie sociale).

Le Capital Symbolique dans les Sociétés Pastorales

Pour être un peu comprises, les pratiques d’élevage des communautés traditionnelles d’éleveurs-pasteurs d’Afrique du Nord doivent être analysées à la lumière du concept de capital symbolique. (♥ lire l’article sur le capital symbolique et les sociétés pastorales)

Néoconservatisme et néolibéralisme

Néoconservatisme et néolibéralisme

Dans un article précédent, nous avons vu que la « révolution conservatrice » néolibérale est motivée par une intention paradoxale de subversion, orientée vers la restauration des formes archaïques du capitalisme. Pierre Dardot et Claude Laval essaient de rendre compte de l’articulation de ce projet néolibéral avec le néoconservatisme.

La réalité ambiguë de l’État

Dans les pays concernés par les politiques néolibérales, la résistance est d’autant plus forte que la tradition étatique est plus profondément ancrée. En France, l’État s’est constitué tôt, par concentration des forces physique et économique. L’accumulation de ces deux formes de capital va de pair car pour faire la guerre et pour faire la police, il faut de l’argent. Et pour prélever de l’argent, des impôts, il faut des forces de coercition.

Ses forces physiques et économiques, l’État a su les convertir en capital symbolique, c’est-à-dire en autorité. Petit à petit, il s’est constitué comme une institution dominante, capable d’imposer sa volonté aux autres agents ou organisations sociales.

Une fois consolidé, l’État se présente comme une réalité ambiguë. Il est au service des dominants, mais il n’est pas que cela. Il est aussi un lieu de conflits, notamment au sein de son appareil. A titre d’exemple, le Ministère du Travail a pu, selon les circonstances, être au service de la réforme ou de la répression des travailleurs. C’est en tant que ministre du travail que le militant Ambroise Croizat peut mettre en place le régime général de la sécurité sociale en 1946. Quelques décennies plus tard, c’est le même ministère qui démantèle le Code du travail…

Cette nature ambiguë de l’État se retrouve aussi dans les subjectivités. L’État, en effet, existe dans la tête des gens de deux manières. Il y existe comme reconnaissance d’une autorité ultime. Mais, il y est aussi présent comme croyance en des droits individuels. Si les agents sociaux peuvent se dire « c’est mon droit », à propos des libertés d’expression et de circulation ou à propos de certaines formes de protection et d’assistance, c’est parce qu’ils croient que l’État leur garantit ces droits.

Retour des valeurs identitaires

En menant leur révolution conservatrice, les néolibéraux doivent faire face à une contradiction majeure. A travers leurs politiques, ils s’engagent dans un abandon progressif des fonctions que Pierre Bourdieu appelle « fonctions de la main gauche de l’État » : assistance sociale, santé, éducation, protection des travailleurs et des consommateurs… Ce faisant, les néolibéraux dépossèdent l’État de ce qui inspirait le respect des gens qui pensaient trouver en lui la garantie de leurs droits. Par ce délestage, l’État perd de son capital symbolique, ce pouvoir invisible qui fait que les sujets sont spontanément enclins à se soumettre à son autorité.

Le néoconservatisme intervient à ce stade comme un mouvement qui tente de réactiver l’obéissance habituelle à l’égard de l’État. Cette restauration, il projette de l’opérer à travers la restauration de valeurs traditionnelles et l’usage de la force. Le néoconservatisme n’est donc pas un refus du capitalisme, comme c’était le cas des mouvements nationalistes et conservateurs de l’entre-deux guerres.

Pierre Dardot et Claude Laval, Foucault, Bourdieu et la question néolibérale, La Découverte

Le néoconservatisme intègre l’idée néolibérale de la construction étatique du marché et l’idée de renforcement du contrôle social, par la moralisation et par la répression accrue des contestations. Les gouvernements néoconservateurs tentent de compenser la déstructuration sociale qui a été provoquée par les politiques néolibérales, en s’appuyant sur deux piliers.

Premièrement, ils mobilisent un discours raciste, identitaire et traditionaliste. A cet effet n’importe quelle idéologie présentant ces caractéristiques peut lui servir de référence ultime : nationalisme, christianisme, idéologie grand-russe, « tradition républicaine » confondue avec idéologie de l’ordre, « tradition de la laïcité » confondue avec stigmatisation d’une religion… Deuxièmement, les néoconservateurs recourent à des méthodes autoritaires, policières et répressives.

Réactivation du capital symbolique de l’État

Les politiques néoconservatrices présentent un double caractère. Elles organisent l’accélération du retour aux archaïsmes du capitalisme originel, tout en prônant simultanément le retour à des valeurs traditionnelles, qui ne s’opposent pas à ce projet. Cette coalition tient à deux raisons qui sont liées.

D’abord, le projet néolibéral ne peut avancer concrètement, s’il ne mobilise que la poignée de privilégiés qui vont en retirer des profits. Il a besoin de rassembler une fraction plus large de la population. Ne serait-ce qu’au moment des élections. Ce rassemblement, les néoconservateurs tentent de l’organiser autour des affects liés aux questions identitaires, traditionalistes, sécuritaires.

Ensuite, la révolution conservatrice néolibérale ne peut aboutir que si l’État continue de fonctionner comme une force normative et que les gens sont enclins à reconnaître son autorité. Les politiques identitaires et conservatrices ont pour objectif de rassurer les personnes qui se sentent menacées, dans un monde que le néolibéralisme a contribué à déstructurer.

C’est par cette action de réassurance que les néoconservateurs pensent restaurer le capital symbolique de l’État. Les mécanismes de l’hypocrisie du pouvoir (P. Bourdieu) fonctionnent ici à plein régime. L’exigence d’adhésion à l’ordre symbolique étatique ou républicain qui prétend défendre les intérêts de la  société forme l’envers de la destruction du lien social par les politiques néolibérales.

Gilles Sarter

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Une Révolution Conservatrice

Une Révolution Conservatrice

Le propre d’une révolution, c’est de subvertir l’ordre existant. Le propre d’une révolution conservatrice, dit Pierre Bourdieu, c’est de présenter des involutions comme des révolutions. Ainsi, le néolibéralisme se présente sous les dehors d’une révolution très « moderne », qui prétend mettre à bas les « archaïsmes » de nos sociétés. Dans les faits, il vise un rétablissement des intérêts et des idées les plus vieilles du capitalisme.

L’argument de la nécessité

L’extension des domaines du marché (notamment par la privatisation des services publics et des biens communs), la dérégulation (du travail, de la protection sociale, de la circulation du capital…) et la financiarisation de l’économie constituent des projets fondamentaux des politiques néolibérales.

La tentative de justifier ces politiques aux yeux du public passe par leur travestissement en actions à visées révolutionnaires (cf le titre éponyme d’un livre de M. Macron). Elles sont alors présentées comme des transformations réformatrices d’institutions (droit du travail, cotisation patronale, sécurité sociale…) qui constitueraient autant d’obstacles au progrès.

La justification des « réformes » néolibérales s’appuie sur l’argument de la nécessité. Cet argument repose sur un ensemble de présupposés, considérés comme allant de soi : recherche de la croissance et de la productivité maximales, accumulation matérielle et compétition comme fins ultimes des êtres humains, impossibilité de résister aux « forces économiques » (marchés, finance, globalisation…).

Parmi les postulats mis en avant, l’un des plus importants est, en effet, que les activités économiques échappent aux déterminismes sociaux auxquels sont soumises les autres activités humaines. L’économie constituerait un monde en soi et pour soi. Les lois qui la régissent ainsi que les objectifs qui y sont poursuivis devraient s’imposer à ceux qui leur préexistent, dans les autres sphères de l’activité humaine.

Les voies de la libération et du progrès

Le recours à l’argument de la nécessité permet au néolibéralisme de se présenter comme la voie du réalisme, de la raison, du progrès, voire de la science (en particulier des mathématiques et de l’économie, à partir desquelles il prétend mettre le monde social en équations).

La communication néolibérale joue aussi sur les connotations des mots, afin de composer un message de libération universaliste et progressiste : libéralisation, libération des forces vives, start-up nation, fin des archaïsmes et des privilèges, flexibilité, adaptabilité, mobilité, souplesse, dérégulation, changement, rupture, réforme, innovation, réforme, révolution…

Au jeu de la rhétorique néolibérale, les institutions réellement progressistes et émancipatrices qui ont été conquises par les mouvements ouvriers sont renvoyées dans l’archaïsme. Ce que vise la révolution conservatrice ce n’est pas la subversion de l’ordre dominant, mais la destruction de ces conquêtes réellement réformatrices.

Les réformes anti-capitalistes

La naissance du Code du travail, en 1910, impose aux capitalistes de devenir des employeurs, interdisant le marchandage et l’achat d’ouvrage. En 1946, le Régime général de la sécurité sociale généralise le principe de la cotisation, part salariale socialisée à destination des invalides, malades, retraités, chômeurs, parents au foyer… 1946 définit aussi la pension de retraite comme un salaire continué. 1950 impose le salaire à la qualification contre le salaire à la tâche. En 1958, l’Unédic pose les chômeurs comme ayant droit à un salaire…

Toutes ces réformes contreviennent aux formes canoniques du capitalisme et à leur position dominante, dans les activités économiques. Le dogme du capitalisme, c’est l’indépendance et la liberté d’investir. La valorisation du capital suppose sa mobilité et s’oppose à sa fixation en un lieu donné. C’est la fonction du trader que de changer à tout moment de lieu de valorisation du capital.

Lire aussi l’article « Le salariat, une institution anti-capitaliste« 

Aussi, l’idéal-type du capitaliste ne veut pas devenir un employeur. Il ne veut pas être lié à des gens, à des territoires. Il ne veut pas non plus être contraint par un droit du travail qui entrave son autorité dans la production. L’idéal-type du capitaliste veut acheter une force de travail, sur un marché. Le seul droit qu’il veut reconnaître, c’est le droit commercial. Et le seul travail auquel il reconnaît une valeur, c’est le travail qui fait fructifier son capital, en produisant des biens ou des services marchands.

L’intention paradoxale de la révolution conservatrice

Les grandes conquêtes ouvrières sont le résultat d’une lutte contre la forme d’exploitation capitaliste. Ce sont les institutions qui en découlent que la révolution conservatrice néolibérale veut subvertir, afin de restaurer le capitalisme dans ses formes originelles : destruction du code du travail, retour à la rémunération à la tâche (uberisation) ou à l’achat d’ouvrage (auto-entreprenariat, intérim, CDD de mission), suppression des cotisations sociales qui rémunèrent le travail non-marchand, transformation de la « retraite » de salaire continué en compte d’épargne (sous forme de « points » ou autre)…

Pierre Bourdieu, Contre-feux, Liber – Raisons d’Agir, 1998

Finalement, c’est au sens où son action est motivée par une intention paradoxale de subversion mais orientée vers la conservation d’un ordre dominant capitaliste, que Pierre Bourdieu qualifie le néolibéralisme de révolution conservatrice.

Gilles Sarter

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Économie des Pratiques et Lutte des Classements

Économie des Pratiques et Lutte des Classements

Dans la sociologie de Pierre Bourdieu, l’idée de lutte des classes est remplacée par celle de lutte des classements. Son approche théorique de la question conjugue l’analyse de la structure sociale et celle des réalités culturelles et symboliques qui la prolongent. Elle donne lieu à la formulation d’une économie des pratiques sociales.

Approche structuraliste des formes symboliques

La sociologie de Pierre Bourdieu marque sa différence avec les théories de la lutte des classes qui concentrent leur attention sur les rapports de production et qui entrevoient les formes symboliques d’expression comme purement accessoires pour la reproduction sociale.

Afin de mieux comprendre comment Pierre Bourdieu fond l’idée de lutte des classes et l’étude des formes symboliques en une seule théorie, il faut revenir à ses premières recherches ethnologiques.

Dès ses premiers travaux, portant sur les communautés villageoises kabyles, dans les années 1950-1960, le sociologue s’intéresse aux formations symboliques qui semblent orienter certaines pratiques sociales. A l’époque, il mène ses investigations sous l’influence de l’anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss.

Il interprète l’organisation de l’espace intérieur des maisons villageoises, les échanges matrimoniaux ou les récits mythiques, sur le modèle de systèmes signifiants fermés et généralement dualistes.

L’ethnologue écrit, par exemple, que l’union de la poutre maîtresse et du pilier central présente un résumé symbolique de la maison kabyle. asalas est la poutre maîtresse, symbole de la puissance virile, identifiée de manière explicite au maître de la maison, protecteur de l’honneur familial. thigejdith est le pilier fourchu et central sur lequel repose la poutre maîtresse, identifié à l’épouse. L’emboîtement des deux éléments figure l’accouplement. Il étend sa protection fécondante sur le mariage humain. Aussi, la maison est organisée selon un ensemble d’oppositions homologues: activités masculines/féminines; sec/humide; lumière/ombre; haut/bas; honneur/honte; fécondant/fécondable…

Approche fonctionnaliste des pratiques

Cependant, l’ethnologue relève des incohérences et des contradictions, entre certains systèmes de classification symbolique et la réalité de certaines pratiques individuelles ou collectives. Les rapports de parenté effectifs, les mariages contractés entre familles ou les rites tribaux marquent des écarts significatifs, avec les constructions symboliques qui sont censées en fournir les modèles opératoires.

Dans Esquisse d’une théorie de la pratique et plus tard dans Le Sens pratique, Pierre Bourdieu explique comment ces observations ont ébranlé ses convictions en la crédibilité des thèses structuralistes. Cette mise en question l’a incité à mobiliser une approche fonctionnaliste, dans ses recherches de terrain.

Dès lors, il construit une nouvelle hypothèse. Les systèmes de classification collectifs sont utilisés par les agents, mais selon des intérêts découlant des hiérarchies sociales, villageoises ou tribales.

Par exemple, P. Bourdieu observe que le mariage avec la fille de l’oncle paternel est présenté comme préférentiel, par ses interlocuteurs. Mais dans la réalité, ce type de mariage est très rare. Lorsqu’il est effectivement contracté, c’est généralement parce qu’il constitue le dernier recours permettant de sauvegarder le statut social, les intérêts symboliques ou matériels des familles contractantes.

Théorie de l’économie des pratiques

Dans la concurrence pour le statut social à laquelle se livrent les familles ou les lignages, les représentations symboliques jouent un rôle aussi important que les biens matériels ou économiques (taille du troupeau, terrains agricoles, nombre de « fusils » mobilisables…).

Les contradictions ou les incohérences que P. Bourdieu observent entre les pratiques effectives et les systèmes de classifications symboliques sont relatives à l’interprétation que les agents font de ces représentations, selon leurs intérêts personnels. Les systèmes symboliques sont utilisés dans le but d’améliorer le statut ou la position dans les hiérarchies sociales.

A cette vision utilitariste, Pierre Bourdieu donne la forme d’une « économie des pratiques ».

Il exprime ainsi l’idée que toutes pratiques sociales, même celles qui se veulent désintéressées, peuvent être traitées comme orientées vers la maximisation d’un profit symbolique ou matériel.

Métaphoriquement, il parle de capital symbolique comme on évoque un capital économique. Sous ce nom, il désigne la reconnaissance ou le prestige social qu’un individu ou un groupe peut acquérir en manœuvrant habilement, dans le cadre d’un système symbolique donné.

Habitus et logique économique

Le concept d’habitus vient compléter cette approche théorique. Il permet d’articuler les comportements effectifs des individus ou des groupes, avec le principe de recherche d’un profit matériel ou symbolique. Le sociologue postule que les calculs stratégiques qui semblent orienter les pratiques des agents ne sont pas forcément toujours conscients. Ils sont souvent déposés dans des dispositions ou des schèmes d’évaluation et d’appréciation.

Ces dispositions à agir ou à penser d’une certaine manière sont collectives et appartiennent à des groupes entiers. Un exemple d’habitus analysé en profondeur, par P. Bourdieu, dans le contexte culturel kabyle, est le sens de l’honneur.

Le concept d’habitus permet de soutenir l’idée que les agents agissent conformément à la logique économique qui prévaut au sein de leur groupe, même quand ils semblent poursuivre d’autres fins sur un plan strictement subjectif.

Par exemple, un paysan kabyle se comporte de manière généreuse et hospitalière à l’égard d’un étranger de passage. Ce paysan peut vivre son acte comme étant spontané et désintéressé. Cependant, son comportement est guidé par son sens de l’honneur. Cet habitus, dans les communautés villageoises kabyles, oriente in fine les pratiques des agents vers la maximalisation de leurs profits symboliques et matériels.

Application aux sociétés capitalistes

Sur la base de ses études ethnographiques, Pierre Bourdieu développe une économie des pratiques. Au moyen de sa nouvelle théorie, il peut rendre compte de l’intrication des formes d’expression symboliques et des rapports de domination. Cette intuition lui fournit le ressort d’enquêtes sociologiques conduites en France.

Dans les sociétés capitalistes au même titre que dans les sociétés kabyles, les individus, les familles ou les groupes socioprofessionnels se livrent à une concurrence pour les meilleures positions dans les hiérarchies sociales.

Comme en Kabylie, la possession des différentes formes de capital (symbolique, économique) détermine cette position.

La différence, entre les deux contextes sociaux, réside dans le fait qu’au sein des sociétés capitalistes la lutte pour la répartition du capital symbolique est médiatisée par des réseaux d’institutions sociales (écoles, lois, réglementations, titres, diplômes…).

Mais ces institutions peuvent à leur tour être interprétées comme des dispositifs par lesquels les classes dominantes contrôlent l’accès aux ressources symboliques et économiques.

Lutte des classements

Il faut cependant prendre garde au fait que P. Bourdieu n’utilise pas le terme de « classe » au sens de groupe mobilisé en vue d’atteindre des objectifs communs et en particulier contre une autre classe.

Le sociologue insiste sur le fait qu’il construit des classes théoriques. Ces « classes-sur-le-papier » sont délimitées en fonction du niveau de capital détenu par les agents et de la répartition entre capital économique et capital culturel.

Toutefois, il précise bien que les individus ou les familles sont plus enclins à se rapprocher des agents qui possèdent un capital de niveau et de nature similaires, plutôt que des agents dont le patrimoine est de composition trop différente.

Les agents qui sont dotés de capitaux économiques et culturels équivalents sont amenés à se rencontrer physiquement dans le cadre de leurs activités professionnelles, culturelles ou sportives mais aussi parce qu’ils habitent les mêmes quartiers et fréquentent les mêmes écoles, les mêmes lieux de villégiature…  Ils sont aussi prédisposés à s’assembler ou à se plaire mutuellement parce que leurs goûts et leurs dispositions présentent des similarités.

Pierre Bourdieu avance que les classes théoriques constituent seulement des classes probables. Elles ne peuvent advenir comme classes réelles, au sens marxiste, qu’au prix d’un travail de mobilisation et de lutte politique [il me semble que c’est aussi ce que disent K. Marx et F. Engels pour évoquer le passage d’une position de classe à la classe proprement dite].

Dans l’idée de P. Bourdieu, cette lutte proprement politique est avant-tout symbolique. Il s’agit avant-tout d’une lutte pour les classements, pour l’imposition d’une vision du monde social et des hiérarchies qui lui sont afférentes.

Gilles Sarter

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Actes d’État : Sociologie des Commissions Officielles et des Hauts-Commissariats

Actes d’État : Sociologie des Commissions Officielles et des Hauts-Commissariats

L’étude sociologique d’actes d’État, comme une commission sur le logement ou un Haut-Commissariat sur les retraites, nous éclaire sur la manière dont quelques individus porteurs d’un projet politique peuvent réussir à commander l’organisation de la société.

Actes d’État

Il est difficile de penser l’« État », en faisant abstraction de la pensée qui est produite au nom de l’« État ». Spontanément, nous appliquons à cette notion des représentations théoriques, apprises à l’école ou inculquées par le discours officiel.

Ces représentations ont une coloration fétichiste. Cette dernière donne à ce que nous appelons « État », toutes les apparences d’un sujet agissant, parlant ou pensant. A ce fétichisme est associé une vision « démocratique ». Ainsi, la société déléguerait à l’« État », le pouvoir d’organiser la vie sociale, dans le respect de l’intérêt général. Pourtant l’observation même superficielle de la « vie politique » vient heurter ces représentations.

Ce qui s’y déroule au nom de l’« État » concerne généralement des groupes d’individus, qui essaient d’imposer leur point de vue à l’ensemble de la collectivité. La tentative actuelle de modifier le système des retraites en constitue un exemple typique.

Dès lors, il est important d’essayer de comprendre comment quelques individus porteurs d’un projet politique peuvent commander l’organisation du monde social.

Commission Barre sur le Logement

Pierre Bourdieu propose d’aborder cette question en étudiant les « actes d’État ». Ces actes sont ceux qui produisent des représentations légitimes et qui rendent ces représentations efficaces, dans l’ordre social.

Par exemple, une loi sur le travail fournit les définitions légitimes du « travail », du « salaire », de la « relation employeur-employé ». Sur la base de ces représentations, elle organise le monde social du travail. Les rapports ministériels, les commissions, les missions, les délégations officielles ou encore les Haut-Commissariats constituent autant d’actes d’État.

Pour sa part, Pierre Bourdieu a étudié dans le détail le fonctionnement de la Commission Barre sur le logement. Au début des années 1970, à la demande de Valéry Giscard D’Estaing, le gouvernement veut mettre en œuvre une nouvelle politique du logement. A cet effet, des comités et des commissions sont mis en œuvre. La plus importante est la commission présidée par Raymond Barre.

Les résultats des travaux donnent lieu à la loi du 3 janvier 1977 qui affirme la réduction de l’ « aide à la pierre » (aide aux constructeurs pour la construction de logements collectifs), au profit de l’aide aux personnes (aide à l’accès à la propriété individuelle). Il en résulte un boom de la construction de pavillons en série, qui s’appuie sur le développement du crédit bancaire immobilier.

La commission Barre est donc exemplaire de ces actes qui produisent des représentations, des décisions et des règlements qui transforment l’organisation sociale.

Construction d’un Problème Public

La première étape de concrétisation d’un acte d’État concerne la construction d’un problème public. Le problème considéré peut être réel, par exemple un manque de logements, d’hôpitaux, de routes… Mais il peut aussi être créé de toutes pièces. Pour ce faire, les personnes qui gouvernent peuvent utiliser tout un ensemble de moyens techniques, statistiques, comptables ou législatifs. Ces actions sont généralement ignorées du grand public. D’une part, parce qu’on n’en fait pas la publicité. D’autre part, parce que leur technicité échappe parfois à la compréhension du grand nombre.

Henri Sterdyniak, Le déficit de la Sécurité Sociale, un mensonge D’État [Télécharger le PDF]C’est ainsi que, récemment, une grande campagne de communication a porté sur un prétendu déficit de la Sécurité Sociale. Cette communication officielle prépare le terrain à une refonte du système et notamment celui des retraites. Elle omettait volontairement de préciser que le déficit annoncé ne résultait pas d’un problème systémique mais de décisions gouvernementales. Au point qu’un économiste a qualifié cette annonce de « mensonge d’État ».

La première de ces décisions concernait l’obligation faite à la Sécurité Sociale d’anticiper des remboursements de dettes créées par la crise financière. La seconde était relative au retour (par un vote de l’Assemblée Nationale qui est passé presque inaperçu) sur l’obligation pour l’État de compenser les exonérations de cotisations sociales patronales, qu’il a lui-même accordées (Loi Veil du 25 juillet 1994). Pour 2019, les allègements généraux de cotisations patronales sont estimés à 52 milliards d’euros. En comparaison, le « déficit » annoncé pour la Sécurité Sociale n’était que de 5,3 milliards d’euros.

Un Problème pour Qui ?

D’une manière générale et même sans s’intéresser aux chiffres, on pourrait se demander pour qui la santé et les retraites constituent des « problèmes ». Et l’on pourrait aussi avancer que c’est plutôt le fait de considérer ces questions comme des « problèmes » qui pose problème.

Dans un pays, dans lequel la valeur produite augmente chaque année, la prise en charge de la santé et des retraites est uniquement une question de répartition de la richesse. Cette répartition découle d’un choix de société. A qui pose « problème », le choix de consacrer une part de cette richesse à assurer le bien être de la population ?

Moralisation du Problème

L’utilisation des médias de masse joue bien sûr un rôle de premier plan dans l’élaboration des problèmes publics. Un moyen très efficace de transformer un problème imaginaire en problème légitime consiste à effectuer des sondages d’opinions. Par exemple, après avoir communiqué intensément sur le « déficit » de la Sécurité Sociale, on demande aux gens si ce déficit les inquiète. Le constat effectif de leur inquiétude est utilisé pour alimenter l’idée de l’existence d’un problème.

Une autre approche pour gagner l’assentiment du public consiste à donner une dimension morale au « problème » considéré. C’est ainsi que l’on tente de justifier la transformation du système des retraites existant par la présence de prétendus « régimes spéciaux », qui bénéficieraient à des privilégiés. La casse de l’assurance chômage, quant à elle, a été justifiée par la stigmatisation des chômeurs qui profiteraient du système pour ne plus chercher de travail…

Constitution d’une Commission

Le « problème public » étant créé, il faut faire mine de le résoudre. Une invention importante consiste à mettre des gens ensemble, sous la forme d’une commission officielle, d’un Haut-Commissariat, d’une délégation… La création en est théâtralisée sous la forme d’une cérémonie d’inauguration ou de nomination.

Il s’agit là d’un acte typique de mobilisation des ressources symboliques attachées à l’idée d’« État ». La représentation collective selon laquelle la société a délégué à l’« État » le pouvoir d’organisation sociale est utilisée pour convaincre l’opinion publique que la commission va parler au nom de l’intérêt universel. L’État délègue, à son tour, à la commission le pouvoir que la société lui a délégué.

La magie de la commission consiste à transformer les points de vue particuliers de ses membres, en un point de vue universel, valable pour l’ensemble de la société.

Le choix des participants parmi des personnalités présentées comme expertes dans le domaine concerné permet aussi d’ajouter une consécration scientifique ou technique aux résultats des travaux du groupe.

« Aide à la pierre » ou « Aide à la personne »

Une des premières tâches d’une commission ou d’un Haut-Commissariat consiste à reprendre le « problème public » qui a été élaboré, afin d’en donner une définition légitime. Il s’agit d’une étape cruciale.

En effet, la nouvelle définition du problème a pour objectif d’orienter les travaux de la Commission, de sorte que ses préconisations finales aillent dans le sens du projet politique du gouvernement.

Bien sûr, la composition de la commission doit donner l’apparence de représenter une diversité de points de vue, y compris des points de vue contradictoires. Ainsi, la commission Barre sur le logement rassemblait des acteurs issus des différentes institutions concernées : Ministères des Finances, des Affaires Sociales, de l’Équipement, Banques, Constructeurs, Maires, représentants d’associations et de HLM…

Pierre Bourdieu observe qu’au sein de cette commission, la question qui était posée d’emblée concernait celle du meilleur choix entre « aide à la pierre » ou « aide à la personne ». Toutes les autres options politiques, envisageables pour résoudre le problème du manque de logements, étaient écartées. Les participants de la commission avaient été choisis, parmi les tenants de l’un ou l’autre système. La conduite des travaux donnait l’illusion d’un véritable débat d’experts. Sauf que le choix de R. Barre, comme président, correspondait à celui de la personne la mieux à même d’orienter le choix final vers l’ « aide à la personne ».

L’objectif non avoué de la commission était, en effet, de remettre au gouvernement un rapport conseillant (la notion de conseil est très importante) d’adopter une politique d’ « aide à la personne ». En effet, ce « conseil » participait d’une stratégie politique plus globale.

Valéry Giscard d’Estaing voulait encourager l’accès à la propriété des personnes occupant le côté gauche de l’espace social. Ces personnes sont celles qui possèdent plus de capital culturel que de capital économique (instituteurs, enseignants, petits et moyens fonctionnaires…).

L’objectif politique était de les lier à l’ordre établi, à travers le lien de la propriété.

Pierre Bourdieu souligne que c’est réaliser un changement considérable que d’associer ce côté gauche de l’espace social à l’ordre établi.

« Répartition en Points » ou… Rien

De la même façon, l’agenda des travaux du Haut-Commissariat sur les retraites incluait des consultations d’organisations syndicales, des débats et des ateliers citoyens… L’objectif affiché était d’élaborer un système de retraite universel (on verra que le terme universel est important). Mais d’entrée de jeu, seul le système par répartition en points constitue le élément central des discussions (voir les petites vidéos sur le site www.reforme-retraite.gouv.fr).

C’est donc en toute logique que les « préconisations » remises par le Haut-Commissaire au Premier Ministre (juillet 2019) sous la forme d’un rapport concernent la mise en place d’un tel système de financement.

Ces préconisations sont en adéquation avec les orientations politiques fondamentales du gouvernement : d’une part une politique budgétaire menée dans le strict respect des consignes du Pacte budgétaire de l’Union européenne ; d’autre part une politique économique orientée vers le soutien aux entreprises et à la finance.

Analyses Retraites, INSEE [Télécharger le PDF]Concrètement, le passage vers un système en points permettra au gouvernement de plafonner les dépenses consacrées aux retraites à 14 % du PIB, c’est-à-dire à leur niveau actuel, alors que la part des personnes âgées de plus de 64 ans va passer de 20 à 26 % d’ici 2040.

Par ailleurs, du fait de la diminution générale des pensions, induite entre autre par ce plafonnement, les ménages seront incités à orienter leur épargne vers des produits financiers (fonds de pension). De manière plus générale, l’organisation de ce transfert d’épargne constitue l’un des objectifs explicites de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises), promulguée le 22 mai 2019.

Intérêts Privés contre Intérêts Publics

Nous pouvons maintenant revenir à notre question initiale. Le monde social est un lieu de lutte entre des agents porteurs de points de vue différents sur la manière de l’organiser. Comment quelques individus réussissent à imposer leurs projets et à commander l’organisation de la société?

Pierre Bourdieu, Sur l’État (cours au Collège de France), Point-SeuilLes  actes d’État , comme les Hauts-Commissariats, les commissions, les délégations, les missions officielles, les projets de lois jouent un rôle important dans ce processus. Ils permettent de convaincre qu’un point de vue particulier est le bon point de vue et que sa valeur est universelle.

Mais pour ce faire, une commission ou une délégation doivent apparaître comme étant au-dessus des intérêts particuliers. Toute la société est censée s’y reconnaître. Elles doivent donc donner l’apparence du respect de l’intérêt public et de la vérité universelle, sur lesquels tout le monde s’accorde en dernière analyse.

La recherche apparente de l’intérêt collectif doit entrer en résonance avec les représentations de l’État « démocratique » ou de l’institution « républicaine », telles que les individus les ont intériorisées (et telles que nous les évoquons au début de cet article).

Pour qu’une telle adéquation ait lieu, il faut que les agents qui produisent l’acte d’État (hommes politiques, personnes mandatées, représentants officiels…) fassent des professions de foi désintéressées.

La personne officielle qui transgresse la valeur de désintéressement particulier trahit le contrat de l’officiel qui est censé être celui de l’intérêt public. C’est pourquoi la révélation d’intérêts privés provoque le scandale.

La transgression crée un désajustement entre la réalité objective des pratiques et les dispositions intériorisées par les individus, sur la nature et le rôle de l’« État ». Le transgresseur échoue donc à mobiliser ces dispositions pour faire passer son point de vue particulier pour le point de vue universel. Il doit alors user d’autres stratégies pour imposer son projet, comme par exemple recourir à la force.

© Gilles Sarter

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L’Exploitation comme Orthodoxie

L’Exploitation comme Orthodoxie

L’idée que j’avance dans cet article est que la relation sociale d’exploitation est soutenue, au sein de notre société, par ce que Pierre Bourdieu appelle un principe d’orthodoxie.

Fonctionnalismes du Meilleur et du Pire

Pierre Bourdieu renvoie dos à dos deux discours sur l’État. Dans la théorie classique, l’État est une institution au service de l’universel. Cette conception fonde le discours de la science administrative, sur le service public et le bien commun. Dans la théorie de l’État capitaliste, au contraire, celui-ci est décrit comme un appareil de contrainte et de maintien de l’ordre, au profit de la classe des exploiteurs.

D’un côté, l’État a pour fonction de gérer, en toute neutralité, les conflits particuliers, au service du bien public. De l’autre, il fonctionne toujours pour le service particulier des capitalistes, de façon plus ou moins directe et plus ou moins masquée. Bien qu’opposés dans leurs conclusions, le « fonctionnalisme du meilleur » et le « fonctionnalisme du pire » se rejoignent dans la description de l’État comme machine programmée pour atteindre des objectifs donnés.

Champ du Pouvoir

Dans une première approche, Pierre Bourdieu oppose à cette conception, une vision de l’État comme « champ social ». Parfois, il l’appelle « champ du pouvoir » ou « champ administratif » ou encore « champ de la fonction publique ». Les agents qui participent à ce champs, qui le font « vivre », sont les hommes politiques, les élus et les fonctionnaires ou employés des différentes administrations publiques et territoriales…

Ces agents entrent en compétition pour dominer le champ du pouvoir. Cette compétition s’actualise de différentes manières : joutes électorales, « intrigues de cabinet », luttes d’influence et de préséance entre les corps d’État ou les administrations…

L’accès aux positions dominantes procure l’avantage de pouvoir utiliser les ressources spécifiques du champ du pouvoir : écrire et faire appliquer des lois, donner des ordres à la police et à l’armée, décider de l’utilisation des moyens matériels et de l’argent publics…

Cependant, même lorsqu’ils dominent, les dominants doivent toujours composer, avec les résistances ou les offensives que leur opposent les autres participants. La théorie de l’État conçu comme un champ social propose donc une vision radicalement différente de celle d’un appareil programmé pour réaliser certaines fonctions.

Principe d’Orthodoxie

Parmi les avantages que confère la domination du champ du pouvoir, il en est un qui est très important. Il s’agit de la capacité de définir le principe d’orthodoxie.

Le principe d’orthodoxie, c’est ce qui fonde le consensus sur le sens qui est donné du monde social. Il organise le consentement des gens, leur adhésion à un ordre des choses.

Par exemple, la structure de la temporalité. Le calendrier républicain est envisagé comme allant de soi, avec ses fêtes civiques, sa structuration en jours de semaine et de week-end, ses vacances scolaires… Le fait d’accepter l’idée de l’heure constitue un autre consensus. C’est sur la base de l’accord sur les repères temporels que les gens organisent leur vie : heures de rendez-vous, heures des repas, heures d’embauche, de débauche, date de début et de fin de contrat…

Ce que nous appelons « État » est garant de cet ordre public qui repose à la fois sur des structures objectives (les montres, les calendriers, les agendas…) et sur des structures mentales (les gens veulent avoir des montres, ils ont l’habitude de les regarder, ils prennent des rendez-vous et ils arrivent à l’heure,…).

Relation d’Exploitation

L’idée que je veux faire valoir maintenant est qu’un certain consensus sur l’application de la relation d’exploitation constitue un principe d’orthodoxie, dans notre société. L’idée selon laquelle, il est « bien » ou souhaitable que le monde social soit organisé sur la base de l’exploitation fait rarement l’objet d’un discours explicite. Mais, l’accord opère quand même, à travers le consentement à deux principes qui caractérisent cette forme de relation.

Pour aller plus loin: vignette du livre erik olin wright et le pouvoir social Erik Olin Wright voit dans les principes d’exclusion et d’appropriation, deux traits essentiels de la relation d’exploitation. Selon le principe d’exclusion, les exploiteurs excluent les exploités de l’accès aux ressources productives. Selon le principe d’appropriation, les exploiteurs s’approprient une partie de l’effort des exploités.

Le système capitaliste repose sur le principe que seul les propriétaires des moyens de production décident de leur utilisation (sauf s’ils délèguent ce pouvoir de décision, ce qui revient au-même). Ils décident de ce qui est produit, de comment cela est produit, de la destination de ce qui est produit… C’est la mise en pratique du principe d’exclusion. Les non-propriétaires qui constituent la plus grande partie de la population n’ont pas accès aux ressources productives. Ils ne peuvent pas participer aux prises de décisions qui les concernent en tant que travailleurs, consommateurs, riverains des usines…

Les détenteurs des moyens de production décident aussi du niveau de rémunération des travailleurs. La valeur de cette rémunération est inférieure à la valeur créée par le travail de ces derniers. Les capitalistes s’approprient une part de la survaleur du travail donc une partie de l’effort déployé par les travailleurs (principe d’appropriation).

Droit de Propriété

Le consensus général sur ces deux principes d’exclusion et d’appropriation est obtenu, notamment mais pas seulement, par le consentement sur le droit de propriété. Ce consensus repose en partie sur deux confusions.

La première confusion concerne l’équivalence qui est établie entre la possession et la propriété. La plupart des gens possèdent des choses : vêtements, livres, voitures, appartements… Et ils y sont attachés. Ils ne veulent pas qu’on les leur prenne. En revanche, « propriété » signifie qu’un bien possédé par une personne est engagé dans un processus destiné à générer du profit, par appropriation de la survaleur du travail. Un individu possède des machines et les utilise lui-même. C’est la possession. Un individu possède des machines, recrute des travailleurs pour les faire fonctionner et s’approprie une part de leur effort. C’est la propriété. Suivant ce raisonnement Pierre-Joseph Proudhon dit que la propriété c’est le vol.

Droit à la possession et droit à la propriété ne sont donc pas identiques. Le consensus sur l’idée du droit à la propriété résulte de l’assimilation de la propriété à la possession.

Ce glissement de sens permet, d’abord, de regrouper dans la catégorie des « propriétaires », les possesseurs (par exemple, les possesseurs d’un logement) et les propriétaires à proprement parler (par exemple les propriétaires d’usines). Il permet, ensuite, de faire croire aux premiers qu’ils ont les mêmes intérêts que les seconds, à faire respecter le droit de propriété.

A ce titre, Pierre Bourdieu a montré comment les politiques de soutien au logement, engagées par Valéry Giscard d’Estaing dans les années 1970, étaient motivées par l’idée que l’attachement du peuple à l’ordre social existant passait par l’accession à la propriété (on devrait dire possession).

Une deuxième confusion résulte de la présentation de la propriété (possession) comme une relation entre une personne et une chose.

En réalité, la propriété est une forme de relation sociale. C’est comme nous l’avons dit la relation qui exclut tout le monde sauf le propriétaire, de la décision de l’usage de la chose.

Certains individus sont en mesure de dire au reste de la population : « Je suis le seul à décider de ce que je vais faire de ce livre, de ce champs, de cette machine, de cette usine… ».

État Capitaliste

Si ce que nous appelons « droit de propriété » représente des relations entre les gens, alors la question que nous devons poser est : qui décide de la nature des relations entre les gens ? Selon le principe de la démocratie ou de la justice politique, personne ne devrait être exclu de la prise des décisions qui concernent la collectivité et qui le concernent en tant qu’individu. Les relations sociales en rapport avec l’usage des moyens et des ressources productives concernent toutes les parties prenantes, les travailleurs et leurs familles, les usagers ou consommateurs, les riverains des lieux de production, les collectivités qui partagent le même air, la même eau… La nature de ces relations devrait donc être décidée démocratiquement.

Le principe d’orthodoxie soutient une définition de la relation de propriété qui est anti-démocratique. Il la définit comme la relation exclusive (qui exclut autrui) du propriétaire à l’objet possédé. Il s’agit d’une fiction collective, au sens où cette définition ne répond à aucune nécessité. Il pourrait en être autrement. Cependant, cette illusion est bien fondée, au niveau des structures mentales logiques et morales, mais aussi des structures objectives (lois sur la propriété, sur le travail, police, tribunaux, prisons…).

Finalement, l’expression « État capitaliste » pourrait être utilisée, non pas pour faire référence à un appareil fonctionnant au service des capitalistes, mais pour désigner une situation sociale, dans laquelle les agents qui dominent le champ du pouvoir soutiennent un principe d’orthodoxie qui remplit la fonction de conservation de la relation sociale d’exploitation.

© Gilles Sarter

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Magie Sociale : Jojo et les Imposteurs

Magie Sociale : Jojo et les Imposteurs

Certains agents sociaux peuvent tenir des discours d’autorité, d’autres non. La magie sociale, c’est l’opération collective qui (comme par magie) transforme un imposteur illégitime – quelqu’un qui tente de s’imposer à la reconnaissance des autres – en imposteur légitime dont l’autorité est reconnue par tous.

Récemment E. Macron s’est entretenu avec des journalistes. Le journal Le Point a donné un compte rendu de cet entretien. Nous y avons relevé ce passage : « [E. Macron] est convaincu (…) «qu’on est rentré dans une société du débat permanent». Grand consommateur de chaînes infos, il ironise : «Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député!» »

Énoncés informatifs et performatifs

Pierre Bourdieu, Le langage autorisé: les conditions sociales de l’efficacité du discours rituel, ARSS, novembre 1975

Les propos rapportés créent une confusion dans les idées. Ce qui est d’abord signifié, c’est qu’il y aurait, dans notre société, une tendance à vouloir débattre de tout. Mais, au sein de ce « débat permanent », toutes les voix ou tous les participants ne se vaudraient pas. Comme cette deuxième proposition est trop brutale et même carrément irrecevable, elle est exprimée sous-couvert d’une évidence qui veut dire autre chose : tous les individus n’ont pas le statut de ministre ou de député.

Essayons de comprendre où se situe la confusion. Il faut pour cela distinguer entre deux types d’énoncés.

Les énoncés informatifs ont pour fonction de transmettre des informations factuelles ou des opinions. Les énoncés performatifs ont pour fonction d’exécuter une action. On dit quelque chose et cela est.

Quand un président et un premier ministre disent : « Nous privatisons la gestion des barrages hydroélectriques français ». La parole est performative (depuis le 7 février 2018).

Quand un individu (mettons qu’il soit vêtu d’un gilet jaune) déclare : « Les barrages français génèrent un excédent brut de 2,5 milliards d’euros par an. Ils sont au cœur d’enjeux hydrauliques, énergétiques, environnementaux très importants pour la population française. Il serait donc préférable que leur gestion demeure publique ». La parole est de l’ordre de l’information et de l’opinion.

Débat et valeur de la parole

Ce qui rend une parole performative, c’est ce que E. Macron appelle le « statut » de celui qui parle. Dans le contexte de nos sociétés, les locuteurs qui se font obéir sont ceux que l’institution étatique reconnaît officiellement comme légitimes.

Policiers, juges, maires sont habilités à tenir des discours d’autorité. Sur ce plan, la parole d’un Gilet Jaune ne vaut pas celle d’un ministre.

Cependant, un débat n’est pas le lieu d’expression de paroles d’autorité. Un débat est un échange d’idées et d’opinions, dans lequel on ne s’intéresse pas au « statut » de celui qui parle mais à ce qu’il dit. C’est ainsi, nous apprend-on, que Socrate s’arrêtait dans la rue pour débattre avec des artisans, des poissonnières, des courtisanes…

Le débat suppose des interlocuteurs qui reconnaissent mutuellement leurs aptitudes à la vérité et à la raison.

Par ses propos, E. Macron tente de disqualifier l’aptitude à débattre des Gilets Jaunes. Les grandes questions économiques, sociales, politiques ce n’est pas pour eux, mais pour les représentants légitimés par L’État.

Cette réaffirmation de la confiscation de la parole des gens « ordinaires » intervient alors que ces derniers s’insurgent contre le monologue des représentants et de leurs « experts » (« Arrêtez de nous expliquer, on a compris! » lit-on sur une pancarte) et qu’ils cassent la magie sociale qui sous-tend l’autorité de ces derniers.

Magie sociale et autorité

Nous avons dit que, dans des contextes bien précis, les paroles d’un ministre ou d’un président possèdent une qualité performative. D’où leur vient cette dernière ? D’une délégation.

Le pouvoir des mots tient dans le fait que ceux qui subissent ce pouvoir reconnaissent l’autorité de celui qui parle. Et en se soumettant à cette autorité, ils oublient que c’est justement leur acte de soumission qui fonde cette dernière.

C’est à partir de l’étude du phénomène de la sorcellerie que H. Hubert et M. Mauss sont amenés à détailler ce mécanisme social. Dans les sociétés où ils existent, les sorciers sont initiés par des groupes restreints. Ces petits groupes peuvent fabriquer des sorciers parce que les communautés leurs délèguent ce pouvoir.

H. Hubert et M. Mauss, Esquisse d’une théorie générale de la magie, 1903 Les magiciens n’agissent donc pas en individus motivés par des intérêts personnels et dotés de moyens qui leurs sont propres. Au contraire, ils sont investis et engagés à croire en leur sorcellerie, par la communauté.

Les croyances des sorciers et celles des membres de la communauté ne sont pas différentes. Elles se reflètent l’une et l’autre. Le sorcier croit en l’efficacité de sa magie parce que le public y croit. Et le public y croit en raison du sérieux affiché par le magicien.

Les sorciers et tous les membres de la communauté se font accroire à eux-mêmes le pouvoir des premiers. C’est pourquoi même les actes de sorcellerie infructueux ne laissent pas de place au doute.

La magie sociale c’est ce phénomène de croyance généralisée qui génère une forme d’autorité.

Cette magie sociale opère aussi au sein de nos sociétés. Nous déléguons à des groupes restreints (partis politiques, ENA…) le pouvoir de fabriquer des représentants et des magistrats. Ces derniers, nous les investissons et nous les engageons à croire à leur autorité. Ils se font accroire entre-eux, ils nous font accroire et nous nous faisons accroire entre-nous à leur autorité.

Imposteurs illégitimes ou autorisés

Imaginons qu’un individu soit seul à prétendre qu’il est détenteur de l’autorité. S’il veut soutenir seul cette prétention, on le tiendra pour un imposteur. C’est-à-dire pour quelqu’un qui cherche à abuser les gens en leur faisant accroire qu’il possède une autorité, que personne ne lui reconnaît.

Mais s’il existe une croyance collective en l’autorité de cet individu ; si cette croyance s’impose à toute la collectivité, alors elle devient une vérité qui engendre sa propre vérification. C’est ça la magie sociale. L’autorité de l’individu repose sur le fait que tout le monde y croit.

L’imposteur légitime ne possède pas plus l’autorité que l’imposteur illégitime. On la lui prête seulement. Mais, grâce à la complicité des autres, il réussit à se faire accroire et à leur faire accroire qu’il la possède.

La magie sociale fonctionne parce que le transfert d’autorité est caché et transfiguré. Les gens oublient qu’ils l’ont déléguée à l’imposteur. L’autorité du représentant politique ou du sorcier apparaît alors comme une propriété, une qualité ou un don de sa personne.

A l’inverse, quand la magie sociale n’opère plus les délégués perdent leur capital symbolique ou leur charisme. Ils sont contraints de revendiquer l’autorité de manière explicite, parfois en recourant à la violence physique ou symbolique (qui va de la marque de mépris à l’insulte).

Pour en savoir plus sur la notion de capital symbolique

Mais en employant ces moyens, ils s’exposent à la réciprocité et contribuent à hâter l’effritement de la magie sociale. Au stade ultime quand la croyance collective est complètement effondrée, les imposteurs autorisés se transforment en imposteurs illégitimes.

© Gilles Sarter

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Pastoralisme et Capital Symbolique

Pastoralisme et Capital Symbolique

Pendant longtemps, le pastoralisme nomade d'Afrique du Nord a été abordé d'un point de vue économiste. Les observateurs en déduisaient que les éleveurs étaient affligés d'un "complexe du bétail". Leur logique aurait été en totale contradiction avec les contraintes écologiques et économiques réelles.

Un examen plus détaillé des pratiques sociales des éleveurs, à l'aune du concept de capital symbolique, a permis d'apporter sur ces dernières un éclairage nouveau.

Un préjugé ethnocentriste

Nous nous représentons souvent les sociétés humaines comme étant découpées en multiples sous-systèmes : économie, politique, enseignement, famille, religion...

Nous concevons ces sous-systèmes comme fonctionnant selon des lois qui leur sont propres. Et nous les envisageons comme interagissant plus ou moins les uns avec les autres.

Lorsque nous considérons que le sous-système économique doit exercer une domination sur les autres, nous adoptons un préjugé économiste.

En appréhendant les activités humaines de cette manière, il arrive que nous nous privions de comprendre leur véritable logique.

Vision économiste du pastoralisme

Un regard économiste a longtemps été porté sur les pratiques des pasteurs nomades d'Afrique du Nord.

Les observateurs qui adoptaient ce point de vue livraient des descriptions de troupeaux immenses (ovins et caprins). Ils reprochaient à ces derniers de dégrader des sols et une végétation déjà fragilisés par l'aridité du climat.

Une autre critique concernait la proportion trop importante d'animaux âgés. L'entretien d'animaux vieillissants était présenté comme contre-productif.

Les principes de zootechnie auxquels adhéraient ces observateurs commandaient de limiter la pression du bétail sur les parcours. Cette limitation avait pour objectif d'augmenter la ration alimentaire des animaux conservés. La production de lait ou de viande de ces derniers devait en être améliorée.

Pour optimiser la taille des troupeaux, ils recommandaient de vendre tous les jeunes mâles, à l'exception de quelques reproducteurs. La vente des brebis trop âgées pour produire des agneaux était aussi encouragée.

Une critique majeure, enfin, concernait l'usage final des animaux. Des jeunes en pleine croissance, des brebis allaitantes ou des mâles reproducteurs faisaient l'objet de dons ou de sacrifices. Au yeux des observateurs, il s'agissait d'un non-sens zootechnique. Ces bêtes étaient, en effet, les plus productives.

De manière générale, ils regrettaient que des animaux échappassent à toute valorisation marchande.

approche ethnologique du pastoralisme

De l'irrationalité supposée des éleveurs

Les auteurs de ces observations concluaient finalement à l'irrationalité des pratiques des pasteurs. En réalité, cette conclusion découlait d'une série d'à priori.

D'abord, le raisonnement tenu reposait sur l'idée que les activités d'élevage constituaient un sous-système économique.

Dans la continuité de ce prémisse, il paraissait logique pour ces observateurs que l'élevage obéisse aux lois économiques. Or ces dernières étaient propres à l'économie capitaliste : finalité marchande des productions, minimisation des coûts et maximisation des profits, optimisation des rendements...

Enfin, les comportements religieux, politiques, familiaux... étaient vus comme constituant eux aussi des sous-systèmes sociaux. Ces derniers étaient considérés comme ne devant pas entraver le développement de l'élevage.

Or, la situation dans laquelle les observateurs trouvaient les sociétés pastorales leur paraissait contredire tous ces principes. L'usage prioritaire des animaux n'était pas marchand. La conduite des animaux paraissait peu optimale.

Ils en concluaient que dans la mentalité des éleveurs le sous-système économique occupait un rôle secondaire. A l'inverse, ils croyaient que les pasteurs donnaient la priorité aux sous-systèmes familiaux, politiques ou religieux.

La tendance des éleveurs à accumuler du bétail aurait eu pour objectif l'acquisition de prestige. Leur attachement aux animaux était expliqué par leur utilisation dans les rituels accompagnant les grands événements de la vie: naissance, mariage, mort...

Consommation de viande et solidarité

Une logique différente commença à se dessiner lorsqu'on s'intéressa dans le détail aux utilisations des animaux.

Dans les sociétés pastorales, les animaux étaient rarement abattus pour le seul objectif de consommer de la viande. Il fallait au contraire des occasions spéciales : fêtes religieuses (Fête du Sacrifice,...), célébration du début d'activités agricoles saisonnières (sacrifice d'ouverture des récoltes ou des pâturages d'altitude...), commémorations annuelles des marabouts (moussem)...

Les sacrifices intervenaient aussi lors des célébrations des moments solennels de la vie: dation du nom, circoncision, mariage, réception d'hôtes... A ces occasions s'ajoutaient les mises à mort d'animaux blessés avant qu'ils n'expirent naturellement.

Toutes ces circonstances pouvaient être ramenées à un phénomène essentiel. La consommation de viande était toujours un acte collectif. Elle prenait la forme d'un repas communautaire ou du partage de la viande de l'animal égorgé.

En Kabylie, le fait de tuer un animal en cachette constituait même un délit punissable (appelé thaseglout).

Le partage de la viande avait lieu entre les membres de la communauté de vie quotidienne (village ou campement). C'était une occasion de témoigner de la solidarité qui unissait les membres du groupe.

C'est ainsi qu'un éleveur tunisien confiait à un anthropologue : "Si on ne partage pas la viande avec les voisins c'en est fini de l'entraide."

Rappelons que cette entraide jouait un rôle de premier plan. D'abord pour la protection, de la communauté et de ces biens (territoires, troupeaux...). Ensuite, pour mener à bien les tâches nécessitant une force de travail importante: récolte, construction de bâtiments, entretien des canaux d'irrigation...

Au Maroc, le partage (ouzia) qui suivait la mise à mort d'un animal blessé exigeait que les personnes conviées soient proches. En effet, l'acte instaurait un engagement de solidarité. Cette solidarité se manifestait parfois immédiatement. La perte de l'animal était alors prise en charge par les bénéficiaires du partage.

anthropologie économique du pastoralisme

Sacrifices, dons et alliances

La consommation agrégative de viande intervenait aussi pour l'établissement de liens à l'extérieur de la communauté de vie.

La spécificité de l'activité pastorale est de ne pas être définitivement cantonnée à une aire géographique bien déterminée. En premier lieu, elle nécessite des mouvements saisonniers. Au Maroc, ceux-ci s'organisaient principalement selon deux axes : sud-nord et plaine-montagne, entre l'été et l'hiver.

Les pasteurs pouvaient aussi être contraints de se déplacer, en raison d'événements naturels : sécheresses, inondations, asséchements de points d'eau... Parfois des groupes plus puissants les repoussaient hors de leurs parcours habituels.

La mobilité impliquait la gestion de relations avec les groupes des régions d'accueil ou de passage. Il y avait en permanence des intérêts à défendre, des avantages réciproques à s'accorder ou à se refuser.

Les éleveurs devaient se constituer un réseau de connaissances ou d'alliés, le plus étendu possible. Ils élargissaient ainsi au maximum leurs possibilités de circulation. Il fallait aussi nouer des alliances militaires. Parfois, des familles se séparaient de leur groupe d'origine. Elles cherchaient alors refuge dans d'autres communautés et devaient s'y faire accepter.

Les sacrifices et les dons d'animaux intervenaient pour : demander l'autorisation de traverser ou de séjourner sur les parcours ; sceller des pactes pastoraux ou militaires ; racheter le prix du sang ; demander la protection d'un groupe ; sceller les mariages qui étaient une autre manière de s'allier...

Générosité des "grandes tentes"

Les ruminants tenaient donc une position centrale dans la gestion des relations sociales. Dans ces sociétés, le sacrifice d'un animal était considéré comme la meilleure hospitalité.

Et l'hospitalité participait à la centralité de l'honneur dans les rapports sociaux. La langue arabe exprime la force de cette relation par la racine karama. Celle-ci connote tout à la fois les notions de noblesse, de générosité et d'honneur.

Pour aller plus loin, lire aussi notre article sur le concept de capital symboliqueLes démonstrations de générosité garantissaient l'obtention de ce que Pierre Bourdieu appelle "capital symbolique". La détention de ce capital caractérisait les "grandes maisons" ou les "grandes tentes". Celles auxquelles on désirait s'allier ou que l'on était disposé à aider.

Liens entre le bétail et le symbolique

En fait, bétail et capital symbolique étaient inextricablement liés. Le troupeau exerçait un effet par sa conversion en capital symbolique. Et le capital symbolique soutenait la reproduction du bétail.

M. Boukhobza, dans L'agro-pastoralisme traditionnel en Algérie (1982), explique que chez les pasteurs tout se passait comme si la richesse matérielle ne se justifiait que parce qu'elle était la récompense d'une conduite vertueuse.

Autrement dit la "grande tente" étant celle qui possède un "grand troupeau", on comprend mieux la tendance à conserver les animaux même s'ils sont âgés.

Mais il fallait aussi faire preuve de noblesse et d'honneur. C'est pourquoi les "grandes tentes" ne manquaient pas d''effectuer de grandes démonstrations de générosité : dons somptueux de nombreuses brebis avec leurs agneaux en dotes ou cadeaux de mariage ; sacrifices de jeunes animaux pour des festins collectifs...

Les éleveurs se séparaient ainsi de la meilleure part de leur troupeau. Pour les observateurs externes, ils altéraient leurs capacités de production.

En réalité, si l'on en croit Pierre Bourdieu, ces exhibitions de capital symbolique coûteuses en animaux constituaient la meilleure garantie de reproduction, voir d'élargissement du groupe.

Finalement il faut garder à l'esprit cette indifférenciation des composantes symboliques et matérielles du patrimoine. C'est ainsi seulement qu'on peut comprendre la logique qui sous-tend le pastoralisme traditionnel.

Les stratégies d'élevage (conservation des animaux âgés, surpâturage...) et les comportements politiques ou familiaux ne relevaient pas de sous-systèmes spécifiques. Au contraire, ils étaient inextricablement liés.

Découvrez nos autres articles d'ethnologie.C'est en les envisageant de la sorte que l'on peut appréhender la rationalité des conduites que l'économisme rejette dans l'absurdité.

© Gilles Sarter


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Immigration et Sociologie de l’État

Immigration et Sociologie de l’État

Un bateau qui erre en mer avec 140 êtres humains à son bord parce que les États riverains ne l'autorisent pas à accoster. Des gens enfermés dans des camps construits par l’État. Les habitants d'un village, gazés par les forces de l’État, pour avoir accordé l'hospitalité à quatre hommes et pour s'être opposés à leur expulsion. Des hommes et des femmes condamnés à des amendes et à de la prison avec sursis pour les mêmes motifs...

L'immigration, selon Abdelmalek Sayad, est sans doute l'une des meilleures introductions à la sociologie de l’État. Pourquoi ? Parce qu'elle soulève des questions qui permettent de mettre au jour les fondements et les mécanismes de fonctionnement de ce dernier.

La fonction de définition

La fonction de définition qu'exerce l’État est celle qui se présente avec un maximum d'évidence lorsqu'on aborde les questions de migration. L’État délimite, partage, sépare. Il décrète une rupture. Il introduit une discontinuité dans la continuité de l'humanité.

Parmi les êtres humains, ne sont "nationaux" que ceux que l’État reconnaît comme tels.

Abdelmalek Sayad, 1999, La double absence, Seuil.Les "autres", les étrangers, les immigrés, ne sont reconnus que d'un point de vue "matériel" ou "instrumental". C'est-à-dire uniquement en raison de leur présence physique sur le territoire national.

En soi, cette présence de "non-nationaux" constitue déjà une perturbation de l'ordre étatique qui est fondé sur la séparation. Des gens qui n'ont pas à être là sont là malgré tout.

Une question intellectuelle

Cette présence perturbatrice des migrants devient franchement subversive quand elle révèle au grand jour les soubassements plus profonds de l'ordre étatique.

En premier lieu, la manière dont la logique étatique traite la question de l'immigration nous renvoie au problème déjà soulevé par Edward W. Saïd, dans son ouvrage L'Orientalisme : L'Orient créé par l'Occident.

Peut-on diviser la réalité humaine et continuer à vivre en assumant humainement les conséquences de cette division ?

Il est vrai que l'humanité semble divisée, en cultures, sociétés, traditions... qui diffèrent entre elles. Mais, nous nous demandons s'il y a moyen d'éviter l'hostilité que peuvent engendrer ces différences.

Bien au contraire, la séparation opérée par l’État entre "nationaux-nous" et "étrangers-eux" met l'accent sur la discrimination entre des êtres humains et d'autres êtres humains. Or l'histoire nous enseigne que cette séparation est généralement sous-tendue par des intentions qui ne sont pas très louables.

L'actualité est elle aussi riche en enseignements.

Lorsque la logique étatique de la division prévaut, il devient difficile de faire passer ne serait-ce qu'une main secourable, par dessus la fracture qu'elle établit.

Si un tel acharnement à réprimer les actes de solidarité, d'hospitalité ou de fraternité nous étonnent ; si nous ne comprenons pas pourquoi ces valeurs humanitaires doivent plier devant la logique discriminatoire du "nous" et "eux", c'est probablement parce que notre conception des fondations de l’État est erronée.

Les 2 sens de l’État

Pierre Bourdieu, Sur l’État: cours au Collège de France (1989-1992), Points-EssaisDans les dictionnaires mais aussi dans nos esprits, deux définitions de l’État sont juxtaposées. Premièrement nous pensons à "l’État français" comme faisant référence au gouvernement et à l'ensemble des services ou administrations publiques .

Une seconde conception fait référence à l'État-nation (la France). L’État devient alors une sorte de personne morale qui représente une société organisée et qui entretient des relations avec d'autres entités du même ordre, au niveau international.

Pierre Bourdieu suggère qu'il existe une vision largement partagée (une sorte de philosophie politique), selon laquelle la société organisée existerait en premier. Cette société se doterait d'un gouvernement, d'une administration publique auxquels elle déléguerait le pouvoir d'organiser la vie collective.

De ce point de vue, l’État-nation conçu en tant que population organisée pré-existerait à l’État, au sens de gouvernement ou de bureaucratie. La France, en somme, pré-existerait à L’État français qu'elle mandaterait pour la représenter et la conduire.

Cette vision démocratique est complètement fausse.

L'histoire montre au contraire que c'est l’État au sens de gouvernement ou d'administration qui construit l’État-nation. La réalité est que des agents sociaux (rois, hommes politiques, juristes, militaires, fonctionnaires...) ont joué et continuent à jouer un rôle éminent dans sa construction.

Pour Pierre Bourdieu, ce que l'on appelle "État" est constitué d'un ensemble de ressources. Parmi ces dernières, il y a le monopole de l'usage de la violence physique et symbolique.

Ces ressources autorisent ceux qui les détiennent : à dire ce qui est bien pour le monde social dans son ensemble; à donner des ordres qui sont obéis parce qu'ils ont derrière eux la force de l'officiel.

La délégitimation de l’État

En résumé. Des agents sociaux construisent une organisation, appelée État. Cette forme d'organisation les dote de ressources matérielles et symboliques leur permettant de se faire obéir. En même temps, ces agents construisent aussi l’État-nation : c'est-à-dire une population unifiée, parlant la même langue, occupant un territoire délimité par des frontières.

Découvrez nos autres articles de sociologie critiqueDans ce processus de construction, la fonction de division ou de délimitation tient une place déterminante. Son usage devient une force de légitimation. En effet, ceux que l’administration étatique reconnaît comme "nationaux" sont amenés en retour à reconnaître (et même à se reconnaître dans) l'État qui les a reconnus.

Il y a là un double mouvement de reconnaissance qui est indispensable pour l'existence et le fonctionnement de l’État.

On comprend dès lors que les agents qui détiennent les ressources étatiques ne sont pas disposés à abandonner le monopole de la définition et de la division. Ils ne sont pas non plus enclins à admettre que cette fonction soit dépassée par des valeurs humanitaires (hospitalité, fraternité, solidarité, charité...)

Enfants de l’État qui nous a adoubés "nationaux", nous devons penser les "autres" et notre relation aux "autres", comme l’État nous inculque de les penser.

C'est ainsi que l'immigration dérange. Parce qu'elle contraint au dévoilement de la manière dont nous pensons l’État. Elle conduit à une réflexion critique et à la délégitimation de ce qui est légitime, de ce qui semble aller de soi.

© Gilles Sarter


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Socialisation : Intériorisation de Dispositions

Socialisation : Intériorisation de Dispositions

La socialisation est souvent définie comme le processus qui permet d'établir une personne à l'intérieur d'une société ou d'un groupe social. Un courant de la sociologie l'envisage, plus précisément, comme l'intériorisation de manières de faire ou de penser.

De l'importance du passé en sociologie

L'étude des processus de socialisation occupe une place importante dans la sociologie des dispositions. Ce courant de pensée accorde un rôle déterminant au passé des gens. Il considère que la plupart du temps, quand les individus sont amenés à agir, ils le font en étant influencés par leurs expériences antérieures.

B. Lahire, L'homme pluriel: les ressorts de l'action, 1998Cette approche est notamment défendue, au sein des travaux de Bernard Lahire , qui s'inscrivent dans une forme de continuité avec ceux de Pierre Bourdieu.

La notion de disposition recouvre des manières habituelles d'agir, de penser ou de réagir (affectivement ou émotionnellement).

Elle englobe aussi bien les routines, que les compétences, les savoir-faire, les croyances ou les goûts.

Toutes ces réalités ont en commun d'appartenir à l'intériorité des êtres humains. P. Bourdieu parle du "corps comme dépôt"et B. Lahire utilise la métaphore du "stock" de dispositions.

L'influence des dispositions sur nos actes ou nos pratiques peut être plus ou moins consciente.

Ainsi, une préférence acquise peut orienter consciemment un choix individuel. A un autre extrême, il se peut aussi qu'une personne réitère régulièrement un comportement routinier, mis en place par le passé et jamais questionné depuis.

Précisons que le recours à la notion de disposition n'exclut pas de considérer l'influence de la situation, sur les actes. Les êtres humains ne sont pas appréhendés comme des automates.

Le passé n'agit pas tel un impératif catégorique à chaque moment de la vie des gens.

Au contraire, l'idée qui prévaut est plutôt que, selon le contexte, les dépôts du passé peuvent s'actualiser différemment, se mettre en veille ou se transformer.

Temps et répétition

Considéré du point de vue de ces sociologues, le terme "socialisation" fait référence aux processus d'élaboration des dispositions.

Celles-ci se constituent souvent dans la durée et par la répétition. Toutefois, l'acquisition d'une façon d'être ou d'agir peut aussi résulter d'une expérience unique et brève. Pensons à celles qui découlent d'événements traumatisants ou psycho-affectivement intenses (rites d'initiation ou de passage...).

Parmi les dispositions dont l'installation est plus progressive, il faut aussi opérer une distinction.

En effet, les gestes de la vie quotidienne, les savoir-faire, les raisonnements ou les habitudes morales sont plus ou moins difficiles à acquérir, selon leur degré de complexité.

L'intériorisation est favorisée par la répétition d'expériences similaires, dans des contextes différents. Ainsi, les dispositions sexuées se construisent à la fois, dans la famille, à l'école, au travail mais aussi dans la rue ou par la fréquentation des médias.

On évoque à ce propos, un sur-apprentissage. Il produit souvent une plus grande résistance au changement.

Si une prédisposition se renforce grâce à une sollicitation continue, elle peut, en revanche, s'affaiblir par manque d'entraînement ou si elle n'est pas sollicitée.

l'enfant se socialise dans la société

Socialisations explicite, diffuse et idéologique

Bernard Lahire distingue trois grandes modalités de socialisation : la pratique directe, l'imprégnation diffuse et l'inculcation idéologique.

La pratique directe - Premièrement, les gens intériorisent des dispositions mentales ou comportementales en participant directement à des activités récurrentes. Ce processus de socialisation peut inclure des moments d'incitation, d'interdiction, de sollicitation ou de collaboration explicites.

L'apprentissage de l'écriture et de la lecture s'effectue par entraînement à l'école ou à la maison. Les dispositions sexuées s'acquièrent par la participation à des activités définies explicitement comme "masculinisantes" ou "fémininisantes".

La socialisation diffuse - Elle opère de manière plus suggestive. Elle ne résulte pas d'une inculcation volontaire et explicite. C'est plutôt, l'agencement du contexte qui agit indirectement sur la personne.

Ainsi pour les enfants dont les parents lisent régulièrement et possèdent des livres, la lecture est une réalité familiale avant d'être une réalité scolaire. Leur apprentissage s'en trouve généralement facilité.

B. Lahire, Portraits sociologiques: Dispositions et variations individuelles, 2002.De la même façon, les dispositions sexuées s'incorporent de façon diffuse parce que les enfants évoluent dans des contextes où les gestes, les attitudes, les paroles, les activités des personnes de leur entourage diffèrent en fonction de leur genre.

A propos de la socialisation diffuse, on évoque parfois une "socialisation silencieuse". Toutefois, cela ne signifie pas qu'elle opère totalement hors du langage. L'expression fait plus généralement référence à l'absence de discours explicites ou didactiques.

Mais les pratiques langagières prennent de nombreuses autres formes qui ont leur place dans les processus d'intériorisation. Pensons aux interjections, exclamations, insultes, ponctuations, commentaires rétrospectifs, allusions qui accompagnent nos comportements.

L'inculcation idéologique ou symbolique - On fait ici référence aux croyances, normes, valeurs ou modèles véhiculés par toutes sortes d'institutions et de médias.

L'exposition ou l'inculcation de ces normes culturelles peuvent être tout-à-fait explicites : programmes qui font l'apologie de la culture lettrée ou qui justifient la domination masculine... Mais elles procèdent aussi implicitement, par exemple, lorsqu'un film ou un roman met en scène des personnages dont les comportements sont spécifiques.

Tensions et contradictions

Les différentes situations de socialisation que rencontre un individu, au cours de sa vie, ne poussent pas toujours dans une même direction. Au contraire, des tensions ou des contradictions peuvent émerger.

Par exemple, un hiatus se crée entre l'injonction explicite et la socialisation diffuse, quand des parents incitent leur enfant à lire, alors qu'ils ne lisent pas eux-mêmes. Situation typique rendue par l'expression : "fais ce que je dis, mais ne fais pas ce que je fais".

Un décalage est aussi à l’œuvre, chez les garçons issus de familles dans lesquelles la lecture et l'écriture sont associées à l'univers féminin, intérieur, domestique, intime... Par opposition l'univers masculin s'y conçoit comme physique et tourné vers l'extérieur. Le jeune enfant est alors placé devant le dilemme de se construire en homme ou en élève studieux.

De la même façon, le sujet est soumis à une tension intérieure lorsque que l'inculcation idéologique est contredite par le contexte diffus. Par exemple, on inculque à l'enfant que l'égalité est une valeur officiellement constitutive de la société dans laquelle il vit (valeur objectivement inscrite dans les lois...). Et, au jour le jour, il est témoin des inégalités de traitement ou de la stigmatisation dont souffreson entourage.

la socialisation cocerne la formation des dispositions affirme Pierre Bourdieu

Retour sur deux métaphores

Pierre Bourdieu parle souvent de la socialisation comme d'un processus d'incorporation des structures sociales. B. Lahire avance que cette métaphore peut faire penser qu'il y a comme un transfert, d'une réalité extérieure aux individus, vers leur intériorité.

Bien sûr, il rappelle que ce qui est intériorisé n'existe pas en tant que tel à l'extérieur. En réalité, se sont des habitudes, des croyances, des manières d'agir et de penser, des émotions qui se constituent dans le corps-esprit des gens.

Notre société est structurée selon une inégalité entre femmes et hommes. L'inégalité salariale ; la sous-représentation des femmes, dans les mandats politiques et les postes de direction; l'inégale répartition des tâches domestiques ; la plus grande fréquence des actes de violence sexuelle commis à leur encontre... constituent des phénomènes sociaux vérifiés statistiquement.

Des jeunes enfants évoluant dans un tel environnement acquièrent des dispositions qui favorisent la perpétuation des faits sociaux évoqués : tendance au commandement chez les garçons et à la soumission chez les filles, inclination vers l'exercice de certains métiers ou activités...

C'est pour rendre compte de l'ensemble de ces processus, dans une formule ramassée, que l'on dit que les filles et les garçons incorporent les structures sociales objectives.

L'inégalité qui structure la société trouve un écho dans les corps-esprits, sous la forme de dispositions.

La deuxième métaphore qu'utilise Pierre Bourdieu s'explique de la même manière. Le sociologue parle souvent d'héritage ou de transmission du capital culturel. Or hériter d'un patrimoine matériel, c'est recevoir une chose que possédait jusque là une autre personne. La notion d'héritage est sous-tendue par l'idée d'un transfert de la chose concernée.

La réalité qu'évoque la métaphore est d'un autre ordre. On le comprend aisément pour le cas de l'apprentissage de la lecture.

L'enfant qui évolue dans une famille de lecteurs et de possédants de livres incorpore souvent une prédisposition à l'apprentissage ou un goût pour la lecture. Encore une fois, l'usage de l'expression "hériter du capital culturel" peut occulter la complexité et la pluralité des mécanismes de socialisation qui sont à l’œuvre

Pouvoir et socialisation

Si le postulat de la théorie de l'action, tel que décrit par P. Bourdieu et B. Lahire, est exact alors nous vivons constamment sous l'influence de forces intérieures.

Nos dispositions nous orientent, incitent, influencent, poussent, inhibent ou restreignent.

Mais la concrétisation des dispositions en actes est fonction des situations que nous rencontrons. Si bien que le contexte aussi exerce une influence sur nous, en permettant ou non, à nos dispositions de s'exprimer.

Or une observation, même spontanée, de la vie sociale révèle que la socialisation a partie liée avec le pouvoir.

On voit bien que des dispositions - comme la remise de soi à une autorité, le rapport aux formes de cultures légitimes (notamment au langage officiel), l'acceptation de la logique de concurrence et des hiérarchies... - sont construites dès le plus jeune âge (famille, jardin d'enfant, école) puis réactivées et renforcées tout au long de la vie et dans des contextes différents (travail, politique et même loisirs...)

Dès lors l'examen des liens entre socialisation et pouvoir peut concerner tout un tas de questions :

Comment sont élaborés les processus de socialisation ? Quelles dispositions cherche-t-on à construire chez les gens? Qui a intérêt à la construction de ces dispositions ? Dans quels contextes ces dispositions devront-elles être réactivées ? Comment sont agencées les situations qui visent leur réactivation ? ...

Apprendre à voir

A notre échelle d'individu socialisé, la question qui se pose est celle de la part de liberté que nous pouvons conquérir sur nos dispositions. Là, il paraît évident que nous ne pouvons pas éluder la nécessité d'une introspection intime.

Il nous faut apprendre à connaître nos inclinations et nos propensions:
- bien les observer quand elles s'actualisent dans des comportements, des pensées ou des affects.
- identifier l'influence des situations, sur leur expression ou leur inhibition.

Cette démarche est au cœur de nombreuses traditions philosophiques.

Nietzsche, Le crépuscule des idoles : ce qui manque aux Allemands (6) et Humain, trop humain : aphorisme 283. Pour Nietzsche, par exemple, l'apprentissage du voir constitue la première préparation à l'éducation de l'esprit. Il convient, nous enseigne-t-il, de nous doter d'un regard long et lent.

Nous devons nous habituer à laisser venir les dispositions ou les penchants qui veulent s'imposer à nous. S'efforcer d'y être attentif, plutôt que d'y réagir spontanément.

Il s'agit bien d'un processus actif, tout le contraire de la passivité. La vraie paresse consiste à s'abandonner à nos inclinations "comme roule la pierre qui suit la loi brute de la mécanique".

Gilles Sarter

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L’habitus: au cœur de la sociologie de Bourdieu

L’habitus: au cœur de la sociologie de Bourdieu

Le concept d'habitus est central dans la sociologie de  Pierre Bourdieu. Dans cet article, nous en détaillons les tenants. Puis, nous expliquons, comment la notion permet de rendre compte des articulations entre les comportements individuels et l'organisation des sociétés.

Comportements et régularité du monde social

Dans le documentaire La sociologie est un sport de combat, Pierre Bourdieu énonce de façon très simple la question qui fonde le projet sociologique :

Pourquoi les gens agissent-ils comme ils le font et avec une certaine régularité ?

Premièrement, cette question appelle une théorie explicative de l'action humaine, qui puisse rendre compte des relations entre société et individu.

Deuxièmement, le questionnement à propos de la régularité du monde social est au cœur de la réflexion du sociologue. Dans la Domination masculine, il avoue son étonnement devant la perpétuation des ordres établis, avec leurs rapports de domination et leurs injustices.

L'élaboration de la notion d'habitus a permis à Pierre Bourdieu d'investir ces deux problématiques.

Tendances et propensions à agir

Attribuer un habitus à une personne ou à une catégorie de personnes, c'est leur attribuer un système de dispositions à se comporter d'une certaine façon.

Dans une première approche, on pourrait dire qu'un habitus ressemble à ce que le langage commun appelle un trait de caractère. Comme, par exemple, l'ostentation, la discrétion, l'ascétisme ou l'hédonisme...

Une personne disposée à l'ostentation exprime une tendance à se comporter comme un "m'as-tu vu", dans les différents aspects de sa vie : dans ses goûts, sa manière de s'habiller ou de décorer sa maison, dans le choix de sa voiture, dans sa façon de parler, dans ses attitudes corporelles et ses tentatives d'être toujours au centre de l'attention...

La propension ne dit pas qu'à coup sûr, l'individu concerné agira de manière ostentatoire. Mais il y a de fortes chances que cela se produise.

Par ailleurs, une tendance ne détermine pas les actes dans leurs modalités concrètes d'expression. On ne peut prédire exactement ce que le "m'as-tu vu" va faire ou dire, dans une situation donnée. On peut, tout au plus, parier sur le style de comportement qu'il va adopter.

Du social incorporé

L'habitus, à la différence du trait de personnalité, trouve son origine dans le social. Il n'est pas l'apanage d'un individu. Au contraire, il est partagé par un groupe social bien délimité.

L'un des exemples les plus connus, parmi ceux décrits par Bourdieu, est le sens de l'honneur. Dans les communautés villageoises kabyles, cet habitus pré-dispose les gens à se comporter, dans toutes les situations, en femme ou en homme d'honneur.

Pierre Bourdieu écrit que si cet habitus pouvait être condensé en une seule formule ce serait : "Faire face !"

L'injonction s'applique à la posture corporelle : faire face à son interlocuteur, le regarder à la face, parler sans murmurer. Elle concerne les adversités de tous ordres (humaines, matérielles, naturelles) devant lesquelles il ne faut pas reculer. Cet habitus commande encore de faire face à l'hôte en lui témoignant l'hospitalité ou de se montrer généreux, etc.

Dans ce contexte, le sens de l'honneur est partagé par tous les membres de la communauté. Et ces derniers sont prompts à sanctionner les conduites qui s'en écartent.

Si la genèse d'un trait de personnalité relève d'une histoire individuelle. L'origine d'un habitus, au contraire, doit être recherchée dans les particularités de l'histoire collective.

L'habitus, dit encore Pierre Bourdieu, c'est du "social incorporé" ou du "social fait corps".

L'habitus, du verbe habeo (avoir), c'est ce qui a été acquis.

Chez les Kabyles le sens de l'honneur agit comme un habitus

Sociétés modernes et classes sociales

Pierre Bourdieu a élaboré la notion d'habitus, dans le cadre de communautés villageoises. Ces dernières sont caractérisées par une relative homogénéité des conditions matérielles et culturelles d'existence. Les gens y sont façonnés par un contexte de socialisation cohérent.

Qu'en est-il dans les sociétés modernes et différenciées ?

Le sociologue appréhende la société française comme étant structurée en classes.

Une classe sociale correspond à un ensemble de personnes qui partagent des conditions d'existence proches.

Deux grands principes établissent une différenciation entre les conditions de vie des agents sociaux. Il s'agit du capital économique (l'ensemble des propriétés financières, mobilières, immobilières) et du capital culturel (niveau scolaire, diplômes, connaissances langagières et culturelles...), détenus par les individus ou les familles.

D'une part, la classe composée de détenteurs d'un fort volume de capital global (capital économique + capital culturel), comme les patrons d'entreprises, les hauts-fonctionnaires, les médecins, les cadres supérieurs... se distingue de celle des plus démunis, ouvriers agricoles et employés sans qualification.

D'autre part, une différenciation opère selon la structure du capital. Les artistes, les professeurs d'université sont plus riches relativement, en capital culturel qu'en capital économique. En revanche, les patrons d'entreprises possèdent relativement plus de capital économique que de capital culturel. De la même façon, à un niveau inférieur de la hiérarchie sociale, les instituteurs s'opposent aux petits commerçants...

A ces différentes positions sociales correspondent des contextes de vie et de socialisation, plus ou moins spécifiques qui engendrent des habitus distincts.

Goûts de classes

Les habitus de classe s'actualisent différemment. Les biens consommés, les activités pratiquées (sports, loisirs...), les lieux habités et fréquentés (commerces, écoles...), les opinions politiques, les manières de s'exprimer ou encore les postures corporelles diffèrent systématiquement, entre les hauts-fonctionnaires et les ouvriers...

Les habitus constituent les goûts. Ainsi, les agents appartenant aux différentes classes sociales opèrent des différences entre ce qui est bon/mauvais, bien/mal, distingué/vulgaire. Mais ces différenciations ne sont pas les mêmes.

Selon la classe d'appartenance, un même objet ou un même acte peut apparaître comme vulgaire, comme prétentieux ou comme distingué.

Finalement, il est important de garder à l'esprit le fait suivant. Quelle que soit la classe d'appartenance des gens, leur sens commun classe et hiérarchise les biens et les comportements: langage "populaire" ou "distingué" ; accordéon ou violon ; belote ou bridge, jeans ou "costard"...

Cette hiérarchisation ne résulte pas de la valeur en soi des objets ou des manières de faire. Elle provient du fait que les gens ont incorporé des dispositions à juger et à hiérarchiser d'une certaine façon.

Ces goûts sont le produit de conditions d'existence, qui sont elles-mêmes dépendantes du volume et de la structure du capital détenu.

Théorie de l'action

En élaborant la notion d'habitus, l'une des intentions de Pierre Bourdieu visait à échapper à deux erreurs.

La première tend à considérer les gens comme agissant mécaniquement, sous l'effet de contraintes externes (règles, structures, modèles...). La seconde les tient pour des sujets pleinement conscients qui agissent par des choix et des calculs rationnels (théorie de l'homo œconomicus et de son action rationnelle).

A l'inverse, le sociologue envisage les comportements comme étant issus de rencontres, entre des situations et des dispositions:

Situation + Habitus = Action

Sa théorie permet de prendre en compte les expériences de socialisation passées, sans omettre le rôle de la situation présente.

En effet, aucune de ces deux réalités ne peut être désignée comme le véritable déterminant des pratiques. La réalité d'une action est toujours relationnelle.

les classes sociales sont marquées par des systèmes de dispositions que l'on appelle goûts

Sens pratique

L'habitus dotent les gens d'un sens pratique. C'est-à-dire du sens de ce qui est à faire, dans une situation donnée. La notion évoque ce qu'on appelle le sens du jeu, dans les sports collectifs notamment.

Les situations rencontrées par une personne peuvent être relativement similaires aux conditions de socialisation qui ont permis l'acquisition de son habitus. Dans ces circonstances, l'agent est comme un poisson dans l'eau. C'est le cas d'un paysan en Kabylie qui a grandi et vécu, au sein de sa communauté traditionnelle.

Ses structures mentales sont ajustées par anticipation aux événements qu'il affronte.

Il peut les évaluer sur-le-champ et y répondre, dans le feu de l'action. Il n'a pas besoin d'y réfléchir, comme s'il était placé face à un problème.

Le concept d'habitus n'exclut pas, pour autant, celui de stratégie.

Les individus peuvent élaborer des projets. Simplement, ils les établissent sur la base des appréciations et des perceptions permises par leurs habitus respectifs.

Ce mécanisme explique notamment les cas d'auto-censure. Une personne renonce à un objectif personnel, parce que son habitus l'envisage comme inapproprié : un jeune homme issu du milieu ouvrier renonce à entreprendre une carrière artistique, parce que son habitus lui fait envisager l'art comme étant le domaine réservé des classes bourgeoises...

Autrement dit, la théorie de l'action de Pierre Bourdieu admet la capacité inventive ou créatrice de l'individu. Mais, elle considère que cette inventivité est délimitée ou bornée par des pré-dispositions qui se constituent en goût, sens du jeu ou encore en espérance aux chances de réussite.

Désajustements

Les habitus des personnes ne sont donc pas toujours ajustés aux circonstances qu'ils rencontrent.

Cela se produit à chaque fois que la situation vécue par l'agent est différente du contexte qui a produit ses dispositions.

Ces cas de désajustements apparaissent lorsque des individus ou des collectivités entières sont transplantées, volontairement ou non, dans des contextes culturels différents : migrations, déportations, exils...

Sans être transplantés, les gens peuvent être amenés à fréquenter des univers sociaux différents voir contradictoires. On pensera à l'agriculteur qui doit évolué, à la fois, dans l'univers traditionnel de l'entre-soi villageois et dans l'univers de l'économie capitaliste qui enserre sa communauté.

Dans les sociétés modernes différenciées, les sujets connaissent souvent des ruptures biographiques. L'enfant qui entre à l'école, le jeune adulte qui rejoint le monde professionnel peuvent être confrontés à des univers sociaux dont les codes sont éloignés de ceux de leur milieu d'origine.

Sont aussi concernés tous les gens qui connaissent une "ascension" sociale ou, a contrario, un déclassement vers le "bas". Dans ces circonstances, ils sont contraints d'adopter des manières de s'exprimer, de se comporter, de penser auxquelles ils ne sont pas pré-disposés.

Ces décalages génèrent des tensions, voire des souffrances, psychiques et corporelles.

le concept d'habitus permet d'envisager pourquoi les gens font ce qu'ils font

Stabilité des habitus

Bien sûr les habitus évoluent en fonction des nouvelles expériences. Mais Pierre Bourdieu avance que leur mode de fonctionnement tend à prévenir les changements radicaux.

En effet, les dispositions initiales opèrent des sélections, dans l'acquisition des nouvelles informations. Elles tendent à rejeter celles qui sont capables de mettre en question les informations accumulées préalablement.

Surtout, l'habitus défavorise l'exposition à des conditions propices au changement.

Comme les dispositions sont à l'origine du choix des personnes et des lieux susceptibles d'être fréquentés, les personnes évoluent généralement, dans des univers sociaux, relativement adaptés à leur habitus et peu déstabilisants.

Reproduction de l'ordre social

La relative stabilité des habitus et la relation qu'ils entretiennent avec les structures sociales objectives expliquent comment l'ordre social se perpétue.

A travers l'habitus, les structures du monde social sont présentes dans les catégories de pensée que les individus mettent en œuvre pour comprendre leur société.

Dans les villages kabyles, le sens de l'honneur est objectivé, "rendu palpable" : par la manière dont les relations entre hommes et femmes sont organisées ; par les expressions langagières ; par les postures corporelles ; par les pratiques et rituels, d'hospitalité, de vendetta, de générosité...

Dès l'enfance, dans ce contexte, les manières de penser sont structurées selon le sens de l'honneur. Et les comportements reproduisent les structures objectives qui conditionnent les mentalités.

Dans la société française, la structuration en classes sociales s'observe dans des réalités concrètes. Elle est rendue tangible : par la géographie des quartiers urbains ; par les différences entre établissements scolaires ou d'enseignements supérieurs ; par la nature des biens consommés (aliments, vêtements,...) ; par les activités de loisirs ; par la nature des relations qui prévalent entre les gens...

Cette différenciation objective trouve son pendant dans les habitus de classe. A leur tour ces goûts s'actualisent dans des préférences, des choix, des classements qui contribuent à perpétuer un monde structuré en classes sociales différenciées.

Le processus de naturalisation

Cette reproduction du monde social s'appuie sur ce que le sociologue appelle le processus de naturalisation.

Les porteurs d'un habitus ne sont pas conscients de ce que leurs manières d'agir ou de penser doivent aux conditions sociales objectives.

Ils vivent leurs goûts comme étant "naturels" ou comme allant de soi et non pas comme résultant de leurs conditions d'existence.

Finalement, une société est le produit des représentations que s'en font des femmes et des hommes. Mais ces représentations sont elles-mêmes le fruit des structures sociales pré-existantes.

Sans le savoir, la plupart du temps, les gens tendent à reproduire l'ordre social, qu'ils occupent une position de dominant ou de dominé, au sein de la société.

Possibilité de changement

L'explication "en boucle" de la relation de détermination, entre structures mentales et objectives, distille une forme de pessimisme.

L'esprit des gens est structuré de manière à reconnaître la légitimité de l'ordre dominant. Dès lors par leurs agissements, ils reproduisent la structuration objective de la société, selon le même ordre. Ce qui renforce encore leur habitus et leur position de dominé, etc.

S'il en est ainsi, comment peut-on gagner en liberté ? Et notamment comment peut-on envisager d'imposer un nouveau modèle de société, reposant sur moins de domination ?

Un premier enjeu concerne la prise de conscience du caractère arbitraire de tous les modèles d'organisation sociale. Là réside la vocation de la sociologie critique.

Toutefois, la simple prise de conscience, bien que nécessaire, n'est pas suffisante. La domination est soutenue par des habitus pré-réflexifs. Ces derniers, on l'a vu, sont peu impactés par les nouvelles informations.

Pour induire un changement, il faut donc, aussi, combattre les instruments sociaux qui permettent l'inscription des habitus dans les corps.

Il faut conjuguer le dévoilement de l'arbitraire de la domination, à l'action sur les structures sociales objectives.

Finalement, les perspectives de changement semblent résider, dans la multiplication des expériences et des contextes de vie, d'éducation et de socialisation qui valorisent les nouvelles valeurs et qui sont susceptibles de les inscrire, dans les corps, sous la forme de dispositions.

Gilles Sarter

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