Exploitation

Reproduction contradictoire des rapports capitalistes de classe

Reproduction contradictoire des rapports capitalistes de classe

La théorie de la reproduction contradictoire des rapports capitalistes de classe forme, selon Michael Burawoy et Erik Olin Wright le cœur du marxisme sociologique. Quel est le contenu de cette théorie ?

1- Rapport d’exploitation et classes sociales

Pour commencer, la notion de rapport d’exploitation est au centre de la théorie de la reproduction contradictoire des rapports capitalistes de classe.

Lire un article sur le rapport d’exploitation

Dans le mode de production capitaliste, le rapport d’exploitation se concrétise par le fait que la plupart des gens sont exclus de la possession des moyens de production. De ce fait, ils n’ont pas d’autre possibilité, pour subsister, que de vendre leur force de travail. Quant aux propriétaires des moyens de production, ils prospèrent en s’appropriant la part de valeur qui est produite par le travail de leurs employés et qui excède la rémunération de ces derniers.

Autrement dit le rapport d’exploitation repose sur trois principes : (1) l’exclusion ; la masse des gens est tenue à l’écart de la propriété des moyens nécessaires à leur propre reproduction ; (2) l’appropriation de l’effort d’autrui ; les capitalistes s’emparent d’une part de la valeur produite par les travailleurs ; (3) l’interdépendance inverse de la prospérité ; les capitalistes s’enrichissent parce que les travailleurs s’appauvrissent.

La référence au rapport d’exploitation permet de définir les classes sociales selon une approche relationnelle. Aux deux positions antagonistes déterminées par ce rapport (exploité/exploiteur) correspondent deux positions de classe principales, celle des travailleurs et celle des capitalistes.

A partir de ces éléments, la thèse de la reproduction contradictoire des rapports de classe se déploie en trois « sous-thèses » : 1) thèse de la reproduction sociale des rapports de classe, 2) thèse des contradictions du capitalisme, 3) thèse de la crise et du renouvellement institutionnel.

2- Reproduction sociale des rapports de classe

La structuration de la société en classes, c’est-à-dire sa structuration selon un rapport d’exploitation, est instable. Elle nécessite en permanence d’être reproduite. Cette nécessité de reproduire les rapports sociaux n’est pas spécifique au rapport d’exploitation. Elle s’applique à tous types de rapports (patriarcat, racisme, servage, esclavage…).

Les rapports sociaux quels qu’ils soient ne se perpétuent pas par simple inertie. Leur perpétuation est assurée par la mise en œuvre de dispositifs institutionnels adéquats.

Les institutions qui permettent de reproduire les rapports sociaux agissent à l’échelle des relations entre individus. Ce sont les représentations, les normes, les manières de se conduire ou de se tenir… qui orientent et encadrent les interactions quotidiennes, notamment dans le procès de travail.

Lire un article sur les institutions sociales

A l’échelle de la société, les institutions prennent la forme d’appareils (État, école, médias, police, armée, partis politiques, institutions politiques…) qui participent à la reproduction des rapports de classe.

3- Contradictions du capitalisme

La reproduction des rapports sociaux, quelle que soit leur nature, est problématique parce que les dispositifs institutionnels peuvent être l’objet de contestation. Le mode de production capitaliste rencontre dans sa reproduction une catégorie particulière de problèmes liée au fait que ce mode repose sur un rapport d’exploitation.

Comme nous l’avons vu, le rapport d’exploitation implique que la classe exploitée subit des préjudices, au profit des exploiteurs. Les travailleurs tendent donc à modifier ce rapport. La reproduction du capitalisme doit faire face à des formes actives de contestation et de résistance.

Dans un rapport d’oppression, l’oppresseur peut se permettre d’éliminer physiquement les opprimés. En revanche, l’exploiteur n’a pas cette latitude, dans la mesure ou sa prospérité matérielle dépend des exploités.

Le rapport capitaliste repose sur l’appropriation de l’effort d’autrui. Il confère donc une forme de pouvoir aux exploités. Par sa nature même le rapport capitaliste est explosif.

A la contestation s’ajoute une autre contradiction interne au capitalisme. Son développement permanent remet continuellement en cause les dispositifs institutionnels qui sont fonctionnels à un stade donné de ce développement. Les technologies, les procès de travail, les structures de classe, les marchés des matières premières en évoluant érodent à chaque fois l’efficacité des institutions et rendent nécessaire l’invention de nouvelles solutions institutionnelles. C’est ainsi qu’au capitalisme manchestérien a succédé le fordisme, puis au fordisme le néolibéralisme.

Les effets conjugués du développement du capitalisme et des contestations finissent donc par engendrer des situations de crise institutionnelle.

4- Crises et renouvellements institutionnels

Comme la reproduction sociale des rapports de classe nécessite des institutions fonctionnelles et comme les institutions ont tendance à être érodées, elles doivent se renouveler périodiquement.

Ces renouvellements ont lieu à l’occasion de crises institutionnelles. Dans ces occasions, les acteurs sociaux organisés considèrent que les institutions existantes ne sont plus en mesure de contenir les conflits sociaux dans des limites tolérables.

Les nouveaux dispositifs qui s’imposent à l’issue des crises ont tendance à conforter les intérêts fondamentaux de la classe capitaliste. Mais leur résolution n’est pas toujours optimale pour cette dernière.

Quoiqu’il advienne, les solutions institutionnelles qui sont trouvées n’éliminent pas le potentiel de résistance collective mais tentent de contenir cette dernière dans des limites acceptables par les agents sociaux.

Michael Burawoy et Erik Olin Wright, Pour un marxisme sociologique, Editions Sociales

Selon Michael Burawoy et Erik Olin Wright, la préoccupation centrale de l’exploration sociologique marxiste est de comprendre les obstacles et les opportunités pour un changement égalitaire et émancipateur des rapports sociaux. Concrètement, cela implique pour le marxisme sociologique de s’intéresser à la manière dont la reproduction sociale des rapports capitalistes est contradictoire et contestée.

Gilles Sarter

Un livre à télécharger

Couverture livre Erik Olin Wright et le pouvoir social

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La légende de la libération du travail

La légende de la libération du travail

La légende du travail présente le travail comme une simple dépense de forces de travail. Le travailleur produit des objets, des services en utilisant des moyens de travail. Ce faisant, il extériorise ses capacités musculaires et intellectuelles en les appliquant à des objectifs déterminés.

A cette légende est parfois associée une revendication pour la libération du travail. L’argumentation prend la forme suivante. Lorsque l’extériorisation des capacités des individus est bridée, leur pleine réalisation de soi est elle-même entravée. Il faut donc défaire les contraintes qui limitent la dépense des forces de travail pour permettre aux individus de se réaliser pleinement.

Les freins ou entraves qui sont évoquées concernent l’autoritarisme et la discipline dans la production, la parcellisation du travail, le manque de compréhension par les opérateurs des technologies utilisées ou encore la méconnaissance des processus de production dans lesquels s’inscrivent les activités individuelles.

Le discours sur la libération du travail postule que les opérateurs devraient être en mesure d’assumer leur activité comme quelque chose qui ne leur est pas imposé ni étranger. Il en découle des revendications pour davantage d’autonomie, de concertation, d’échanges d’expériences ou pour moins d’émiettement du travail, au sein des entreprises.

S’inscrivant en faux, contre cette légende du travail et de sa libération, Jean-Marie Vincent affirme sans ambiguïté que la dépense de force de travail ne correspond en aucune façon à cette vision d’une totalisation humaine entravée.

En premier lieu, le sociologue rappelle ce fait évident que dans le mode de production capitaliste, toutes les capacités musculaires ou intellectuelles humaines ne sont pas mises en action. Seules les capacités échangeables sur le marché, c’est-à-dire celles qui sont utilisables selon les exigences précises de la production capitaliste sont constituées en forces de travail effectives.

Le mouvement de constitution des capacités humaines en force de travail ne va donc pas de soi.

Le prolétaire, au sens de celui qui ne peut vivre que de la vente de sa force de travail, doit être amené à considérer ses capacités à travailler comme une marchandise. Comme toutes marchandises, il doit la conditionner afin de pouvoir la vendre. Autrement dit, il doit mettre ses ressources physiques et intellectuelles à la disposition des institutions et des mécanismes sociaux capitalistes.

Jean-Marie Vincent, La légende du travail, dans La liberté du travail, coord. P. Cours-Salies, Syllepse, 1995

Le travailleur est donc très éloigné de la position de celui qui pourrait dépenser à fond ses capacités individuelles, pour pouvoir se réaliser dans toutes les directions possibles. Il doit bien au contraire procéder à des renoncements successifs et se cantonner à des modèles d’action qu’il trouve posés devant lui, parce que le capital les a qualifiés pour sa propre valorisation.

Selon l’anthropologue Maurice Godelier, il est impossible de donner une définition immanente du travail. Selon les sociétés et les cultures, les catégories « travail » et « travailleur » changent de contenu, à supposer qu’elles existent.

Comprendre ce que « travail » veut dire suppose de comprendre les rapports sociaux qui se nouent dans cette activité.

Dans la société capitaliste, comme dans toute société, il est erroné d’appréhender le travail comme une simple dépense d’activité ou comme le simple rapport entre travailleurs, moyens de travail (machines, outils, matières premières…) et produits du travail.

Le procès de travail, dans le capitalisme, consiste, avant toute chose, dans la mise en rapport dynamique de la valeur de la force de travail avec différentes formes de capitaux (bâtiments, machines, matières premières…), dans l’objectif de produire de la survaleur.

Bien que la dépense de force de travail soit pour le travailleur une dépense bien réelle de forces intellectuelles et physiques, elle est aussi et même avant tout, du point de vue de ce qui la détermine, c’est-à-dire du point de vue du capital, la dépense de la valeur sociale qui est attribuée à cette force.

Nous voyons donc que la vision du travail comme forme d’expression et de réalisation de soi ne correspond pas à la réalité du travail.

Dans le mode de production capitaliste, les dépenses concrètes de capacités humaines plutôt que des formes d’expression sont d’emblée des manifestations des contraintes de la reproduction et de l’accroissement de la valeur. Aussi, la libération du travail, comprise comme libération des entraves à la dépense de forces de travail ne constitue pas un point de départ valide pour une remise en question des rapports d’exploitation et du fétichisme de la valeur.

Gilles Sarter

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Contradiction dans le régime capitaliste

Contradiction dans le régime capitaliste

Selon Cornelius Castoriadis, la contradiction majeure du régime économique capitaliste réside dans les modalités de l’organisation de la production. Si les travailleurs sont exploités au sein de ce système, c’est parce qu’ils sont d’emblée exclus de la prise de décision. Mais dans les faits, la production effective nécessite une part d’auto-direction. Cet élément constitue le germe du projet révolutionnaire de l’auto-organisation.

L’autorité contre l’auto-direction

Dans les entreprises capitalistes, seuls les propriétaires des moyens de production décident des activités liées à la production. Ils décident de ce qui est produit, de comment cela est produit, de comment le travail est organisé, de la répartition des profits et des investissements… C’est ainsi que Bernard Friot peut pointer qu’en régime capitaliste, les travailleurs sont des « mineurs » sociaux. La seule chose qui leur est due est un pouvoir d’achat, reçu en échange de leur force de travail.

La contradiction inhérente à cette modalité d’organisation résulte du fait que la réalisation effective de la production nécessite que les travailleurs exercent malgré tout leur potentiel créateur. Dès le moment où les activités économiques nécessitent une qualification humaine, l’exécution des directives mobilise un élément d’auto-direction. Toute bureaucratique qu’elle soit et bien que son objectif tende à une rationalisation intégrale du travail, l’autorité capitaliste dans la production ne peut supprimer l’expression des facultés humaines de créativité et d’auto-organisation. Et bien plus, elle ne peut s’en passer.

Certaines activités économiques ne peuvent pas être automatisées et réduites à des exécutions pures et simples. Même si l’organisation bureaucratique tend à définir aussi exhaustivement que possible les modalités de travail, dans les faits l’exhaustivité est impossible à atteindre. La production ne peut être effectuée que si les travailleurs sont à même d’organiser une partie de leur travail, de solutionner eux-mêmes certains problèmes rencontrés et d’apporter certaines améliorations concrètes, à leur niveau d’intervention.

L’organisation capitaliste du travail est donc fondamentalement contradictoire car elle ne peut fonctionner que si les travailleurs opposent une résistance à son mode de direction.

La réciprocité et l’exploitation

Toujours selon C. Castoriadis, le capitalisme serait le premier type d’organisation sociale bâti sur une contradiction insurmontable. Dans toutes les sociétés organisées selon le rapport d’exploitation, les exploiteurs vivent aux dépens des exploités. Toutefois dans les sociétés féodales ou esclavagistes, l’exploitation n’est pas comme telle contradictoire. En effet, elle est enserrée dans des rapports sociaux qui sont tout sauf économiques.

Dans ces sociétés, chaque individu concourt à la perpétuation de l’ensemble, en remplissant les fonctions qui lui sont propres. L’ensemble présente l’aspect d’une totalité cohérente sur le plan social et historique, aussi bien que sur les plans théologique ou cosmique.

C. Castoriadis trouve dans l’apologue de Agrippa Menenius Lanatus « Les membres et l’estomac », une illustration de son hypothèse. En -494, le sénateur romain harangue les soldats plébéiens qui ont fait sécession. Il leur explique qu’un organisme complexe, comme le corps humain ou la cité romaine, ne peut survivre qu’à mesure de la complémentarité entre ses différentes parties : « vous êtes les bras nous sommes le cerveau… »

N. Poirier, Lutte des classes chez Marx: reconnaissance ou dénégation?, Variations, 13/14, 2010L’argument de C. Castoriadis est que dans de telles sociétés, la vie collective est régulée selon l’idée d’un « nous », articulé comme un tout. Le rapport d’exploitation est enfoui sous la représentation généralement admise d’un rapport de réciprocité : « vous fournissez le travail, nous fournissons l’honneur, la sainteté, les idées… »

Dans les sociétés capitalistes, les imaginaires du « nous » et de la réciprocité disparaissent. Seule l’exploitation économique et la partition en classes antagonistes demeurent. Elles débouchent sur une confrontation, dans laquelle chacun des adversaires tente d’obliger l’autre à changer son mode de comportement.

L’auto-organisation comme projet révolutionnaire

C. Castoriadis écrit que les esclaves et les serfs faisaient vivre les maîtres et les seigneurs en conformité avec les normes de la société des maîtres et des seigneurs. En revanche, les travailleurs font vivre les capitalistes, à l’encontre des normes des capitalistes. C’est pourquoi la tradition marxiste peut affirmer que la société capitaliste est grosse d’une perspective révolutionnaire.

L’action auto-organisatrice déjà existante chez les travailleurs, à rebours des directives bureaucratiques, contient les germes de la gestion démocratique des activités économiques. En résistant à l’exploitation de leur force de travail, ils jettent les bases de l’auto-organisation de la production.

Le passage du capitalisme au communisme n’est pas un projet utopique mais une réalité inscrite dans ce mouvement de contestation qui est déjà-là. Le contenu de la lutte des travailleurs est une lutte pour une nouvelle organisation des rapports de production et finalement pour la réorganisation de la société.

Gilles Sarter

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L’Exploitation comme Orthodoxie

L’Exploitation comme Orthodoxie

L’idée que j’avance dans cet article est que la relation sociale d’exploitation est soutenue, au sein de notre société, par ce que Pierre Bourdieu appelle un principe d’orthodoxie.

Fonctionnalismes du Meilleur et du Pire

Pierre Bourdieu renvoie dos à dos deux discours sur l’État. Dans la théorie classique, l’État est une institution au service de l’universel. Cette conception fonde le discours de la science administrative, sur le service public et le bien commun. Dans la théorie de l’État capitaliste, au contraire, celui-ci est décrit comme un appareil de contrainte et de maintien de l’ordre, au profit de la classe des exploiteurs.

D’un côté, l’État a pour fonction de gérer, en toute neutralité, les conflits particuliers, au service du bien public. De l’autre, il fonctionne toujours pour le service particulier des capitalistes, de façon plus ou moins directe et plus ou moins masquée. Bien qu’opposés dans leurs conclusions, le « fonctionnalisme du meilleur » et le « fonctionnalisme du pire » se rejoignent dans la description de l’État comme machine programmée pour atteindre des objectifs donnés.

Champ du Pouvoir

Dans une première approche, Pierre Bourdieu oppose à cette conception, une vision de l’État comme « champ social ». Parfois, il l’appelle « champ du pouvoir » ou « champ administratif » ou encore « champ de la fonction publique ». Les agents qui participent à ce champs, qui le font « vivre », sont les hommes politiques, les élus et les fonctionnaires ou employés des différentes administrations publiques et territoriales…

Ces agents entrent en compétition pour dominer le champ du pouvoir. Cette compétition s’actualise de différentes manières : joutes électorales, « intrigues de cabinet », luttes d’influence et de préséance entre les corps d’État ou les administrations…

L’accès aux positions dominantes procure l’avantage de pouvoir utiliser les ressources spécifiques du champ du pouvoir : écrire et faire appliquer des lois, donner des ordres à la police et à l’armée, décider de l’utilisation des moyens matériels et de l’argent publics…

Cependant, même lorsqu’ils dominent, les dominants doivent toujours composer, avec les résistances ou les offensives que leur opposent les autres participants. La théorie de l’État conçu comme un champ social propose donc une vision radicalement différente de celle d’un appareil programmé pour réaliser certaines fonctions.

Principe d’Orthodoxie

Parmi les avantages que confère la domination du champ du pouvoir, il en est un qui est très important. Il s’agit de la capacité de définir le principe d’orthodoxie.

Le principe d’orthodoxie, c’est ce qui fonde le consensus sur le sens qui est donné du monde social. Il organise le consentement des gens, leur adhésion à un ordre des choses.

Par exemple, la structure de la temporalité. Le calendrier républicain est envisagé comme allant de soi, avec ses fêtes civiques, sa structuration en jours de semaine et de week-end, ses vacances scolaires… Le fait d’accepter l’idée de l’heure constitue un autre consensus. C’est sur la base de l’accord sur les repères temporels que les gens organisent leur vie : heures de rendez-vous, heures des repas, heures d’embauche, de débauche, date de début et de fin de contrat…

Ce que nous appelons « État » est garant de cet ordre public qui repose à la fois sur des structures objectives (les montres, les calendriers, les agendas…) et sur des structures mentales (les gens veulent avoir des montres, ils ont l’habitude de les regarder, ils prennent des rendez-vous et ils arrivent à l’heure,…).

Relation d’Exploitation

L’idée que je veux faire valoir maintenant est qu’un certain consensus sur l’application de la relation d’exploitation constitue un principe d’orthodoxie, dans notre société. L’idée selon laquelle, il est « bien » ou souhaitable que le monde social soit organisé sur la base de l’exploitation fait rarement l’objet d’un discours explicite. Mais, l’accord opère quand même, à travers le consentement à deux principes qui caractérisent cette forme de relation.

Pour aller plus loin: vignette du livre erik olin wright et le pouvoir social Erik Olin Wright voit dans les principes d’exclusion et d’appropriation, deux traits essentiels de la relation d’exploitation. Selon le principe d’exclusion, les exploiteurs excluent les exploités de l’accès aux ressources productives. Selon le principe d’appropriation, les exploiteurs s’approprient une partie de l’effort des exploités.

Le système capitaliste repose sur le principe que seul les propriétaires des moyens de production décident de leur utilisation (sauf s’ils délèguent ce pouvoir de décision, ce qui revient au-même). Ils décident de ce qui est produit, de comment cela est produit, de la destination de ce qui est produit… C’est la mise en pratique du principe d’exclusion. Les non-propriétaires qui constituent la plus grande partie de la population n’ont pas accès aux ressources productives. Ils ne peuvent pas participer aux prises de décisions qui les concernent en tant que travailleurs, consommateurs, riverains des usines…

Les détenteurs des moyens de production décident aussi du niveau de rémunération des travailleurs. La valeur de cette rémunération est inférieure à la valeur créée par le travail de ces derniers. Les capitalistes s’approprient une part de la survaleur du travail donc une partie de l’effort déployé par les travailleurs (principe d’appropriation).

Droit de Propriété

Le consensus général sur ces deux principes d’exclusion et d’appropriation est obtenu, notamment mais pas seulement, par le consentement sur le droit de propriété. Ce consensus repose en partie sur deux confusions.

La première confusion concerne l’équivalence qui est établie entre la possession et la propriété. La plupart des gens possèdent des choses : vêtements, livres, voitures, appartements… Et ils y sont attachés. Ils ne veulent pas qu’on les leur prenne. En revanche, « propriété » signifie qu’un bien possédé par une personne est engagé dans un processus destiné à générer du profit, par appropriation de la survaleur du travail. Un individu possède des machines et les utilise lui-même. C’est la possession. Un individu possède des machines, recrute des travailleurs pour les faire fonctionner et s’approprie une part de leur effort. C’est la propriété. Suivant ce raisonnement Pierre-Joseph Proudhon dit que la propriété c’est le vol.

Droit à la possession et droit à la propriété ne sont donc pas identiques. Le consensus sur l’idée du droit à la propriété résulte de l’assimilation de la propriété à la possession.

Ce glissement de sens permet, d’abord, de regrouper dans la catégorie des « propriétaires », les possesseurs (par exemple, les possesseurs d’un logement) et les propriétaires à proprement parler (par exemple les propriétaires d’usines). Il permet, ensuite, de faire croire aux premiers qu’ils ont les mêmes intérêts que les seconds, à faire respecter le droit de propriété.

A ce titre, Pierre Bourdieu a montré comment les politiques de soutien au logement, engagées par Valéry Giscard d’Estaing dans les années 1970, étaient motivées par l’idée que l’attachement du peuple à l’ordre social existant passait par l’accession à la propriété (on devrait dire possession).

Une deuxième confusion résulte de la présentation de la propriété (possession) comme une relation entre une personne et une chose.

En réalité, la propriété est une forme de relation sociale. C’est comme nous l’avons dit la relation qui exclut tout le monde sauf le propriétaire, de la décision de l’usage de la chose.

Certains individus sont en mesure de dire au reste de la population : « Je suis le seul à décider de ce que je vais faire de ce livre, de ce champs, de cette machine, de cette usine… ».

État Capitaliste

Si ce que nous appelons « droit de propriété » représente des relations entre les gens, alors la question que nous devons poser est : qui décide de la nature des relations entre les gens ? Selon le principe de la démocratie ou de la justice politique, personne ne devrait être exclu de la prise des décisions qui concernent la collectivité et qui le concernent en tant qu’individu. Les relations sociales en rapport avec l’usage des moyens et des ressources productives concernent toutes les parties prenantes, les travailleurs et leurs familles, les usagers ou consommateurs, les riverains des lieux de production, les collectivités qui partagent le même air, la même eau… La nature de ces relations devrait donc être décidée démocratiquement.

Le principe d’orthodoxie soutient une définition de la relation de propriété qui est anti-démocratique. Il la définit comme la relation exclusive (qui exclut autrui) du propriétaire à l’objet possédé. Il s’agit d’une fiction collective, au sens où cette définition ne répond à aucune nécessité. Il pourrait en être autrement. Cependant, cette illusion est bien fondée, au niveau des structures mentales logiques et morales, mais aussi des structures objectives (lois sur la propriété, sur le travail, police, tribunaux, prisons…).

Finalement, l’expression « État capitaliste » pourrait être utilisée, non pas pour faire référence à un appareil fonctionnant au service des capitalistes, mais pour désigner une situation sociale, dans laquelle les agents qui dominent le champ du pouvoir soutiennent un principe d’orthodoxie qui remplit la fonction de conservation de la relation sociale d’exploitation.

© Gilles Sarter

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Relations d’Exploitation, d’Oppression et de Domination

Relations d’Exploitation, d’Oppression et de Domination

La relation d’exploitation joue un rôle fondamental dans l’organisation des sociétés capitalistes. A ce titre, il convient d’en détailler les principes et de bien la distinguer des relations d’oppression et de domination.

Les Relations Sociales

Les relations d’exploitation, d’oppression et de domination représentent trois types de relations sociales. C’est donc cette notion qu’il convient d’abord de clarifier. Contrairement à ce que le langage courant laisse entendre, ce qui est relié dans les relations sociales ce ne sont pas des gens mais des actions sociales. C’est-à-dire, selon la définition classique de Max Weber, des actions orientées vers autrui.

Ainsi, lorsque nous évoquons la relation entre employeurs et travailleurs, il s’agit d’une manière elliptique de parler des relations entre les actions des uns et des autres.

Si nous y réfléchissons bien, il paraît même difficile de définir ces deux catégories d’acteurs sans faire référence aux comportements des uns à l’égard des autres. Les employeurs embauchent, encadrent, donnent des ordres, définissent le travail et licencient des travailleurs. Ces derniers vendent leur force de travail et obéissent à des employeurs.

La Relation d’Exploitation

Pour être qualifiée d’exploitation, E.O. Wright précise qu’une relation sociale doit satisfaire les trois principes que sont l’interdépendance inverse de la prospérité, l’exclusion des moyens de production et l’appropriation de l’effort des exploités.

L’interdépendance inverse de la prospérité signifie que la prospérité matérielle des exploiteurs dépend causalement de la privation matérielle des exploités.

Les exploiteurs s’enrichissent parce que les exploités s’appauvrissent. Les intérêts des exploiteurs et des exploités ne sont pas différents, ils sont antagonistes.

Le principe d’exclusion désigne le fait que les exploités sont exclus de l’accès à certaines ressources productives.

Ce principe est étroitement lié, dans nos sociétés, à l’idée de propriété. Cette notion est porteuse d’une ambiguïté. Elle incite à penser que les droits de propriété sont des relations des personnes aux choses.

En réalité, il faut garder à l’esprit que ce que nous appelons des droits sur des biens définit une relation sociale. Il s’agit d’une relation d’exclusion dans le cadre de l’utilisation de ces biens. Les propriétaires de terres, de machines ou d’usines, reconnus par le droit de propriété, décident seuls de l’usage ou du destin de ces choses. Ils peuvent les utiliser pour produire des marchandises. Ils peuvent les louer, les prêter, les vendre ou même les détruire si ça leur chante. Les non-propriétaires sont exclus de toutes ces possibilités d’agir.

Erik Olin Wright, Class Counts: Comparative Studies in Class Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1997 Les relations de propriété concernent donc la manière dont les activités des gens sont reliées. Elles ne concernent pas simplement leur distribution. Pour cette raison, Bernard Friot (L’enjeu du salaire) dit que, dans le système capitaliste, les travailleurs sont traités comme des « mineurs sociaux ». En effet, ils sont écartés de toutes les décisions qui portent sur l’usage des moyens de production, sur ce qui doit être produit, sur ce qui doit avoir de la valeur ou pas… Seule leur est due une rémunération qui constitue un pouvoir d’achat.

Il existe des sociétés, au sein desquelles, les relations sociales n’excluent personne de l’accès direct aux moyens de subsistance (terres, animaux, plantes…). Le système économique capitaliste détruit les relations de ce type quand il s’impose comme modèle dominant. Une minorité finit par écarter la majorité des gens de l’accès direct aux moyens de subsistance.

Le troisième et dernier principe de l’exploitation est le principe d’appropriation. Les exploiteurs s’approprient l’effort des exploités.

Les capitalistes détenteurs des moyens de production s’approprient la survaleur du travail de leurs employés (la différence entre la valeur créée par leur travail et la valeur de leur rémunération).

La Relation d’Oppression

La relation d’exploitation ne peut être confondue avec la relation d’oppression. L’oppression est une relation sociale qui ne s’appuie pas sur le principe d’appropriation mais seulement sur le principe d’exclusion.

Les opprimés sont purement et simplement exclus de l’accès aux ressources productives. Dans cette situation, l’oppresseur n’a pas besoin des opprimés.

La colonisation de l’Amérique, par exemple, a abouti à l’exclusion des peuples autochtones de l’accès aux ressources naturelles et finalement à leur génocide. En Afrique du Sud contrairement à ce qui s’est passé en Amérique, la colonisation s’est accompagnée de l’exploitation de la population locale, pour l’extraction minière ou l’agriculture.

L’exploitation est une forme de relation qui est peut-être plus explosive que l’oppression. En effet, elle confère une forme de pouvoir aux exploités, dans la mesure où les exploiteurs ont besoin de leur travail. Les personnes oppressées n’ont que la résistance physique. Celle-ci est précaire. Comme les oppresseurs n’ont pas besoin des opprimés, ils peuvent réagir à leur encontre de manière très sanglante.

La Relation de Domination

Exploitation n’est pas non plus synonyme de domination. Dans son ouvrage de synthèse sur les courants de la critique sociale, Hémisphère gauche, Razmig Keucheyan souligne que le concept d’exploitation qui était autrefois très présent dans les sciences sociales tend à disparaître au profit de celui de domination qui est supposé plus inclusif.

Cette tendance correspond à une perte de centralité du conflit entre capital et travail, dans l’explication des phénomènes sociaux. Pour E.O. Wright, ce décentrement constitue une faiblesse.

Sur le plan de l’analyse sociologique, la distinction entre domination et exploitation est importante, si nous voulons préserver l’idée que les intérêts des individus ne sont pas seulement n’importe quel intérêt subjectif.

La domination réfère à la capacité de contrôler les activités des autres. Elle n’implique pas des intérêts spécifiques aux acteurs impliqués. Par exemple, les parents dominent leurs enfants. Mais cela n’implique pas que les deux catégories d’acteurs aient des intérêts antagonistes.

A l’inverse, l’exploitation implique un ensemble d’intérêts matériels opposés. Les profits économiques sont acquis à partir du travail de ceux qui sont exploités. Bien sûr, il y a aussi de la domination dans la production.

A ce titre, toute exploitation entraîne une forme de domination. Cependant toute domination n’implique pas exploitation.

Et c’est bien la relation d’exploitation qui est centrale dans l’économie capitaliste et qui permet à 26 multimilliardaires de posséder plus que 3,8 milliards de personnes dans le besoin.

© Gilles Sarter


Erik Olin Wright (1947-2019) est un sociologue américain grand spécialiste de l’étude des classes sociales et des alternatives au capitalisme. Sur son apport à la connaissance des sociétés contemporaines et à l’activisme anticapitaliste, voir notre livre:

Couverture du livre Erik Olin Wright et le pouvoir social

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Capital Humain : le nouveau sujet néolibéral

Capital Humain : le nouveau sujet néolibéral

L'extension du marché à toutes les dimensions de la vie humaine constitue le versant le plus notoire du projet néolibéral. Le façonnement des personnes en "entrepreneur de soi" en constitue un aspect moins connu.

Le capitalisme libéral

Michel Foucault rappelle que les théoriciens du capitalisme libéral (XVIII-XIXè. siècles) s'appuyaient sur un principe fondamental : "en ce qui concerne le marché, on gouverne toujours trop".

Selon les libéraux les instruments de gouvernement (administrations, lois, subventions et autres mesures incitatives ou répressives) ne peuvent qu'entraver le bon fonctionnement du marché.

Ce parti pris repose sur deux postulats. L'individu ferait, naturellement, des choix lui permettant de maximiser ses profits. Et la maximisation des intérêts individuels serait le meilleur moteur de la prospérité collective.

Le travailleur libre

Michel Foucault, Cours au Collège de France (1979).Le capitalisme libéral a appuyé son développement sur le concept de « travailleur libre ». Celui-ci renvoie à la conception d'un individu, propriétaire de sa force de travail et qui peut l'échanger contre un salaire.

Pour Karl Marx, c'est en réalité un travailleur aliéné ou dépouillé qu'il faut entrapercevoir derrière cette notion. Dépossédé il l'est, du choix, des moyens et des produits de son travail. Car, c'est l'employeur qui décide de l'usage de la force de travail et qui est propriétaire des produits.

Néanmoins, la notion de travailleur libre implique que la personne humaine n'est pas réductible à sa force de travail. Elle possède aussi une dimension interne dont on ne peut pas la déposséder.

Cette subjectivité a des besoins et des aspirations dont les modalités de réalisation échappent au cadre du marché : amour, piété, culture, santé...

Le travailleur libre tel que l'envisage la conception libérale est donc un être clivé, constate le philosophe Michel Feher.

Il est d'abord scindé en une dimension interne dont il ne peut être dépouillé et une force de travail qu'il peut louer. Il est aussi partagé entre la satisfaction de ses aspirations d'ordre psycho-affectives et l'optimisation de ses intérêts matériels. Enfin, le travailleur libre évolue dans deux sphères distinctes : celle de la reproduction (vies familiale, sociale, religieuse...) et celle de la production (le marché).

Le type de sujet qui est à la fois présupposé et visé par les politiques néolibérales est différent.

Le néolibéralisme

Après la seconde guerre mondiale, les pères fondateurs du néolibéralisme – parmi lesquels Friedrich Hayek, Milton Friedman et les membres de l’École de Chicago – considèrent que le libéralisme est en grande difficulté. Sont mis en cause le renforcement du socialisme, à l'Est et le développement des politiques interventionnistes des États, à l'Ouest.

Afin de contrecarrer cette tendance, les néolibéraux renoncent au principe de non-intervention des libéraux.

Ils n'appréhendent plus le marché et la compétition marchande comme des phénomènes "naturels" qu'il faut préserver. Ils les envisagent plutôt comme des formes sociales qu'il s'agit de créer et de reproduire.

Pour ce faire, ils confient à l’État, la mission d'étendre la logique marchande à tous les domaines de la vie humaine. Sont également compris ceux que le régime libéral plaçait en dehors du marché. C'est-à-dire la sphère de la reproduction : santé, éducation, culture...

Il est donc faux de penser que le néolibéralisme n'est pas politique. Bien au contraire, on peut même dire qu'il est toujours politique. Pour l'anthropologue, David Graeber (Bureaucratie, 2017):

"Le néolibéralisme est la forme de capitalisme qui donne systématiquement priorité aux impératifs politiques sur les impératifs économiques."

Cette action politique concerne, au premier chef, la promotion d'un nouveau modèle de sujet humain. Le but déclaré est d'amener tout le monde à penser et à se comporter en entrepreneur.

Le capital humain

La notion de "capital humain" (théorisée notamment par Gary Becker) sert de soubassement à cette stratégie. Le concept définit chacun de nous comme un stock d'acquis, explique Michel Feher :

"Tout ce dont j'hérite, tout ce qui m'arrive et tout ce que je fais contribuent à l'entretien ou à la détérioration de mon capital humain."

Notre capital humain inclut nos potentialités (capital génétique, pré-dispositions physiques et mentales) ainsi que nos réseaux de relations sociales  (familiales, amicales, professionnelles...). Il englobe toutes nos expériences, connaissances et compétences. Nos pratiques d'entretien de notre santé corporelle et mentale en font également partie : diète, sport, vie amoureuse et sexuelle, loisirs...

Dans cette conception, l'individu est poussé à adopter une logique d'accroissement de son capital. L'objectif proposé est de le convertir en toutes sortes de bénéfices monétaires ou autres.

Ainsi, les médias, le système éducatif et le monde du travail diffusent l'injonction permanente à engranger:  les stages, les formations, les pratiques sportives ou psychotechniques (méditation, yoga...), les voyages, les relations sociales... Cette incitation est sous-tendue par la perspective d'en récolter des profits de toutes sortes: argent, faveurs, services, plaisirs...

Par exemple, la pratique d'activités physiques intenses peut représenter l'équivalent d'un capital. A ce titre, elle peut apporter des avantages, dans le cadre de la sélection scolaire et professionnelle, de la séduction érotique ou par le biais d'une mise en scène positive de soi (comme battant, compétiteur, endurant...).

L'entrepreneur de soi

Dans le même temps qu'elles façonnent les subjectivités, les politiques néolibérales s'attaquent aussi à la réforme des structures objectives de la société :

Précarisation du travail salarié, généralisation du crédit à la consommation, retraite par capitalisation, privatisation de l'assurance santé et de l'éducation, sélection à l'entrée des universités, incitation à orienter l'épargne vers la bourse,...

Toutes ces mesures concourent à produire un environnement, dans lequel les gens sont effectivement contraints d'adopter une logique d'entrepreneur. Qu'il s'agisse d'être recrutée pour un emploi, d'accéder à un logement, d'être sélectionnée par une école supérieure ou de négocier un prêt bancaire:

Chaque personne doit être en mesure de se rendre attractive. Pour ce faire, elle doit présenter les dimensions pertinentes de son capital humain. C'est-à-dire celles qui génèreront des profits, pour ceux qui investiront en elle (employeur, école, banquier...).

Vers un habitus d'entrepreneur de soi ?

Le projet néolibéral vise l'effacement des deux formes de clivage qui prévalaient sous le capitalisme libéral. L'entrepreneur de soi abolit l'être scindé, entre son intimité et sa force de travail. Le grand marché dissout la frontière entre sphères de la production et de la reproduction.

La force de propagation de ce modèle réside dans la conjugaison de ces efforts. Ceux-ci visent la transformation simultanée des mentalités et du monde social objectif.

Explorez nos autres articles sur la critique sociale.Les conditions nécessaires à la production d'un habitus d'entrepreneur de soi tendent à être réunies. Les individus seraient alors portés à se considérer comme gestionnaires d'un capital humain. De manière pré-réflexive, ils chercheraient en toutes circonstances à accroitre ce capital et à en retirer des profits. La logique marchande, la sélection, la compétition seraient vécues comme "naturelles" ou comme "allant de soi".

Selon le constat de Pierre Bourdieu, il n'y a rien de plus difficile à révolutionner que ces structures mentales pré-conscientes.

D'ores et déjà, chacun peut essayer d'identifier les situations, dans lesquelles il se comporte en entrepreneur de lui-même. Il peut aussi s'interroger sur les autres possibilités d'être.

© Gilles Sarter


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