Mauss

Institution Sociale et Sociologie

Institution Sociale et Sociologie

Le concept d’institution sociale fait partie des concepts fondamentaux de la sociologie. Quels sont les usages qu’elle lui prête? Comment en aborde-t-elle l’étude?

L’Institution Sociale Objet de la Sociologie

Étymologiquement, le mot « institution » est construit sur la racine indo-européenne sta « être debout ». En latin in-statuere c’est « faire tenir ». Or les pères fondateurs de la sociologie française, Émile Durkheim et Marcel Mauss considèrent que la stabilité caractérise les sociétés humaines.

Ce qui « fait tenir » les sociétés se sont les catégories de pensée, les formes d’organisation et de pouvoir, les langues, les croyances collectives, les habitudes ou encore les règles de conduite qui préexistent aux individus.

La notion d’institution sociale désigne toutes ces représentations et manières de penser, d’agir, de sentir que les individus trouvent devant eux et qui s’imposent à eux.

Selon la conception des deux sociologues, les institutions sont élaborées par les êtres humains mais dans un mouvement créateur qui dépasse les consciences prises individuellement. Les règles, habitudes, normes, croyances collectives s’élaborent donc «  en dehors » des individus isolés. Elles viennent ensuite les surplomber. L’éducation et la socialisation leur apprennent à les reconnaître et à les respecter.

Ainsi les institutions constituent des faits sociaux par excellence. A ce titre, elles deviennent l’objet central de la sociologie. E. Durkheim et M. Mauss peuvent même dire que la sociologie est la science des institutions.

La Sociologie du « Bon-Ordre »

Dans cette tradition de pensée, les institutions sont des cadres, à la fois contraignants pour les individus et structurants pour la société. Or le contexte historique, pendant lequel les auteurs concernés élaborent leurs théories (fin du 19ème et début du 20ème siècle) est marqué par une inquiétude qui concerne la stabilité sociale.

Le danger leur semble venir, d’un côté, des tenants du retour aux institutions de l’Ancien Régime, qui menacent la Troisième République. D’un autre côté, des aspirations utilitaristes et individualistes qui se développent. Ces dernières veulent orienter la formation des institutions, vers la satisfaction des besoins et des désirs individuels. Cette tendance apparaît comme une contradiction en soi pour les sociologues. Par essence une institution sociale n’est pas constituée pour répondre à des intérêts privés. Le risque qu’ils envisagent est celui d’une anomie généralisée, qui produirait des individus désolidarisés.

Dans la lignée de E. Durkheim et M. Mauss, les sociologues s’attellent donc à une réflexion, portant sur la possibilité d’instaurer des institutions nouvelles, qui permettraient de maintenir la cohésion sociale.

Prenant acte de l’individualisme croissant, ils tentent aussi de comprendre comment des nouvelles formes stabilisées de pensée et de conduite pourraient être intériorisées par les individus.

Ce programme constructif se poursuit durant tout le 20ème siècle, dans le cadre d’une sociologie de la modernisation et du développement. Il est animé par la volonté de participer à la construction d’un ordre social solidaire et intégré. Talcott Parsons, par exemple, avance l’idée que la sociologie peut œuvrer à la stabilisation des « systèmes sociaux », par l’élaboration d’institutions adéquates et par l’obtention de l’adhésion des individus aux valeurs dominantes.

La Critique Sociale

Toutefois, la sociologie comme discipline du « bon ordre social » est bientôt rattrapée par ce qu’on appelle la « critique sociale ». Celle-ci adopte différents angles d’attaque à l’encontre des institutions.

Un premier registre qui est, par exemple, celui de la première École de Francfort s’intéresse à la dénonciation des fictions collectives. Il s’attache à déconstruire les fétiches, les « êtres collectifs » ou « entités collectives » (l’État, le langage, l’Église, le Capital, les identités sociales comme « cadres »…). Le sens commun traite les institutions comme s’il s’agissait de sujets qui parlent ou qui agissent de manière consciente : l’État s’engage à, décide que, agit pour… La démarche déconstructiviste détruit cette croyance en montrant la genèse, la construction sociale et l’hétérogénéité des institutions.

Christian Laval, Le destin de l’institution dans les sciences sociales, Revue du Mauss, 2016/2 n°48Une deuxième approche s’efforce de montrer comment les institutions mentent et se mentent à elles-mêmes, pour perdurer. Elles ont généralement d’autres fonctions que celles qu’elles prétendent avoir. Et à ce titre, elles sont souvent des instruments de domination cachés, au service des plus puissants. Pierre Bourdieu et Claude Passeron ont popularisé cette critique, à travers leurs travaux sur l’école.

Enfin, la troisième critique concerne plus spécifiquement les enfermements et les assujettissements institutionnels. L’école, l’hôpital, l’asile, l’usine… sont analysés comme des institutions totales et disciplinaires, au même titre que la prison (Michel Foucault, Erving Goffman, Robet Castel).

Deux Visions Contradictoires

De ces différentes approches découlent deux grandes conséquences sur le plan de la théorie. La première concerne l’élaboration d’une vision et la définition d’un programme de recherche qui opposent l’institution vue une comme forme « inerte » et aliénante du social, à la « vitalité » des mouvements sociaux et à la dynamique du conflit.

La seconde, en contradiction avec la précédente, met l’accent sur la possibilité et la nécessité de transformer les institutions elles-mêmes. En s’appuyant sur les résultats de la démarche déconstructiviste, ce courant théorique propose, par exemple, d’aborder la démocratie ou la révolution, comme des démarches d’auto-institution de la société par elle-même (Cornelius Castoriadis).

© Gilles Sarter


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Façons de Penser et Organisation Sociale

Façons de Penser et Organisation Sociale

E. Durkheim et M. Mauss postulent que les cadres de la pensée, ceux à partir desquels l’être humain comprend le monde qui l’englobe, sont en rapport étroit avec l’organisation sociale. Les sociologues ont formulé leur hypothèse, à partir de l’étude de la pensée classificatrice, dans les sociétés autochtones australiennes.

Conformisme Logique et Intégration Sociale

Le conformisme moral est souvent cité comme facteur d‘intégration sociale. Pour bâtir une communauté, les gens doivent partager des valeurs. En revanche, on oublie souvent, tant cela va de soi, que pour vivre ensemble, un minimum de conformisme logique est aussi nécessaire.

En effet, tout accord entre les individus et par conséquent toute vie commune seraient impossibles si les gens ne s’entendaient pas immédiatement sur des idées essentielles, comme les repères de temps, d’espace, de quantité mais aussi sur des opérations mentales comme l’induction, la déduction, les capacités de définir ou de classer…

A propos de ces opérations mentales ou logiques, l’apriorisme avance qu’elles sont immédiatement données à la constitution de l’entendement humain. Avec l’histoire, les Hommes auraient appris à se servir de mieux en mieux de ces fonctions. Mais les changements ne concerneraient que la manière de les utiliser, puisque ces cadres logiques seraient présents a priori, dès la naissance de l’humanité.

Catégories Logiques mais aussi Sociales

Émile Durkheim et Marcel Mauss proposent une autre hypothèse. Les catégories logiques sont des représentations collectives qui expriment des réalités sociales. Les notions fondamentales de l’entendement entreraient en rapport étroit avec l’organisation sociale. Dans un article de 1903, « De quelques formes primitives de classification », ils développent cette idée, à partir du cas de la fonction classificatrice.

Pour nous et nos contemporains classer les choses consiste à les ranger en groupes distincts les uns des autres. Que l’on pense, par exemple, aux tableaux de classification des êtres vivants avec leurs genres, classes, espèces : vertébrés, mammifères, carnivores, félins, chats… Notre conception scientifique de la classification repose sur l’observation de caractères et l’établissement de circonscriptions ou de délimitations bien arrêtées et définies.

En opposition avec les idées de l’apriorisme, E. Durkheim et M. Mauss n’admettent pas, comme une évidence, que les êtres humains ont commencé à établir des classifications tout naturellement, par une sorte de nécessité interne à leur entendement.

Les deux sociologues pensent qu’il faut, au contraire, rechercher ce qui a pu amener les Hommes à organiser les choses ou les idées de cette manière.

Rechercher l’Élémentaire

La méthode qu’emploient E. Durkheim et M. Mauss pour cette exploration est caractéristique de leur démarche sociologique. Ils ont la conviction qu’afin de comprendre un phénomène social, il faut remonter à l’élémentaire. Par une métaphore empruntée à la chimie, ils envisagent l’élémentaire comme ce à partir de quoi, par combinaison, on peut retrouver ou expliquer le complexe.

Appliquée au cas de la logique classificatrice, la méthode déployée consiste à rechercher les classifications les plus rudimentaires qu’aient faites les Hommes, afin de voir avec quels éléments elles ont été construites.

Les sociologues pensent trouver ces systèmes de classification les plus humbles, au sein des tribus australiennes.

Le type d’organisation sociale qui y est le plus répandu est celui de la tribu divisée en deux phratries dont chacune comprend à son tour des clans. Ces clans sont des groupes d’individus porteurs d’un même totem. En principe les totems d’une phratrie (totems du serpent, de la chenille, du kangourou, de l’opossum…) ne se retrouvent pas dans l’autre phratrie. Outre la division en clans, chaque phratrie est aussi divisée en deux classes matrimoniales. Cette organisation a pour objet de réguler les mariages. Une classe déterminée d’une phratrie ne peut contracter de mariage qu’avec une classe déterminée de l’autre phratrie.

Totems, Phratries et Classes Matrimoniales

Tous les membres des tribus australiennes se trouvent donc classés dans des cadres bien définis et qui s’emboîtent les uns dans les autres.

Or dans ce contexte social, la classification de toutes choses reproduit cette classification des Hommes. Les arbres, les plaines, les vents, la pluie, les étoiles, les animaux sont, selon les tribus, répartis entre phratries et classes matrimoniales ou entre phratries et clans.

Dans ce dernier cas, à un clan dont le totem serait, par exemple, le faucon pourraient aussi appartenir la fumée, le chèvrefeuille, l’éclair… Pour être plus précis, les choses ne sont pas seulement classées de manière dichotomique, mais aussi selon une inclusion hiérarchisée.

Si par exemple, une phratrie répondant au nom de Mallera est divisée en classes matrimoniales Kurgila et Banhe alors une chose, comme l’arbre à thé qui appartiendrait aux Kurgila serait aussi automatiquement Mallera. De la même façon, une chose, comme la fourmi qui serait Banhe, serait aussi Mallera. C’est au fond la même procédure logique que celle appliquée en taxonomie : le bouquetin appartient au genre capra, le mouton au genre ovin ; bouquetin et mouton appartiennent à la famille des bovidés qui englobe les genres ovin et capra.

Cette logique classificatoire est si importante, dans les tribus étudiées, qu’elle s’étend aux différents moments de la vie sociale.

Un sorcier de la phratrie Mallera ne peut utiliser que des choses Mallera pour exercer son art. Lors des funérailles Banbey, le bois et les branchages utilisés pour exposer le cadavre doivent provenir d’arbres et de plantes Banbey. Chez les Wakelbùra, les traces laissées par un animal qui passerait sous un échafaudage mortuaire permet de déterminer, par inférence, la classe ou la phratrie d’appartenance de la personne qui a causé la mort du défunt. La même logique s’applique aussi aux interdits alimentaires. Les clans ne peuvent consommer les objets comestibles végétaux ou animaux qui leurs sont rattachés.

Compréhension du Monde et Organisation Sociale

E. Durkheim avec M. Mauss mettent en rapport les principes de classification qu’ils observent, chez les Australiens, avec la structure tribale, au sein de laquelle ces principes se sont constitués. Ils en retirent l’hypothèse générale qu’il existe un rapport génétique, entre les opérations logiques à partir desquelles les Hommes construisent leur compréhension du monde et les organisations ou les agencements sociaux attenants.

Les deux auteurs soulignent que bien qu’étant profondément différentes, les classifications élémentaires peuvent être rapprochées des classifications scientifiques. D’abord parce qu’elles s’organisent en systèmes hiérarchisés. Les choses ne sont pas seulement assemblées en groupes distincts les uns des autres. Les groupes soutiennent des rapports définis les uns avec les autres et forment un tout cohérent.

Les deux types de classification se rattachent aussi parce qu’ils ont tous les deux un objectif spéculatif. Dans les deux cas, l’être humain essaie de rendre raison des relations qui existent entre les êtres. Il tente d’unifier sa connaissance du monde. En partant de concepts qui lui paraissent fondamentaux, il éprouve le désir d’y rattacher toutes les idées qu’il se fait des autres choses.

Chez les australiens, la notion du totem est cardinale. Elle nécessite de situer toutes les choses par rapport à elle. Peut-être pourrions-nous affirmer que la notion de pouvoir sous-tend le même genre de nécessité, au sein de nos sociétés.

C’est ainsi que Pierre Bourdieu pointe qu’une certaine vision globale totale, d’en haut, englobante et théorique est liée à la construction de l’État (« Sur l’État », Ed. Points, p.358).

© Gilles Sarter

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Magie Sociale : Jojo et les Imposteurs

Magie Sociale : Jojo et les Imposteurs

Certains agents sociaux peuvent tenir des discours d’autorité, d’autres non. La magie sociale, c’est l’opération collective qui (comme par magie) transforme un imposteur illégitime – quelqu’un qui tente de s’imposer à la reconnaissance des autres – en imposteur légitime dont l’autorité est reconnue par tous.

Récemment E. Macron s’est entretenu avec des journalistes. Le journal Le Point a donné un compte rendu de cet entretien. Nous y avons relevé ce passage : « [E. Macron] est convaincu (…) «qu’on est rentré dans une société du débat permanent». Grand consommateur de chaînes infos, il ironise : «Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député!» »

Énoncés informatifs et performatifs

Pierre Bourdieu, Le langage autorisé: les conditions sociales de l’efficacité du discours rituel, ARSS, novembre 1975

Les propos rapportés créent une confusion dans les idées. Ce qui est d’abord signifié, c’est qu’il y aurait, dans notre société, une tendance à vouloir débattre de tout. Mais, au sein de ce « débat permanent », toutes les voix ou tous les participants ne se vaudraient pas. Comme cette deuxième proposition est trop brutale et même carrément irrecevable, elle est exprimée sous-couvert d’une évidence qui veut dire autre chose : tous les individus n’ont pas le statut de ministre ou de député.

Essayons de comprendre où se situe la confusion. Il faut pour cela distinguer entre deux types d’énoncés.

Les énoncés informatifs ont pour fonction de transmettre des informations factuelles ou des opinions. Les énoncés performatifs ont pour fonction d’exécuter une action. On dit quelque chose et cela est.

Quand un président et un premier ministre disent : « Nous privatisons la gestion des barrages hydroélectriques français ». La parole est performative (depuis le 7 février 2018).

Quand un individu (mettons qu’il soit vêtu d’un gilet jaune) déclare : « Les barrages français génèrent un excédent brut de 2,5 milliards d’euros par an. Ils sont au cœur d’enjeux hydrauliques, énergétiques, environnementaux très importants pour la population française. Il serait donc préférable que leur gestion demeure publique ». La parole est de l’ordre de l’information et de l’opinion.

Débat et valeur de la parole

Ce qui rend une parole performative, c’est ce que E. Macron appelle le « statut » de celui qui parle. Dans le contexte de nos sociétés, les locuteurs qui se font obéir sont ceux que l’institution étatique reconnaît officiellement comme légitimes.

Policiers, juges, maires sont habilités à tenir des discours d’autorité. Sur ce plan, la parole d’un Gilet Jaune ne vaut pas celle d’un ministre.

Cependant, un débat n’est pas le lieu d’expression de paroles d’autorité. Un débat est un échange d’idées et d’opinions, dans lequel on ne s’intéresse pas au « statut » de celui qui parle mais à ce qu’il dit. C’est ainsi, nous apprend-on, que Socrate s’arrêtait dans la rue pour débattre avec des artisans, des poissonnières, des courtisanes…

Le débat suppose des interlocuteurs qui reconnaissent mutuellement leurs aptitudes à la vérité et à la raison.

Par ses propos, E. Macron tente de disqualifier l’aptitude à débattre des Gilets Jaunes. Les grandes questions économiques, sociales, politiques ce n’est pas pour eux, mais pour les représentants légitimés par L’État.

Cette réaffirmation de la confiscation de la parole des gens « ordinaires » intervient alors que ces derniers s’insurgent contre le monologue des représentants et de leurs « experts » (« Arrêtez de nous expliquer, on a compris! » lit-on sur une pancarte) et qu’ils cassent la magie sociale qui sous-tend l’autorité de ces derniers.

Magie sociale et autorité

Nous avons dit que, dans des contextes bien précis, les paroles d’un ministre ou d’un président possèdent une qualité performative. D’où leur vient cette dernière ? D’une délégation.

Le pouvoir des mots tient dans le fait que ceux qui subissent ce pouvoir reconnaissent l’autorité de celui qui parle. Et en se soumettant à cette autorité, ils oublient que c’est justement leur acte de soumission qui fonde cette dernière.

C’est à partir de l’étude du phénomène de la sorcellerie que H. Hubert et M. Mauss sont amenés à détailler ce mécanisme social. Dans les sociétés où ils existent, les sorciers sont initiés par des groupes restreints. Ces petits groupes peuvent fabriquer des sorciers parce que les communautés leurs délèguent ce pouvoir.

H. Hubert et M. Mauss, Esquisse d’une théorie générale de la magie, 1903 Les magiciens n’agissent donc pas en individus motivés par des intérêts personnels et dotés de moyens qui leurs sont propres. Au contraire, ils sont investis et engagés à croire en leur sorcellerie, par la communauté.

Les croyances des sorciers et celles des membres de la communauté ne sont pas différentes. Elles se reflètent l’une et l’autre. Le sorcier croit en l’efficacité de sa magie parce que le public y croit. Et le public y croit en raison du sérieux affiché par le magicien.

Les sorciers et tous les membres de la communauté se font accroire à eux-mêmes le pouvoir des premiers. C’est pourquoi même les actes de sorcellerie infructueux ne laissent pas de place au doute.

La magie sociale c’est ce phénomène de croyance généralisée qui génère une forme d’autorité.

Cette magie sociale opère aussi au sein de nos sociétés. Nous déléguons à des groupes restreints (partis politiques, ENA…) le pouvoir de fabriquer des représentants et des magistrats. Ces derniers, nous les investissons et nous les engageons à croire à leur autorité. Ils se font accroire entre-eux, ils nous font accroire et nous nous faisons accroire entre-nous à leur autorité.

Imposteurs illégitimes ou autorisés

Imaginons qu’un individu soit seul à prétendre qu’il est détenteur de l’autorité. S’il veut soutenir seul cette prétention, on le tiendra pour un imposteur. C’est-à-dire pour quelqu’un qui cherche à abuser les gens en leur faisant accroire qu’il possède une autorité, que personne ne lui reconnaît.

Mais s’il existe une croyance collective en l’autorité de cet individu ; si cette croyance s’impose à toute la collectivité, alors elle devient une vérité qui engendre sa propre vérification. C’est ça la magie sociale. L’autorité de l’individu repose sur le fait que tout le monde y croit.

L’imposteur légitime ne possède pas plus l’autorité que l’imposteur illégitime. On la lui prête seulement. Mais, grâce à la complicité des autres, il réussit à se faire accroire et à leur faire accroire qu’il la possède.

La magie sociale fonctionne parce que le transfert d’autorité est caché et transfiguré. Les gens oublient qu’ils l’ont déléguée à l’imposteur. L’autorité du représentant politique ou du sorcier apparaît alors comme une propriété, une qualité ou un don de sa personne.

A l’inverse, quand la magie sociale n’opère plus les délégués perdent leur capital symbolique ou leur charisme. Ils sont contraints de revendiquer l’autorité de manière explicite, parfois en recourant à la violence physique ou symbolique (qui va de la marque de mépris à l’insulte).

Pour en savoir plus sur la notion de capital symbolique

Mais en employant ces moyens, ils s’exposent à la réciprocité et contribuent à hâter l’effritement de la magie sociale. Au stade ultime quand la croyance collective est complètement effondrée, les imposteurs autorisés se transforment en imposteurs illégitimes.

© Gilles Sarter

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Les larmes sont aussi un fait social

Les larmes sont aussi un fait social

Lorsqu’on nous demande de donner des exemples d’institutions ou de phénomènes sociaux, tout un ensemble de réalités peut nous venir rapidement à l’esprit : le langage, les lois, les valeurs, les traditions… En revanche, peut-être que nous ne pensons pas spontanément aux modalités d’expression des sentiments (larmes, cris, gesticulations…). Pourtant, ces dernières appartiennent aussi à la catégorie des faits sociaux.

L’expression du chagrin

Marcel Mauss démontre à partir de l’exemple des rituels funéraires australiens que différentes manières d’exprimer les sentiments (cris, larmes, gesticulations…) sont fondamentalement des faits sociaux. A ce titre, elles ne sont pas spontanées mais imposées, formalisées et régulées.

Dans les populations autochtones d’Australie, les cultes des morts étaient très élaborés. Outre les chants ou les lamentations collectives, ils pouvaient inclure des séances de spiritisme et de conversation avec les défunts. Ces cérémonies étaient publiques, bien réglées et communautaires. A ce titre, les participants n’appartenaient pas seulement au campement du mort mais aussi aux communautés plus élargies (tribu, fraction de tribu).

Les rites les plus simples qui prenaient l’allure de cris ou de chants n’étaient pas aussi collectifs. Toutefois, nous allons voir qu’ils dépassaient tout-à-fait le cadre restreint de l’expression de sentiments individuels et spontanés.

Tout d’abord, c’était généralement à des moments précis ou à des occasions bien déterminées que les femmes abandonnaient leurs occupations quotidiennes pour s’adonner à des hurlements, des chants ou des invectives, à l’encontre du responsable présumé du décès (la mort était généralement considérée comme résultant d’actes de sorcellerie).

Marcel Mauss, Essais de sociologie, PointsPar exemple, le « cri pour la mort » était généralisé dans la région du Queensland. Il durait aussi longtemps que l’intervalle séparant le premier et le second enterrement du défunt. A des heures précises, notamment juste avant le coucher et le lever du soleil, tous les membres du campement hurlaient et pleuraient. Après ces manifestations ostentatoires, le camp reprenait son train-train habituel.

Parfois, plusieurs campements ayant des morts se rencontraient à l’occasion de foires, de regroupements pour la cueillette de noix ou pour des cérémonies d’initiation.

Ces rassemblements donnaient lieu à de véritables concours de lamentations.

Qui doit s’exprimer?

Ce n’étaient pas uniquement les moments ou les circonstances d’expression des peines et chagrins qui étaient fixés mais aussi les catégories d’individus obligés de le faire.

Généralement, il ne s’agissait pas des parentés de fait comme les pères, les fils ou les sœurs d’un même père… En revanche, les parentés de droit, les cognats, les simples alliés devaient manifester un maximum de chagrin. Chez les Warramunga, les beaux-frères hurlaient en recevant les biens du mort.

Le plus souvent, l’obligation d’exprimer du chagrin ou de la colère était dévolue aux femmes bien que le déroulement des cultes religieux était généralement réservé aux hommes.

Pourquoi les rituels funéraires appartenaient-ils aux femmes ? Peut-être parce ces dernières étaient considérées comme plus spécialement en relation avec les puissances malignes. Elles étaient souvent tenues pour être plus ou moins responsables de la mort de leurs maris. Par ailleurs, il était souvent interdit à l’homme de crier quel que soit le prétexte et en particulier la douleur.

Comme nous l’avons déjà dit, parmi les femmes ce n’étaient pas celles qui entretenaient des relations de parenté biologique avec le défunt (fille, sœur en descendance masculine,…) qui devaient pleurer mais celles déterminées par des relations de droit, comme « les » mères et « les » sœurs en général (les campements fonctionnaient en parenté par groupes) et la veuve du mort.

Les femmes en charge des lamentations et des pleurs se soumettaient aussi à des mortifications cruelles qui entretenaient leurs douleurs et leurs cris.

Ces macérations n’excluaient nullement la sincérité des sentiments de chagrin et de colère exprimés.

Expressions symboliques

A tous les éléments conventionnels évoqués (définition des catégories de personnes concernées, moments et modalités d’expression), il faut ajouter la nature et le contenu des lamentations.

L’expression des sentiments était toujours à quelque degré musicale. A minima, elles étaient rythmées et poussées à l’unisson. Mais parfois, elles prenaient la forme de refrains, de chants ou de chœurs alternés.

Cette musicalité témoigne assez l’origine sociale des formes de manifestation  de chagrin. Mais même lorsqu’elles se limitaient à des cris collectifs, elles acquéraient de ce fait une efficacité d’expulsion du maléfice.

Finalement, l’expression des sentiments de chagrin, de colère et de peur liée à la mort était tout-à-fait régulée et conventionnelle, chez les Australiens. Les modalités et les moments d’expression ainsi que les catégories de personnes concernées étaient définies socialement. Toutefois, ce caractère social n’enlevait rien à l’intensité, à la violence et au naturel des sentiments.

Mais de ce fait, ces manifestations sentimentales étaient bien plus que personnelles, elles devenaient symboliques.

Les personnes qui étaient obligées de les manifester les manifestaient certes pour elles-mêmes mais aussi pour le compte des autres, sous une forme d’expression comprise par les autres.

L’expression du chagrin et de la colère lors du deuil était une manière de sentir et d’agir élaborée socialement. C’est dire qu’elle s’imposait aux individus qu’ils le veuillent ou non.

Découvrez d’autres articles d’ethnologieQui doit et ne doit pas manifester son chagrin, sa peur, sa colère, sa frustration…? Selon quelles modalités et quelle intensité? A quels moments, dans quelles situations, en présence de qui? Pour comprendre les sentiments on ne peut se limiter à l’examen de leurs dimensions physiologiques et psychiques.

En accord avec l’enseignement de Marcel Mauss et d’Émile Durkheim, ils doivent aussi être abordés comme des faits sociaux.

© Gilles Sarter

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Les Trois Logiques du Don

Les Trois Logiques du Don

Par ses travaux fondateurs, Marcel Mauss a montré l'importance du don, parmi les transactions économiques qui ont cours au sein des sociétés humaines.

David Graeber poursuit cette analyse. Il avance que trois logiques différentes peuvent motiver la pratique du don : le communisme, l'échange et la hiérarchie.

La construction de l'homo œconomicus

Marcel Mauss dans son Essai sur le don (1924) écrit que l'homo œconomicus, l'homme économique, n'est pas derrière nous. Il est devant nous.

L'anthropologue rejette la thèse selon laquelle l'être humain serait par nature individualiste, calculateur et strictement orienté vers la recherche d'un profit égoïste.

L'homo oeconomicus est plutôt le résultat d'un modelage social et culturel.

De fait, cette description de l'être humain en être économique est récente. Elle succède à la banalisation du mercantilisme en Europe Occidentale. Pour Marcel Mauss, on peut dater le triomphe des notions de profits et d'intérêts individuels à peu près à l'époque de Mandeville et de sa Fable des Abeilles (1714).

C'est à partir de l'observation de pratiques économiques particulières (usage de la monnaie, tenue de registres comptables, calcul mathématique de l'intérêt...) qu'aurait été élaborée cette théorie de l'Humain et de la société : nous sommes individualistes et indépendants par nature ; nous n'agissons qu'en fonction de notre intérêt et de notre amour-propre ; la vie en société ne tient qu'à des relations contractuelles ; seul le marché est en mesure d'harmoniser nos intérêts rivaux.

Karl Polanyi a appelé "tromperie économiste", cette illusion qui consiste à établir de grandes généralités, à partir de l'examen de la forme spécifique de l'économie de marché.

Lire aussi notre article sur la critique de l'économicisme par K. PolanyiMais cette représentation d'un animal économique est très fragile, tant elle est démentie aussi bien par l'anthropologie que par notre expérience quotidienne.

La diversité des transactions économiques

Marcel Mauss, en son temps, a souligné la coexistence de différentes formes de transactions économiques, dans toutes les sociétés humaines. Usage de la monnaie et troc, partage égalitaire et individualisme, calculs intéressés et dons gratuits sont à peu près partout présents simultanément, de la plus haute antiquité à nos jours.

David Graeber a voulu tenir le cap de cette proposition.

La société est constituée d'un amalgame de comportements et de principes moraux disparates voire contradictoires. Il s'agit de rendre compte de cette diversité afin de rompre avec les visions totalisantes : la vie comme marché et les individus comme entrepreneurs.

Dans cette perspective, David Graeber s'est intéressé à la diversité des formes de don.

Généralement, nous abordons comme une seule et même chose toutes ces transactions qui ne reposent sur aucun paiement. Pour sa part, l'anthropologue montre que trois logiques différentes peuvent sous-tendre ce que nous désignons comme des dons. Il s'agit du communisme, de l'échange et de la hiérarchie.

Le communisme

David Graeber appelle communisme la forme de relation humaine qui repose sur le principe "de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins". Ce faisant, il propose de rompre avec la conception du communisme centrée sur l'idée de communauté de propriété.

Son idée est de montrer qu'une forme de "communisme de tous les jours" ou "communisme de base" s'exerce dans notre vie quotidienne. A ce titre, il s'agit d'un principe moral et non pas d'une forme de propriété collective.

Ce communisme de tous les jours se manifeste sous la forme de solidarité, d'entraide ou de convivialité. Selon ce principe, chaque fois qu'une personne peut en aider une autre, sans attendre de contrepartie et sur un plan strictement égalitaire, elle le fait.

Le principe "de chacun selon ses capacité, à chacun selon ses besoins" s'actualise dans les civilités ordinaires : une passante aide un aveugle à traverser la chaussée ; une personne effectue une course pour son conjoint ; un employé aide son collègue à soulever une charge ; un convive passe le sel à son voisin...

Tous les services rendus et les dons effectués de parents à enfants, entre amis ou entre voisins ou encore à destination des plus démunis entrent aussi dans cette catégorie.

Dans un contexte différent, Marshall Sahlins (Age de pierre, âge d'abondance) montre qu'au sein des communautés de chasseurs-cueilleurs, la nourriture collectée est toujours consommée en commun, sans considération de rétribution ou de réciprocité à l'égard de celui qui la procure.

D. Graeber, Les fondements moraux des relations économiques, Revue du MAUSS, 2010/2, n°36.Peter Freuchen (cité par Graeber) découvre lors d'un séjour chez les Inuits qu'il ne faut jamais remercier pour de la nourriture. Voici ce que lui enseigna un chasseur :

"Dans notre pays, nous sommes humains ! Et comme nous sommes humains, nous nous aidons les uns les autres. Nous n’aimons pas entendre quelqu’un nous dire merci pour cela. Ce que j’ai attrapé aujourd’hui, tu peux très bien l’attraper demain."

Je voudrais ajouter que le principe "de chacun selon ses capacités..." peut aussi s'appliquer sur un plan immatériel.

Dans le Dhammapada, l'un des plus anciens textes bouddhiques, il est écrit : "Jamais haine n'apaisa haine, mais absence de haine le fait" (I,5).

Jean-Pierre Osier, dans les notes qui accompagnent sa traduction, explique qu'il faut se garder d'attribuer un sens négatif à "absence de haine". Le terme original "avera" est équivalent à "apaisement" qui comporte un aspect affirmatif. Il s'agit donc bien d'une capacité.

Dans une relation entre deux personnes l'une possède la capacité d'apaisement, l'autre pas. Celui qui la possède l'exprime face à la manifestation d'hostilité. Non par calcul, par intérêt ou par recherche de gratification mais simplement parce qu'il est en mesure de le faire. Or c'est justement d'apaisement qu'a besoin celui qui manifeste sa haine : "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins."

L'échange

L'échange est fondé sur une autre logique que le communisme. Ici la réciprocité tient une place centrale. L'échange illustre le processus que Marcel Mauss contribua à populariser : le don engage un contre-don.

A ce titre, nous échangeons en permanence : des biens, des cadeaux, des salutations, des compliments, des invitations...

Chaque partie donne en fonction de ce qu'elle reçoit. L'équivalence exacte du don et du contre-don n'est pas toujours requise. Par exemple, un anthropologue qui remerciait un éleveur nomade marocain pour son hospitalité se vit répondre que des hôtes de passage, il n'attendait rien d'autre que des prières.

En revanche, il est notoire que dans le même contexte, les familles tiennent un juste compte des cadeaux offerts lors des mariages. La coutume veut que l'on rende "un peu plus" lorsqu'on se retrouve invité à son tour.

Ce processus d'aller-retour joue un rôle dans l'entretien des relations sociales. Ne disons-nous pas que les cadeaux entretiennent l'amitié ? Et mettre fin à l'échange peut aussi permettre de mettre fin à la relation.

A ce titre, l'échange se distingue du communisme. Ce dernier s'inscrit dans l'éternité. Rien ne met fin aux actes de solidarité dans la mesure où aucune contrepartie n'est attendue. En revanche, le contre-don clôt l'échange sauf en cas de surenchère, comme nous l'avons expliqué au sujet des cadeaux de mariage au Maroc.

La hiérarchie

Par hiérarchie, David Graeber entend les dons qui s'effectuent entre des partenaires dont l'un est socialement supérieur à l'autre. Les frontières sont strictement tracées entre le supérieur et son inférieur.

Et cette différence de position est clairement acceptée par les deux parties. Une fois que les liens sont noués entre eux, les dons ne reposent pas sur un arbitraire mais sur tout un ensemble de coutumes et de précédents.

Cette logique est caractéristique des liens entre les seigneurs et leurs vassaux, les patriarches et leurs protégés ou encore entre les dames patronnesses et leurs pauvres.

Les travaux ethnographiques de Pierre Bourdieu (Le sens pratique) sur la relation entre le propriétaire terrien et son métayer (khammès) en Kabylie permettent de l'illustrer. Les échanges de dons et de services entre les deux catégories d'acteurs sont précisément codifiés par des règles explicites et par des traditions.

Par exemple, le propriétaire donne lors des célébrations des événements familiaux du métayer (constitution des dots des fiancés, organisation des fêtes de mariage, aide lors des funérailles...). Il peut payer des soins en cas de maladie, prêter un animal de labour, aider à financer les études d'un enfant... Il joue aussi son rôle de protecteur ou d'intercesseur en cas de conflits ou de litiges avec d'autres membres de la communauté ou avec des agents de l’État.

Lisez aussi notre article sur don et capital symboliqueEn échange, le métayer fournit une part de sa récolte, sa force de travail et celle de ses fils (récolte, construction d'un bâtiment, gardiennage des troupeaux...). Il fait des petits dons en nature (produits de la basse-cour, fruits...) lorsqu'il rend visite à son propriétaire.

De manière générale, les dons échangés ne reposent pas sur la réciprocité. Les protagonistes ne sont pas égaux dans la relation. Le métayer est pour ainsi dire placé en situation de dette perpétuelle. Il se voit comme redevable. Il pense qu'il ne pourra jamais rendre à hauteur de ce que son propriétaire-protecteur lui donne.

Mais le propriétaire lui non plus n'est pas libre de se soustraire à ses obligations de donner. S'il le faisait, il perdrait son statut.

En somme, ce sont les relations de dons tissées entre les acteurs qui définissent leurs identités respectives de protecteur et de protégé.

Pour conclure

Les trois principes du communisme, de l'échange et de la hiérarchie sous-tendent les pratiques quotidiennes humaines. Le commerce n'est qu'une composante de la vie économique parmi d'autres. Le calcul intéressé et égoïste constitue l'une de nos motivations à agir mais ce n'est pas la seule.

Ce qui est important c'est de définir quelles sont les modèles ou les logiques qui doivent modeler nos sociétés.

Comme l'écrit Marcel Mauss, si le commerce permet d'envisager la vie humaine d'une certaine manière, rien ne nous empêche de concevoir aujourd'hui la vie tout autrement.

Pour cela une révolution politique est nécessaire. Il faut encourager le développement de toutes les institutions fondées sur des logiques alternatives jusqu'à déloger le mercantilisme des positions qu'il n'a pas lieu d'occuper.

© Gilles Sarter


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Aux origines de l’individualisme moderne

Aux origines de l’individualisme moderne

Les seules variétés d'êtres humains que l'on puisse différencier, écrit Louis Dumont, sont des variétés sociales. A ce titre, l'individualisme moderne, colore fortement la variété d'humains que nous sommes. Bien qu'elle nous paraisse naturelle, la conception de l'individu qui fonde cette idéologie n'est pas universelle et possède une histoire.

L'individualisme dans l'idéologie moderne

La notion d'individu peut être envisagée selon deux définitions.

La première évoque un être humain agissant et pensant. L'individu, c'est un échantillon de l'espèce Homo sapiens.

La seconde désigne un sujet moral et indépendant, c'est-à-dire essentiellement non social. Cette conception fonde notre idéologie individualiste moderne.

Cet ensemble d'idées et de valeurs érige l'individu en un absolu. Son bonheur ou sa souffrance nous apparaissent comme ce qu'il y a de plus important. Et il vaut davantage que la totalité sociale, qui lui est subordonnée.

Si cette conception est bien ancrée dans notre mentalité, elle ne va pourtant pas de soi. Et il est certain qu'elle n'a pas prévalu dans tous les contextes sociaux, ni à toutes les époques.

Les sociétés à personnages

Marcel Mauss rapporte que, chez les Amérindiens des Pueblos Zuni, on conçoit le clan comme constitué d'un certain nombre de personnages. Ces derniers sont représentés par un nombre déterminés de prénoms qui sont donnés aux personnes réelles.

Marcel Mauss, "Une catégorie de l'esprit humain : la notion de personne" (1938).Les définitions exactes des rangs occupés, dans la configuration du clan, ainsi que des rôles sociaux, politiques, religieux joués par les gens sont attachées aux noms qui leurs sont donnés. En agissant conformément à leur statut, les personnes assurent la reproduction de toute la vie du clan, des choses et des dieux.

Au sein des communautés Kwakiutl d'Amérique du Nord, on envisage que les ancêtres se réincarnent et revivent dans les corps des hommes qui portent leurs noms. Ici aussi, la perpétuité des âmes est assurée par la perpétuité des noms et des places qui leur correspondent dans les rituels.

Dans ces deux contextes sociaux, écrit Marcel Mauss, les gens agissent "es qualités". Ces qualités sont celles associées au personnage-ancêtre dont ils constituent la forme actualisée. Chaque personne est responsable de tout son clan, sa tribu et même de l'univers qui l'englobe.

La conception d'un individu détaché de sa communauté et dont les intérêts primeraient sur la totalité n'existe pas. A l'inverse, c'est la personne humaine qui est subordonnée à la communauté

Une idéologie similaire prévaut dans la société des castes, en Inde.

La société de castes et les "renonçants"

En Inde, depuis plus de deux milles ans, la société est organisée en castes. Pour Louis Dumont, cette forme d'organisation sociale est caractérisée par deux valeurs suprêmes.

Louis Dumont, "Homo hierarchicus: Essai sur le système des castes" (1967).La première est la soumission à la hiérarchie. Elle s'oppose à l'égalitarisme qui a cours dans les sociétés modernes, où tout être humain vaut autant qu'un autre.

A cette première valeur est adjointe la conformité à l'ordre. Comme dans les sociétés amérindiennes évoquées plus haut, chacun doit se conformer à son rôle. Les besoins de chaque élément sont ignorés ou subordonnés à ceux de la société considérée comme formant un tout.

Dans la société des castes, la soumission à la hiérarchie et à l'ordre maintiennent chacun dans une interdépendance étroite et contraignante.

Toutefois, Louis Dumont rappelle, qu'à toutes les époques, une voie du renoncement a existé, en Inde. Elle a permis à ses adeptes d'acquérir une forme d'indépendance.

Le "renonçant" - dont Bouddha constitue peut-être, pour nous, l'exemple le plus familier – cherche à se suffire à soi-même. Il consacre sa vie à la connaissance de soi et à son propre progrès.

Cette préoccupation de soi lui confère une similitude avec l'individu moderne. Ce qui l'en distingue, c'est que contrairement à nous, le renonçant tourne le dos à la vie sociale. Il part symboliquement ou effectivement pour la forêt.

Aussi l'anthropologue appelle-t-il les adeptes du renoncement, des "individus-hors-du-monde" ou "individus-extra-mondains".

Les philosophies hellénistiques

La thèse de Louis Dumont consiste à dire que la conception moderne de l'individu – qui est "individu-dans-le-monde" – découle de l'émergence et de la longue évolution en Occident, de la forme de l' "individu-hors-du-monde".

La figure de l'"individu-extra-mondain" est indéniablement présente dans les mondes hellénistiques et romains, ainsi que dans le christianisme des premiers siècles.

Louis Dumont, "Essais sur l'individualisme" (1983).Les écoles épicuriennes, stoïciennes, cyniques ou sceptiques enseignent la sagesse. Et le sage est avant-tout celui qui se suffit à lui-même. Il se définit par le détachement, l'indifférence ou, tout au moins, par la relativisation à l'égard des valeurs mondaines.

Si le sage est malgré tout conduit à agir dans le monde, à l'instar des stoïciens à Rome, ses actions ne peuvent être bonnes. Elles sont seulement préférables à celles du commun.

La réussite du christianisme, dans le contexte culturel hellénistique et romain, est vraisemblablement liée au fait qu'il véhiculait une forme d'individualisme similaire à ces philosophies.

Le christianisme des origines

Selon l'enseignement de Jésus, puis des premiers Pères de l’Église, l'âme individuelle jouit d'une valeur unique et éternelle du fait de sa filiation divine. La notion d'individu se fonde donc sur une caractéristique extra-mondaine.  Dans le même temps, un égalitarisme absolu prévaut entre les êtres humains : "les chrétiens se rejoignent dans le Christ."

Si d'un côté, le monde n'est pas complètement condamné, comme chez les gnostiques, en revanche, la dignité appartient à Dieu seul.

La propriété privée des choses matérielles et la richesse sont considérées comme des empêchements au Salut. Quant à la subordination politique, elle est acceptée comme faisant partie des contradictions inhérentes à la Chute et à la vie en ce bas monde.

L'individu chrétien se conçoit essentiellement hors-du-monde dans la mesure où il est avant tout individu-en-relation-à-Dieu.

La relation de l’Église à l’État

Cette conception va subir une évolution qui est étroitement liée à l'histoire de la vision par l’Église de sa relation à l’État.

D'abord la conversion des empereurs romains au christianisme, à partir du 4ème siècle, implique une relation plus étroite de l’Église avec l’État.

Une autre étape est marquée, vers 500. Le pape Gélase produit une théorie selon laquelle le prêtre est subordonné au roi, dans les questions touchant l'ordre public. Sur le plan du salut, la hiérarchie est inversée. Or le salut constitue le niveau suprême de considération.

L’Église est dans l'Empire pour les affaires mondaines et L'Empire est dans l’Église pour les choses divines.

Surtout, c'est à partir du 8ème siècle qu'un changement radical est opéré par la hiérarchie ecclésiastique. Les papes rompent avec Byzance. Étienne II confirme Pépin, roi des Francs, dans sa royauté et en fait le protecteur de l’Église romaine. Cinquante ans plus tard, à Rome, Léon III sacre Charlemagne empereur, le jour de Noël de l'an 800.

Pour la première fois, les papes s'arrogent un ascendant politique : en s'affranchissant de la tutelle byzantine et en transférant le pouvoir impérial vers les royaumes francs ; en obtenant la reconnaissance de droits et de territoires en Italie.

Avec ces revendications politiques, une rupture idéologique est entérinée. Le divin va dorénavant régner sur terre, par l'intermédiaire de l’Église qui va devenir mondaine, dans un sens où elle ne l'était pas.

Vers l'individu comme valeur suprême

Cette révolution idéologique engage une nouvelle conception de l'individu chrétien. D'extra-mondain, celui-ci devient profondément engagé dans les affaires sociales et politiques.

Découvrez nos autres articles d'ethnologiePour parvenir jusqu'à l'individualisme qui nous est familier, cette conception connaîtra encore des développements et des évolutions, avec la Renaissance, la Réforme et particulièrement le calvinisme, puis avec les Lumières, la montée de la bourgeoisie...

Toutefois la tête de pont est jetée. Dès cette époque, un glissement idéologique décisif est opéré, celui de la conception d'un "individu-hors-du-monde" vers un "individu-dans-le-monde".

Louis Dumont, par ses conclusions, nous conduit à méditer sur ce fait :

Le processus qui a conduit à la primauté de l'individu serait sorti d'une religion. Religion qui le subordonnait totalement à une valeur transcendante.

Gilles Sarter

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Capital symbolique, don et contre-don

Capital symbolique, don et contre-don

Le don oblige. A ce titre, il a partie liée avec le pouvoir et la domination. C'est l'un des enseignements que livre l' Essai sur le don (1924), de Marcel Mauss.

C'est en poursuivant l'analyse de la logique du don et du contre-don que Pierre Bourdieu a forgé la notion de capital symbolique. Ce concept occupe une position centrale parmi les instruments de sa pensée.

Don et hiérarchie : le potlatch

Lors des cérémonies du potlatch (Amérique du Nord) et du kula (Papouasie), le don intervenait pour fixer les hiérarchies et les alliances politiques.

Franz Boas (1858-1942) a observé que les Indiens Kwakiutl de la côte nord-ouest des États-Unis, passaient l'hiver dans une fête perpétuelle qu'ils appelaient potlatch.

Les festivités rassemblaient plusieurs tribus, pour des échanges de cadeaux entre les représentants des communautés. Ces libéralités pouvaient aller jusqu'à la destruction somptuaire des richesses.

Le but poursuivi au cours de cette « lutte de générosité » était d'établir une hiérarchie entre les nobles. Le plus fort était celui qui avait offert le plus de richesses.

Des profits ultérieurs rejaillissaient sur le clan du vainqueur.

Don et alliances: le kula

Autre institution fondée sur le don, le kula, a été étudiée par Bronislaw Malinowski (1884-1942). Dans les îles Trobriand (Papouasie Nouvelle-Guinée), le kula concernait les chefs de flottes et de villages. Il revêtait deux formes.

Lors des grandes expéditions maritimes, on partait sans rien à échanger et sans rien demander. On affectait de seulement recevoir l'hospitalité, la nourriture et les cadeaux de la tribu visitée.

A charge de la tribu visiteuse de recevoir ses hôtes, l'année suivante et de rendre les cadeaux avec usure.

Dans les kula de moindre envergure, les chefs s'échangeaient des cadeaux précieux (brassards de coquillages et colliers). Ces dons s'effectuaient de manière très ritualisée et solennelle. Toute la tribu s’enorgueillissait des bijoux reçus par son chef.

Mais celui-ci ne devait pas être trop long à se défaire de ces présents, lors de kula suivants. La circulation des bijoux devait être incessante.

L'enjeu de cet entrecroisement de cadeaux était de tisser des liens durables, de proscrire la haine et la guerre, entre les protagonistes.

Le hau : l'âme de la chose donnée

Dans le potlatch aussi bien que dans le kula, ce sont les mêmes mécanismes d'obligation par le don qui jouent.

Mais quelle est cette "force" présente dans le don qui fait que les deux protagonistes se sentent attachés l'un à l'autre ?

Marcel Mauss élabore une réponse à cette question, à partir de l'examen du concept de hau. Chez les Maori (Nouvelle-Zélande), une catégorie d'objets (nattes de mariage, décorations, talismans) répondait au nom de taonga.

Les théories de Marcel Mauss ont donné naissance au Mouvement anti-utilitariste dans les sciences-sociales (M.A.U.S.S.)Ces objets étaient fortement attachés à la personne, au clan, par un hau. Il s'agissait d'une sorte de pouvoir spirituel dont les taonga étaient le véhicule. Il s'en suivait qu'offrir ces objets s'accompagnait d'un transfert du hau.

On comprend que dans ce système d'idées, il fallait rendre au donateur initial ce hau qui constituait une parcelle de sa substance. Pour ce faire, le donataire offrait un autre taonga, nouveau véhicule du hau.

L'obligation de réciprocité

De cette analyse, Marcel Mauss retire une certaine compréhension du lien créé par la transmission d'un don.

"Présenter quelque chose à quelqu'un, c'est présenter quelque chose de soi (…) Accepter quelque chose de quelqu'un, c'est accepter quelque chose de son essence spirituelle, de son âme."

Ainsi, la conservation de la chose serait dangereuse et mortelle car elle donnerait prise magique et religieuse sur le donataire.

Si le don a partie liée avec l'autorité ou le pouvoir d'agir sur autrui (y compris celui d'en faire un allié), c'est parce qu'il implique systématiquement l'obligation de la réciprocité.

Tout don appelle un contre-don. Le contre-don peut prendre une forme différente de celle du don. En contre-partie d'un objet on peut rendre une prière, une bénédiction. A la suite d'un service rendu, on peut offrir un repas...

Mais tant que la réciprocité n'est pas accomplie, le donataire reste dans la dépendance du donateur.

L'écran du temps

Dans son analyse des mécanismes du don (Le sens pratique, 1980), Pierre Bourdieu met l'accent sur le rôle de cette durée particulière qui peut séparer un don de sa contrepartie.

L'intervalle de temps entre le don et le contre-don peut avoir pour fonction de faire écran entre les deux actes. Il leur permet ainsi d'apparaître comme uniques et sans lien.

Une multitude de formes de dons parcourent les communautés traditionnelles et rurales kabyles  : présents effectués lors des grandes et des petites célébrations de la vie familiale (mariage, naissance, première lactation d'une vache, récolte...), fêtes religieuses, festins organisés dans les mêmes occasions et pour la réception d'hôtes à l'improviste, services et prestations offerts dans le cadre de travaux agricoles (prêts d'animaux, renfort de main d’œuvre pour construire un bâtiment ou pour la récolte...).

Dans ce contexte culturel, la contrainte est très grande. Et la liberté de ne pas rendre un don est infime. Mais la possibilité existe quand même et donc la certitude n'est pas absolue.

"Tout se passe donc comme si l'intervalle de temps (...) était là pour permettre à celui qui donne de vivre son don comme un don sans retour. Et à celui qui rend de vivre son contre-don comme gratuit et non déterminé par le don initial."

Par exemple, plusieurs mois s'écoulent entre le prêt d'un bœuf pour labourer un champ (don de force de travail) et le contre-don, sous la forme de grains. Pendant tout ce temps, le propriétaire de l'animal et l'emprunteur refoulent la vérité objective de ce qu'ils font.

La générosité comme habitus

Au moment du prêt, le propriétaire ne dit pas "tu me donneras du blé en échange du fait que je te prête un bœuf" ou "tu me rendras au moment de la récolte." Non. Il laisse l'échéance et la valeur du contre-don dans le vague.

Ainsi, chacun des deux actes, le prêt du bœuf et le don de céréales peuvent apparaître comme deux démonstrations indépendantes de générosité.

Si cette occultation du donnant-donnant fonctionne, c'est parce que les deux hommes sont pré-disposés à adopter des comportements généreux. Ils ont appris à valoriser les actes dépourvus d'intentions ou de calculs.

Depuis l'enfance, ils sont immergés dans une société où le don est institué dans les faits (dans les multiples circonstances que nous avons décrites) et dans les corps, comme habitus.

Par le langage verbal (les injonctions du groupe ou la culture orale), par l'observation des situations de l'existence ordinaire ou par les suggestions silencieuses (regards approbateurs, airs de reproches...), les agents ont acquis des dispositions à donner, à se montrer généreux, à apprécier la générosité.

Les pratiques généreuses participent au sens de l'honneur qui régit l'ensemble des conduites sociales. Cet ensemble de dispositions, cet habitus, est partagé par tous les membres de la communauté.

C'est ainsi que dans la situation du prêt de l'animal, les villageois s'accorderont à dire que les deux agriculteurs ont fait ce qu'il y avait à faire. Que ça allait de soi. Qu'il n'y avait pas autre chose à faire pour des hommes d'honneur.

A lire aussi notre article sur la notion d'habitusEt de chacun des deux agriculteurs, on pourra dire : "Quel honnête homme ! Quel homme généreux !"

Le capital symbolique

Dans le cadre de la société kabyle, tout se passe donc comme si le don n'appelait plus un contre-don.

Comme si la reconnaissance de la dette se transformait en reconnaissance tout court. C'est-à-dire en sentiment durable à l'égard de l'auteur de l'acte généreux.

Cette reconnaissance bien sûr appelle des profits matériels. L'homme reconnu pour sa générosité est aussi celui qui bénéficiera des plus grandes libéralités. Celui sur qui l'on sait pouvoir compter sera celui à qui on prêtera volontiers assistance. Sans même qu'il ait besoin de le demander.

Cette sorte de reconnaissance qui exerce des effets, qui attire des profits, c'est ce que Pierre Bourdieu appelle le "capital symbolique".

Le capital symbolique est une propriété (générosité, sens de l'honneur,...) qui lorsqu'elle est perçue par les agents sociaux devient efficace, "telle une véritable force magique" : on donne un ordre et on est obéi ; on sollicite un service, on l'obtient ; on est reçu comme hôte et l'on jouit de la meilleure hospitalité...

La condition cruciale, essentielle et nécessaire de la transformation d'une propriété en capital symbolique, c'est sa reconnaissance par les agents.

Or comme on l'a vu, cette reconnaissance n'a rien d'un acte intentionnel ou d'une croyance expressément professée et révocable. Elle repose au contraire sur un habitus, sur un ensemble de prédispositions à reconnaître et à évaluer le capital symbolique. Cet habitus fonctionne sur un mode pré-réflexif.

L'importance du contexte social

Tout habitus est propre à un contexte social.

Pour cette raison, une propriété qui est convertible en capital symbolique dans un environnement social ne l'est pas forcément dans un autre. Par exemple, le sens de l'honneur ou de la générosité confèrent moins de capital symbolique dans les sociétés modernes que la fortune, les diplômes ou les fonctions professionnelles.

De la même façon, lors de mutations sociales importantes, le capital symbolique peut se déplacer vers de nouvelles propriétés. C'est ce qui se passe lors du passage de la société de l'honneur à la société capitaliste.

Les stratégies des agents, leurs critères d'appréciation et d'évaluation des comportements sont transformés. Le prêt d'un bœuf sans spécification de la contre-partie n'est plus considéré comme un acte de générosité qui confère du prestige. Au contraire, il apparaît comme signe de naïveté, d'irrationalité ou de non sens.

Il en est autrement lorsque le propriétaire sait évaluer la valeur monétaire que représente le prêt de l'animal. S'il sait, en plus, tirer un bénéfice de la location, il acquiert du capital symbolique. On le "considère" et on lui témoigne le respect dû à un gestionnaire avisé. On apprécie en lui l'homme d'affaires qui sait faire fructifier son bien.

Le concept de capital symbolique occupe une place centrale parmi les instruments de la pensée de Pierre Bourdieu.

Il l'a mobilisé pour l'analyse de différents phénomènes sociaux : univers de l'art, domination masculine, fonctionnement de l’État dans les sociétés modernes... Nous aurons l'occasion d'en reparler.

© Gilles Sarter


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