Les problème écologiques sont des problèmes sociaux

Dans la théorie de l’écologie sociale, telle qu’elle est formulée par Murray Bookchin, l’adjectif « sociale » souligne une idée forte. Les problèmes écologiques découlent fondamentalement de « problèmes sociaux », c’est-à-dire de l’existence de hiérarchies et de rapports sociaux d’exploitation et de domination entre les êtres humains.

Logiquement, il découle de cette idée fondamentale que la résolution des problèmes écologiques appelle l’abolition de ces rapports indésirables. Les luttes émancipatrices deviennent de ce fait des luttes écologiques.

Rapports de classes et problèmes écologiques

La finalité dernière de la production économique en régime capitaliste est la production de plus-value. Cette plus-value est toujours réintroduite dans le cycle de production pour produire encore plus de plus-value. C’est une question de nécessité pour les capitalistes dans la compétition qui les opposent les uns aux autres.

Cette production de plus-value repose sur deux conditions:

1- il faut produire des marchandises (objets ou services) possédant une certaine valeur d’usage. Cette première condition est lourde de conséquences pour la planète, car la production infinie de plus-value appelle une production infinie de marchandises qui « dévore le monde »;

2- la création de plus-value, à travers la production de marchandises, nécessite l’exploitation d’une force de travail. Un travailleur est exploité quand quelqu’un s’approprie les résultats d’une partie de ses efforts. Dans le régime capitaliste, ce surtravail génère la plus-value.

Mais revenons encore à la première condition. La plus-value ne peut être obtenue qu’en produisant des marchandises qui présentent une certaine valeur d’usage. Dans le régime capitaliste, l’organisation de la production de marchandises est liée à la « compétence » qui est un type particulier de savoir : 1/ qui donne autorité dans la production ; 2/ qui est institutionnellement attribuée (diplômes, titres, certificats, attestations, etc) ; 3/ qui se reproduit structurellement (au sein des familles et par l’intermédiaire du système scolaire) ; 4/ qui donne accès à des profits matériels et symboliques.

La « compétence » dessine un rapport social d’exploitation, dans la mesure où les compétents consomment le produit d’une quantité de travail social supérieure à la quantité de travail qu’ils fournissent eux-mêmes à la société. Côté productivisme, la logique des capitalistes est de «produire pour le profit», celle des compétents est de «produire pour produire». Les deux logiques sont lourdes de périls écologiques.

Le concept d’exploitation capitaliste avancé prend donc tout son sens dans l’unité de l’exploitation-destruction de la nature et l’exploitation-domination d’êtres humains (travailleurs, « moins-compétents ») par d’autres êtres humains (capitalistes, « plus-compétents).

Autrement dit le problème écologique est bien à la racine un problème social.

Violence de classe et violence de nation

La création de l’État-nation moderne s’accompagne de la déclaration d’appropriation commune d’un territoire par une population qui l’occupe. Cette appropriation est aussi exigence d’en faire un usage commun. Cette exigence formelle est propre à consolider l’idée tout aussi formelle de solidarité et d’égalité entre les « nationaux ».

En même temps, elle creuse un fossé entre ceux qui partagent la propriété du territoire commun et ceux qui en sont exclus. Le « commun » national exclut l’étranger, non seulement extérieur, mais aussi intérieur. L’étranger intérieur est décrit comme étant venu d’ailleurs à une date indéfinie et comme étant trop différent pour faire partie de la communauté des « nationaux ».

Dans les pays du centre historique du capitalisme, la déclaration d’appropriation commune du territoire a protégé ce dernier de son abandon total et immédiat à la toute-puissance du capitalisme. Il en est allé tout autrement dans les colonies. Les puissances coloniales – à la fois étatiques et capitalistes – ont été en capacité de faire de ces territoires, de leurs sols et de leurs sous-sols, de purs objets de profit pour les capitalistes et de gloire pour les compétents (administrations civiles et militaires).

Sur les terres prétendument « vierges », les colons ont déforesté, déstructuré l’écologie, comme nulle part ailleurs. Cela supposait que les populations autochtones soient dispersées, que les solidarité familiales et communautaires soient brisées, que les femmes, les hommes et les enfants soient réduits en force de travail servile et dépossédés de leur existence sociale et culturelle.

Voilà, en termes de système des nations, en quoi consiste le colonialisme et sa continuation à travers la colonialité : une étroite connexion entre destruction matérielle et socio-culturelle. Cette destruction a constitué et constitue encore une condition essentielle de l’expansion du capitalisme du centre.

L’exploitation capitaliste comporte un double mouvement. Elle se déploie en exploitation et destruction à travers la planète et elle aspire en retour les dépossédés à travers les migrations vers le centre, pour les disposer au bas de l’échelle de classes.

La « nation » (l’origine nationale, ethnique, « raciale », etc) est ainsi soumise à un rapport de classe, et la classe se trouve hiérarchisée entre « nations » (« races », ethnie, religions, etc.). La « nation » est un rapport social qui découle du mécanisme capitaliste de l’exploitation. La plus-value qu’elle génère, assure sa perpétuation.

En tant qu’elle est consubstantielle de l’exploitation capitaliste, la domination de « nation » (le racisme, la xénophobie, etc.) est un élément du problème écologique.

Rapports de classes et domination masculine

La domination masculine semble se perdre dans la nuit des temps mais elle est surdéterminée par le capitalisme.

Dans le capitalisme, la force de travail féminine fixée au domicile (à partir de la fin du 19è s. jusqu’à très récemment, après 1968) est dépourvue de valeur marchande socialement sanctionnée sur le marché. Le labeur des femmes se trouve donc réduit, dans les catégories de l’économie politique capitaliste, à n’être qu’une valeur d’usage qui est renvoyée au statut de fonction naturelle, la reproduction de la force de travail masculine. Pour une large part, le labeur féminin de reproduction n’est même pas considéré comme travail.

La dévaluation du statut des femmes qui résulte de cette non-reconnaissance sociale indique en retour quelle place leur reviendra à mesure qu’elles accéderont au salariat : une force de travail moins bien rémunérée et une compétence moins bien reconnue.

Au fur et à mesure qu’elles accèdent à des positions professionnelles, ces positions sont moins valorisées que dans l’état précédent du système (enseignantes, chercheuses, ingénieures, docteures, etc.). Plus les métiers, les titres, les diplômes, les fonctions se féminisent, plus ils sont dévalorisés. Ce phénomène devrait constituer un point d’interrogation pour la discussion des stratégies des luttes féministes : « ascension sociale » des femmes dans le système existant ou lutte pour l’émancipation vis-à-vis de l’exploitation capitaliste.

Le capitalisme moderne a construit le sexe comme rapport social, tout comme il l’a fait avec la « nation ». En tant qu’elles sont déconstruction du régime de classe, les luttes féministes sont des luttes écologiques.

Le rapport d’âges

Comme l’origine du rapport social de sexe, le rapport social d’âges semble se perdre dans la nuit des temps. Mais il est lui aussi surdéterminé par le capitalisme.

Dans l’économie politique bourgeoise, la force de travail des plus jeunes est considérée comme valant moins que celle des moins jeunes.

Ce phénomène s’observe dans ce qu’il est convenu d’appeler le « travail des enfants ». Dans les sociétés où ce type de travail est en principe interdit, la différenciation par l’âge est entretenue par des dispositifs légaux (contrats jeunes, contrats d’apprentissage, TUC, postdoc, etc.) qui permettent aux employeurs de disposer d’une force de travail à moindre rémunération. Comme les travailleurs racisés, comme les travailleuses, les jeunes forment une classe dans la classe.

Révolution écologique

Que pouvons-nous concevoir sous le nom de « révolution écologique » ? Qu’elle découle rigoureusement des démonstrations qui précèdent.

Lire aussi « Murray Bookchin et la genèse de l’écologie sociale »

S’il est vrai que a) les activités économiques capitalistes sont motivées en dernier ressort par la poursuite effrénée de plus-value, b) que la poursuite effrénée de plus-value « dévore la planète » par le productivisme effréné qui la soutient, c) que ce système repose sur des rapports sociaux d’exploitation-domination (des travailleurs par les capitalistes, des « moins compétents » par les « plus compétents, des « non-nationaux » par les « nationaux », des femmes par les hommes, des « plus jeunes » par les « moins jeunes) alors il n’est de véritable lutte écologique que dans les luttes émancipatrices collectives qui permettront d’abattre ces rapports d’exploitation-domination pour les remplacer par des rapports égalitaires, solidaires et démocratiques.

Gilles Sarter

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