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Gouvernement représentatif et Engagement partisan

Le gouvernement représentatif, dans l’idée de ses créateurs, n’était pas une forme de démocratie. Toutefois, la désignation des gouvernants par des élections fait de la légitimité à gouverner une affaire d’opinion. Ce faisant, elle introduit un principe démocratique. Dès lors, l’enjeu pour la démocratie consiste à élargir les possibilités de participation des citoyens aux décisions, tout en développant leur engagement partisan.

Les titres à gouverner et les chances de vie

Dans La Haine de la Démocratie, Jacques Rancière avance que tout gouvernement est au bout du compte oligarchique. Il repose sur la domination d’un petit nombre qui prétend détenir des titres à gouverner qui découlent de la naissance, de la richesse ou du savoir…

Max Weber déroule une réflexion similaire dans Économie et Société. Mais, il utilise la notion de « chance de vie » (Lebenschance). Elle fait référence à ces privilèges (force physique, fortune, éducation…) qui peuvent prédisposer leurs détenteurs à faire partie des dominants. L’expression « chance de vie » appartient au vocabulaire des probabilités. Le sociologue insiste ainsi sur l’inégalité de la répartition statistique de ces privilèges.

Max Weber dit observer que les personnes qui jouissent d’une situation favorable ressentent la nécessité de présenter cette faveur comme légitime ou méritée. Et a contrario, ils ont besoin de présenter les privilèges négatifs (maladie, pauvreté…) comme imputables à la responsabilité des personnes concernées. Ce mécanisme existe aussi dans le cadre des relations entre groupes humains qui sont positivement ou négativement privilégiés.

Finalement, l’existence de toute domination ou de tout gouvernement serait tributaire de son autojustification par l’invocation de principes de légitimation que sont les chances de vie ou les titres à gouverner.

Les sans-titres et le gouvernement représentatif

Cependant, aucune chance de vie, ni aucun titre à gouverner n’inclut en lui-même le principe de sa supériorité sur les autres. En fonction du principe que l’on retient, le savant peut commander à l’ignorant ou le riche gouverner le pauvre… Mais, le savant ne peut commander le riche, ni inversement le riche gouverner le savant…

Il est donc impossible de dire quelle chance de vie ou quel titre à gouverner devrait l’emporter sur tous les autres. Jacques Rancière en conclut que la seule instance habilitée à trancher est celle qui ne possède aucun titre à gouverner. En effet, les personnes sans titre sont les seules à ne pas être à la fois juges et parties.

En somme, la procédure du choix par « n’importe qui » forme la qualité démocratique du gouvernement représentatif.

Le principe démocratique du gouvernement représentatif

Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Champs essai.Pour ses fondateurs (Madison, Sieyès…), au tournant du 18è siècle, aux États-Unis et en France, le gouvernement représentatif, aussi appelé « république », n’était pas une modalité de la démocratie mais une forme essentiellement différente et de surcroît préférable à cette dernière.

Il n’empêche. Même si l’élection ne rend pas les citoyens souverains, même si elle ne détruit pas le principe oligarchique du gouvernement, elle dénaturalise quand même les formes de domination qui reposaient sur des titres. Elle en fait une affaire d’opinion. Le gouvernement représentatif est légitimé par le principe démocratique puisque ceux qui accèdent au pouvoir sont désignés par « n’importe qui ».

En même temps, ce principe démocratique tend aussi à saper la légitimité du gouvernement représentatif. En effet, les sujets demandent en permanence l’élargissement du champ de la prise en compte de leurs opinions. Cette demande culmine dans la revendication pour la mise en place d’une démocratie radicale. Si « n’importe qui » peut élire les gouvernants, « n’importe qui » peut aussi décider pour ce qui l’engage au titre de la vie collective.

L’engagement partisan

Samuel Hayat, Démocratie, Anamosa.Samuel Hayat souligne que la création des partis politiques de masse est un autre phénomène social qui a contribué à la dénaturalisation des titres à gouverner. La compétition entre partis révèle la contingence de ces titres. Ils ne reposent sur rien d’autres que sur l’opinion toujours changeante de la majorité. Pour cette raison, il est important de reconnaître la légitimité de la lutte partisane.

Reconnaître, la légitimité de prendre parti et donc de prendre des partis opposés, c’est prévenir toute possibilité de retour à un pouvoir fondé sur un titre absolu.

Les partis ont aussi contribué à déconstruire l’idée d’un peuple unique. La compétition partisane divise la société en groupes qui portent des opinions et des conceptions politiques différentes. Encore une fois, l’engagement partisan en venant diviser les citoyens constitue un facteur important de démocratisation. Il empêche la constitution d’un pouvoir absolu qui serait fondé sur l’idée d’un peuple indivisible (« un peuple, une terre, un guide« …)

L’enjeu pour la démocratie

Ce qui pose problème pour envisager la réalisation de la démocratie, c’est le lien entre la professionnalisation de la politique et le fait partisan. A l’origine, les partis étaient des regroupements de députés. Petit à petit, ils se sont ouverts aux masses sur la base du partage d’opinions (libérales, conservatrices, progressistes, socialistes…). Mais cette ouverture avait aussi pour objectif de mettre les masse au service des luttes pour le pouvoir d’État.

Un enjeu de la démocratie réelle, affirme Samuel Hayat, consiste à détacher le fait partisan de l’organisation oligarchique de la compétition pour le pouvoir politique.

D’une part, les pouvoirs des citoyens doivent être élargis à l’ensemble des processus de décision. D’autre part, il faut engager le peuple à prendre parti massivement, dans des organisations démocratiques, porteuses de valeurs et de projets de société concurrents. Les modalités internes de fonctionnement de ces organisations doivent prévenir toute instrumentalisation au profit d’une oligarchie qui voudrait prendre le pouvoir.

Gilles Sarter

2 commentaires

Merci pour l’article.
Toutefois j’aimerais vous demander s’il n’y a aucune possibilité de concilier la professionnalisation politique et le fait partisan?

secession

Bonjour,
merci pour votre question. l’idée de s. hayat et de nombreux autres penseurs avant lui c’est que la professionnalisation des représentants est nuisible pour la démocratie, dans la mesure où les professionnels se substituent à « n’importe qui », dans les débats, la délibération et le contrôle des décisions qui concernent la collectivité. si l’objectif est la démocratie entendue comme prise de part à la décision de manière significative par n’importe qui alors un tel objectif paraît difficilement compatible avec la remise de la décision entre les mains de professionnels. si on voit les choses ainsi on comprend qu’il ne se pose pas la question de concilier professionnalisation de la politique et fait partisan. en fait, il dénonce plutôt l’utilisation du fait partisan par ceux qui font profession de politique.

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