Dans l’esprit capitaliste, la négation du monde, accompagnée d’une attitude active pousse à l’adoption d’un rapport utilitariste débridé. Toutes les formes de vie et tous les éléments naturels sont considérés, non pas pour ce qu’ils sont (c’est l’attitude négative), mais comme des choses bonnes à être utilisées, dans une perspective d’accumulation matérielle (c’est l’attitude active).
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B.O. par Patrick Mattéis : Capitalism active negation of the world
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Nos manières d’être en relation avec le monde, avec notre environnement et avec les autres êtres humains ne sont pas innées ou données par nature.
Pour une part, elles résultent d’interprétations que nous construisons individuellement au fil de nos expériences personnelles.
Pour une autre part, nos manières d’être au monde résultent d’interprétations socio-culturelles qui ont cours dans les sociétés dans lesquelles nous vivons.
Pour tenter de mieux comprendre nos manière d’être au monde qui ont une origine sociale, le sociologue Max Weber essait de construire des idéaltypes.
Les idéaltypes sont des réprésentations qui sont théoriques mais qui sont néanmoins construites à partir de matériaux tirés du monde social réel.
Les idéaltypes n’ont donc pas pour fonction de décrire le réel tel qu’il est. En revanche, ils founissent des représentations auxquelles le réel peut être confronté, pour voir dans quelle mesure il s’en approche ou s’en éloigne. En sommes, les idéaltypes servent à mieux comprendre le monde plutôt qu’à le décrire.
Ainsi Max Weber utilise la construction d’idéaltypes, pour distinguer entre différentes manières d’être au monde, dans différentes sociétés. Cette démarche l’a conduit à formuler l’hypothèse que les manières d’être au monde des agents du capitalisme se rapprochent d’un idéaltype qui est celui d’une négation active du monde.
Dans la construction de cet idéaltype, l’idée de négation du monde s’oppose bien sûr à celle d’affirmation du monde. Tandis que celle d’attitude active à l’égard du monde s’oppose à celle d’attitude passive.
Dans le comportement des groupes d’intérêt du capitalisme, la négation du monde se concrétise par l’absence de prise en considération d’un certain nombre de cycles, d’interaction et d’équlibres naturels dont la perturbation menace les conditions de vie terrestre. La négation capitaliste du monde s’exerce aussi à l’encontre des corps et des vies humaines que le capital utilise à des fins d’auto-accroissement et sans considération pour leur épanouissement et leur reproduction.
Cette attidue négative à l’égard du monde découle très directement du fait que les mouvements du capital se déploie en fonction de la valeur économique qu’il plaque sur le monde réel et n’ont pas en fonction des lois de la vie et de la nature.
Quant à l’attitude active à l’égard du monde qui caractérise également les groupes d’intérêt du capitalisme, elle est correspond à une volonté d’aller à la rencontre du monde et d’y intervenir. Les capitalistes se saisissent des corps, des êtres vivants, des sols, des océans ou encore des ressources souterraines pour les exploiter, les transformer, les soumettre, dans une finalité d’accumulation de profits économiques.
L’idéaltype capitaliste, caractérisé par une attitude de négation active du monde peut être illustré par les propos de Max Tillerson, ancien PDG d’Exxon-Mobile qui a déclaré à la télévision que sa philosophie c’est de gagner de l’argent et que tant que forer pour trouver du pétrole lui permettra de gagner de l’argent, c’est ce qu’il fera.
L’attitude active à l’égard du monde se concrétise ici, par la volonté d’intervenir dans le monde en extrayant du pétrole, jusqu’à sa dernière goutte. Cette attitude active va de pair avec une attitude négatrice à l’égard du monde réel qui connaît un basculement écologique mortifère, du fait même de l’extraction et de la consommation effrénée de pétrole.
Dans un livre intitulé L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme Max Weber avance l’idée que les manières d’être au monde, induites par l’esprit du capitalisme, présentent des affinités avec celles induites par l'éthique de l'ascèse protestante, notamment calviniste, piétiste, méthodiste et baptiste. Elles seraient toutes les deux caractérisées par une attitude négatrice mais néanmoins active à l’égard du monde.
L’attitude de l’ascèse protestante telle que présentée par Weber est construite sur une conception du monde d’ici-bas qui est marquée par le péché originel et qui est doublée d’un au-delà céleste. L’être humain est représenté comme étant faible et pêcheur. Il doit donc soumettre son corps à une ascèse.
Toutefois, cet ascétisme prend une forme intra-mondaine qui est liée à une attitude active à l’égard du monde. Contrairement à l’ascète extra-mondain (comme le moine du désert ou le renonçant indien), l’entrepreneur protestant s’engage dans une activité intense dont la réussite doit témoigner de son salut sur le plan religieux.
Max Weber voit dans la posture négatrice et active de l’ascétisme protestant, les mêmes facteurs de la domination froide et calculatrice que le capitalisme tente d’imposer au monde et aux hommes. L’esprit du capitalisme, c’est l’éthique de la négation-active du monde protestante, la croyance religieuse en moins.
Dans l’esprit capitaliste, la négation du monde, accompagnée d’une attitude active pousse à l’adoption d’un rapport utilitariste débridé. Toutes les formes de vie et tous les éléments naturels sont considérés, non pas pour ce qu’ils sont (c’est l’attitude négative), mais comme des choses bonnes à être utilisées, dans une perspective d’accumulation matérielle (c’est l’attitude active).
En poussant, l’observation un peu plus loin, Max Weber affirme que cette attitude de négation-active du monde se retrouve objectivée dans toutes les principales institutions des sociétés capitalistes modernes.
Ces institutions qu’elles soient politiques, bureaucratiques, légales ou scientistes sont toutes déterminées par des intentions de dénégation du monde réel pour ce qu’il est et par des intentions de maîtrise-transformation-exploitation, au service de l’accumulation de la valeur économique.
Finalement, ce déploiement de l’attitude de négation-active du monde pèse sur nos épaules comme un « carcan de fer » et nous enferme dans la tendance mortifère de la forme sociale, économique, et politique capitaliste.
Ce n’est donc pas un hasard si les principaux mouvements d’opposition au capitalisme veulent incarner une attitude d’affirmation-active à l’égard du monde. Tout en admettant que l’humanité aie une action transformatrice dans le monde (et qu’il ne saurait en être autrement), ils refusent cependant de rabaisser les humains et la nature non-humaine au rang de choses exploitables et calculables. Ils soutiennent à travers une éthique de l’entraide et de la complémentarité que « le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ».
(c) Gilles Sarter

