Qu’est-ce qu’une institution ? Comment s’impose-t-elle aux individus?
Conception holiste
Nous devons à Marcel Mauss et Victor Fauconnet (Sociologie, 1901) une définition des institutions qui est devenue classique en sciences sociales. Adoptant la perspective holiste d’Émile Durkheim, les deux sociologues posent que les institutions sont des ensembles d’actes établis, que les individus trouvent « devant eux » et qui s’imposent plus ou moins à eux.
Ainsi compris, le terme « institution » peut servir à désigner différentes réalités : coutumes, codes, lois ou encore modes d’organisations de la vie sociale (école, armée, famille…). Une tentative d’ordonner ces différents phénomènes sociaux conduit à opérer une distinction entre trois grands types d’institutions.
Langage et usages habituels
D’abord, l’institué peut concerner des usages habituels, des façons d’être et des formes d’activité, comme les modes vestimentaires, les coutumes alimentaires, les règles de politesse ou de savoir-vivre. A ce type d’institutions, on peut aussi rattacher les règles et les significations du langage.
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De quelle manière les institutions de ce type s’imposent-t-elles aux individus ? Dans le cas du langage, Ludwig Wittgenstein (Recherches philosophiques, 1953) affirme que les significations s’imposent aux individus parce qu’elles sont immanentes aux actes sociaux, à travers lesquels ils entrent en relation les uns avec les autres.
Emmanuel Renault avance que ce modèle explicatif peut être étendu aux autres manières d’être et de se comporter qui sont instituées. Il est possible d’admettre que les individus se soumettent aux coutumes et aux usages, en interprétant les règles à la lumière des actions qui leur sont associées.
Ordres légitimes
Mais le terme d’institution fait aussi référence à un deuxième type de phénomènes sociaux. Il s’agit des modalités d’organisation de la vie sociale. Max Weber (Économie et Société, 1921) opère ici une subdivision entre deux nouveaux types d’institutions.
Il y a d’une part, les dispositifs de coordination des actions qui sont fondés sur l’application d’ordres légitimes. Par exemple, les marchés économiques sont établis sur la base de dispositifs de mise en relation de l’offre et de la demande.
Groupements
D’autre part, il existe des dispositifs de coordination qui définissent des espaces sociaux spécifiques. Ils constituent alors un autre type d’institutions que Max Weber appelle « groupements ». Se conforment à ce type le parti politique, l’école, la prison, l’entreprise, l’armée…
Les ordres légitimes et les groupements renvoient à la question de la place que le pouvoir occupe dans la vie sociale. En effet, contrairement aux institutions langagières ou coutumières (politesse, savoir-vivre…), leur reproduction ne relève pas simplement de l’application de règles immanentes aux actions sociales.
Institutions et Pouvoir
E. Renault se référant aux travaux de Michel Foucault souligne que les institutions comprises comme ordres légitimes ou groupements reposent avant tout sur des dispositifs de mise en ordre des actions des individus : dressage des corps, orientation des attentes, identification aux normes, respect de la discipline…
A ce titre, les règlements juridiques et administratifs ne constituent que la partie visible des institutions. Ces règles n’ont une effectivité sociale qu’à partir du moment où elles sont actualisées sous la forme de rapports de pouvoir complexes. Dans les prisons, les écoles, les usines ou sur les marchés, le gardien, l’instituteur, le cadre ou l’agent économique exercent le pouvoir de nommer, de définir, de classer, d’orienter, de contraindre, de suggérer, de pousser, de récompenser, de punir le détenu, l’élève, l’ouvrier ou l’agent économique avec lequel il interagit.
Insuffisance de l’approche par les règles
E.Renault, Reconnaissance, Institution, Injustice, Revue du Mauss, 2004/1, n°23
Ainsi E. Renault conclut à une triple insuffisance dans la conception qui fonde les institutions et leur reproduction sur la définition de règles et sur leur justification.
Premièrement, cette conception induit une image conservatrice du monde social. En rapportant la valeur d’une institution, à la valeur des règles qui la régissent, on tend à réduire la question de son fonctionnement à celui d’un fonctionnement normal. La question de la satisfaction des attentes pratiques des individus est éludée.
Deuxièmement, en concevant l’institution sur le modèle d’un ensemble de règles collectives, on oublie que sa réalité quotidienne s’organise autour de la coexistence de projets individuels et de modes d’organisation qui peuvent être divergents. Une fois encore, cette conception occulte le caractère transformable des institutions.
Troisièmement, la conception selon laquelle les règles s’actualisent positivement sous la forme d’actions masque l’existence de pratiques qui sont dénuées de sens à la lumière des règles qui leur sont associées.
© Gilles Sarter