Qu’est-ce que l’espace public de Jürgen Habermas?

La notion d’espace public appartient à la théorie politique de la démocratie de Jürgen Habermas (L’Espace public, 1962). Deux idées sont essentielles à cette notion. D’une part, l’espace public est conçu comme la sphère sociale où la communication entre les citoyens produit l’opinion publique. D’autre part, c’est la sphère sociale au sein de laquelle les citoyens peuvent se constituer en force politique, capable de s’opposer aux pouvoirs privés ou d’exercer une influence sur l’État.

Pour Jürgen Habermas, l’espace public peut se comprendre comme un ensemble de « personnes privées » rassemblées pour débattre de sujets « d’intérêt public » ou « d’intérêt commun ».

Entre la fin du 18ème et le début du 19ème siècles, particulièrement en France et en Angleterre s’élabore un espace public bourgeois. Cet espace s’intercale entre la sphère de la vie privée et celle de l’État absolutiste. Il se construit concrètement, dans des lieux (des espaces publics) où les opinions privées peuvent être rendues publiques : salons, cafés, journaux, sociétés savantes ou philanthropiques, clubs, etc..

Cette construction de l’espace public bourgeois se produit en même temps que le passage d’une économie de « maître de maison », à une économie commerciale. Les bourgeois ne se contentent plus de gérer leur patrimoine, en « bon père de famille », mais tentent de contrôler les marchés. Dans cette perspective, l’espace public a pour vocation de servir de lieu de médiation entre la société et l’État, en rendant ce dernier responsable devant la première.

Concrètement, la construction de l’espace public repose d’abord sur l’exigence que les informations portant sur le fonctionnement de l’État, les lois, les politiques soient rendues publiques, afin qu’elles soient soumises à l’analyse critique de la société.

Elle répond aussi à la volonté de transférer « l’intérêt général » de la « société bourgeoise » à l’État, d’abord sous des formes prévues par la loi (liberté d’expression, liberté de la presse, liberté de réunion), puis, par le biais des institutions du gouvernement représentatif (parlement, etc.).

Sur le thème de l’espace public et de la démocratie, lire « Un régime politique de la réflexion collective« 

L’espace public désigne donc, d’une part, un mécanisme institutionnel qui rationalise la domination politique, en rendant les États responsables devant les citoyens (ou, au moins, certains d’entre eux, les bourgeois).

D’autre part et sur un autre plan, l’idée d’espace public désigne un type particulier d’interaction sociale. C’est l’idéal d’une discussion rationnelle et sans restriction des affaires publiques. Selon cet idéal, cette discussion doit être ouverte et accessible à tous les citoyens. Les inégalités de statut social entre les personnes doivent être mises entre parenthèses et les participants doivent pouvoir débattre d’égal à égal. Le résultat d’une telle discussion est censé produire une « opinion publique », au sens de « consensus rationnel portant sur le bien commun ».

Ces deux conceptions sont exposées par le libéral François Guizot, cité par Habermas, en 1820 : « C’est le caractère du système qui n’admet nulle part la légitimité du pouvoir absolu que d’obliger tous les citoyens à chercher sans cesse, et dans chaque occasion, la vérité, la raison, la justice, qui doivent régler le pouvoir de fait. C’est ce que fait le système représentatif : 1) par la discussion qui oblige les pouvoirs à chercher en commun la vérité ; 2) par la publicité qui met les pouvoirs occupés de cette recherche sous les yeux des citoyens ; 3) par la liberté de la presse qui provoque les citoyens eux-mêmes à chercher la vérité et à la dire au pouvoir »

La notion d’« espace public » telle que l’utilise Jürgen Habermas en vient à désigner un espace, dans les sociétés modernes, où la participation politique passe par le communication discursive.

Consulter aussi « Le public et la nature de l’État« 

L’espace public est l’arène où les citoyens débattent de leurs affaires communes. D’un point de vue conceptuel, ce espace est conçu comme distinct de l’État. C’est un lieu de production et de circulation de discours qui peuvent, en principe, être critiques envers ce dernier. L’espace public est également différent du marché. C’est une arène de débats et non un lieu d’achat et de vente.

Gilles Sarter

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