La légende du travail présente le travail comme une simple dépense de forces de travail. Le travailleur produit des objets, des services en utilisant des moyens de travail. Ce faisant, il extériorise ses capacités musculaires et intellectuelles en les appliquant à des objectifs déterminés.
A cette légende est parfois associée une revendication pour la libération du travail. L’argumentation prend la forme suivante. Lorsque l’extériorisation des capacités des individus est bridée, leur pleine réalisation de soi est elle-même entravée. Il faut donc défaire les contraintes qui limitent la dépense des forces de travail pour permettre aux individus de se réaliser pleinement.
Les freins ou entraves qui sont évoquées concernent l’autoritarisme et la discipline dans la production, la parcellisation du travail, le manque de compréhension par les opérateurs des technologies utilisées ou encore la méconnaissance des processus de production dans lesquels s’inscrivent les activités individuelles.
Le discours sur la libération du travail postule que les opérateurs devraient être en mesure d’assumer leur activité comme quelque chose qui ne leur est pas imposé ni étranger. Il en découle des revendications pour davantage d’autonomie, de concertation, d’échanges d’expériences ou pour moins d’émiettement du travail, au sein des entreprises.
S’inscrivant en faux, contre cette légende du travail et de sa libération, Jean-Marie Vincent affirme sans ambiguïté que la dépense de force de travail ne correspond en aucune façon à cette vision d’une totalisation humaine entravée.
En premier lieu, le sociologue rappelle ce fait évident que dans le mode de production capitaliste, toutes les capacités musculaires ou intellectuelles humaines ne sont pas mises en action. Seules les capacités échangeables sur le marché, c’est-à-dire celles qui sont utilisables selon les exigences précises de la production capitaliste sont constituées en forces de travail effectives.
Le mouvement de constitution des capacités humaines en force de travail ne va donc pas de soi.
Le prolétaire, au sens de celui qui ne peut vivre que de la vente de sa force de travail, doit être amené à considérer ses capacités à travailler comme une marchandise. Comme toutes marchandises, il doit la conditionner afin de pouvoir la vendre. Autrement dit, il doit mettre ses ressources physiques et intellectuelles à la disposition des institutions et des mécanismes sociaux capitalistes.
Jean-Marie Vincent, La légende du travail, dans La liberté du travail, coord. P. Cours-Salies, Syllepse, 1995
Le travailleur est donc très éloigné de la position de celui qui pourrait dépenser à fond ses capacités individuelles, pour pouvoir se réaliser dans toutes les directions possibles. Il doit bien au contraire procéder à des renoncements successifs et se cantonner à des modèles d’action qu’il trouve posés devant lui, parce que le capital les a qualifiés pour sa propre valorisation.
Selon l’anthropologue Maurice Godelier, il est impossible de donner une définition immanente du travail. Selon les sociétés et les cultures, les catégories « travail » et « travailleur » changent de contenu, à supposer qu’elles existent.
Comprendre ce que « travail » veut dire suppose de comprendre les rapports sociaux qui se nouent dans cette activité.
Dans la société capitaliste, comme dans toute société, il est erroné d’appréhender le travail comme une simple dépense d’activité ou comme le simple rapport entre travailleurs, moyens de travail (machines, outils, matières premières…) et produits du travail.
Le procès de travail, dans le capitalisme, consiste, avant toute chose, dans la mise en rapport dynamique de la valeur de la force de travail avec différentes formes de capitaux (bâtiments, machines, matières premières…), dans l’objectif de produire de la survaleur.
Bien que la dépense de force de travail soit pour le travailleur une dépense bien réelle de forces intellectuelles et physiques, elle est aussi et même avant tout, du point de vue de ce qui la détermine, c’est-à-dire du point de vue du capital, la dépense de la valeur sociale qui est attribuée à cette force.
Nous voyons donc que la vision du travail comme forme d’expression et de réalisation de soi ne correspond pas à la réalité du travail.
Dans le mode de production capitaliste, les dépenses concrètes de capacités humaines plutôt que des formes d’expression sont d’emblée des manifestations des contraintes de la reproduction et de l’accroissement de la valeur. Aussi, la libération du travail, comprise comme libération des entraves à la dépense de forces de travail ne constitue pas un point de départ valide pour une remise en question des rapports d’exploitation et du fétichisme de la valeur.
Gilles Sarter
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Très intéressant. Je travaille actuellement sur le sujet » penser le travail comme une catégorie de pensée ».
Marx développe dans ses écrits deux conceptions du travail. Le travail aliéné dans les rapports de production capitalistes et le travail comme essence même de l’homme, comme expression de son humanité. Sur cette dernière idée, Godelier, mais aussi Marshall Sahlins, pour ne citer que deux des plus éminents anthropologues qui ont abordé le sujet, contredisent cette vision
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