La tribu est un mode d’organisation sociale dont l’existence est attestée depuis le début du Néolithique. La différence radicale qui distingue la tribu de l’ethnie est celle qui démarque la société de la communauté. Les rapports entre tribus et États sont forts anciens et peuvent être envisagés selon deux grandes lignes évolutives: la subordination des premières aux seconds ou le partage du pouvoir.
Qu’est-ce qu’une tribu ?
Une tribu est une forme de société qui contrôle, exploite et protège un territoire. Elle est constituée d’individus qui se reconnaissent comme apparentés, par naissance ou par alliance. Elle est toujours identifiée par un nom qui lui est propre. La notion de « territoire » doit être ici comprise dans un sens élargi. Une tribu peut exercer son contrôle sur des étendues pastorales ou forestières, des terres agricoles mais aussi sur des villages, des villes, des lieux sacrés, des routes caravanières…
Cette définition qui place les rapports de parenté au fondement des sociétés tribales tend à minimiser d’autres types de rapports sociaux qui sont pourtant au cœur de leur fonctionnement. Ainsi, les rapports de souveraineté sur les êtres humains, les territoires et leurs ressources ne relèvent jamais directement ou uniquement de la parenté.
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Par exemple, en Nouvelle-Guinée, chez les Baruya, pour identifier la tribu d’appartenance d’un interlocuteur, il faut lui demander à quelle « Tsimia » il appartient. Une Tsimia est un édifice construit pour abriter les rites d’initiation des garçons et des jeunes guerriers. Or les initiations servent à légitimer le fait que seuls les hommes adultes peuvent gouverner la société et la représenter à l’extérieur. Les rites initiatiques instaurent des rapports de solidarité et de subordination, en fonction de l’âge et du genre. Mais ils sont aussi des moments de rapprochement entre les humains et leurs ancêtres, les esprits de la nature et les divinités. Les initiations engendrent donc des rapports sociaux de types politique et religieux qui débordent les rapports de parenté.
Qu’est-ce qu’une ethnie ?
L’ethnie est définie comme un ensemble de groupes locaux qui prétendent descendre d’un ancêtre commun, qui parlent des langues appartenant à une même famille linguistique, qui partagent des modes d’organisation sociale, des représentations religieuses, des valeurs et des normes de conduites orientant la vie individuelle et collective.
De nombreuses tribus peuvent appartenir à une même ethnie. Et donc les individus peuvent se réclamer d’une double identité tribale et ethnique. C’est le cas, par exemple, des Kurdes, des Pachtounes, des Nuers, des Berbères du Moyen et du Haut-Atlas…
Il existe une grande différence entre le fait d’appartenir à une tribu et le fait d’appartenir à une ethnie. L’appartenance à la tribu procure l’accès à un territoire, à une épouse et assure la protection commune. L’appartenance à l’ethnie ne procure aucun de ces avantages. L’ethnie est avant tout une communauté culturelle et linguistique. Sa nature est principalement identitaire. La tribu constitue une « société », l’ethnie une « communauté ».
Tribus et États
L’exercice d’une souveraineté sur un territoire (compris dans un sens très élargi) constitue un trait fondamental de la vie tribale. Bien sûr cette souveraineté n’est pleine et entière que si la tribu n’est pas soumise au pouvoir d’un autre groupe ou d’un État.
Ce problème de la relation des tribus à l’État ne date pas d’hier. L’archéologie semble attester l’existence de tribus depuis au moins le début du Néolithique. Ce mode d’organisation sociale s’est généralisé sur tous les continents et a accompagné le développement de l’agriculture et de l’élevage pastoral.
Les premières formes d’organisation étatique attestées sont les Cités-États de Mésopotamie (Sumer), vers la fin du IVè millénaire avant notre ère, puis un peu plus tard celles d’Égypte, du Nord de la Chine (IIIè millénaire), d’Amérique Centrale, des Andes et de la côte du Pacifique (IIè millénaire). Les chefs des tribus et/ou des groupes ethniques qui bâtissent ces villes y construisent des temples, puis leurs palais d’où ils exercent leur pouvoir sur leur territoire. Ils deviennent ainsi des rois qui règnent sur des royaumes.
Maurice Godelier, Les tribus dans l’histoire et face aux États, CNRS Éditions.
A chaque fois qu’un État est né, il semble avoir été porté par des groupes organisés en tribus. Ce phénomène a été selon Maurice Godelier, le point de départ de deux lignes d’évolution des rapports entre les tribus et les États.
Subordination ou partage du pouvoir
Dans une ligne d’évolution, les tribus sont systématiquement subordonnées, transformées, marginalisées ou détruites par les formations étatiques. Elles laissent place à d’autres formes de groupe (castes, ordres, classes) qui résident dans des villages ou des villes. Les groupes ethniques ne disparaissent pas totalement. L’Europe, la Chine, l’Inde ont connu cette évolution historique.
Dans l’autre ligne, les tribus et les États se partagent le pouvoir sur les territoires, les ressources et les habitants. Les relations entre les deux entités sont fondées sur la négociation et les rapports de force. Ce processus a été à l’œuvre jusqu’à une époque récente au Maghreb et jusqu’à nos jours au Moyen-Orient et en Asie Centrale, d’une part en raison de la prédominance du pastoralisme, d’autre part, en raison de la supériorité militaire (mobilité et armement) des pasteurs sur les agriculteurs et les citadins.
Les tribus nomades ont continué d’exister en pillant ou en échangeant leurs produits ou leurs services (caravanes, protection militaire) avec les sédentaires. Quand elles finissaient par occuper et gouverner les villes, elles entamaient un processus de détribalisation dont Ibn Khaldun a rendu compte au XIVè siècle. Mais à chaque fois se reposait le problème du partage de souveraineté entre État et d’autres confédérations tribales.
De nos jours, le mode d’organisation tribale concerne encore une part importante de l’humanité. Dans des pays comme le Yémen ou l’Afghanistan et dans certaines régions du Soudan, du Pakistan ou d’Irak, l’État peine à imposer son autorité aux tribus. Le maintien des solidarités tribales est lié à plusieurs facteurs. A leurs membres, les tribus assurent protection, accès au territoire et à des épouses. Mais leur vitalité tient aussi au fait que les modes d’existence liés à l’élevage et à l’agriculture impliquent des règles collectives de contrôle des parcours, des terres agricoles et de l’eau. Or c’est à l’échelle de la tribu que ces droits sont encore souvent établis, négociés et contrôlés.
Gilles Sarter
Peut on étendre ce très intéressant résumé en considérant que l’histoire de l’humanité est celle de l’élargissement de son organisation en fonction de ses besoins economico techniques ? Exemple monarchie centralisée versus féodalité, puis révolution bourgeoise, Nations, globalisation, et toujours avec la question de la subsidiarite ?
Ça éclair un temps soit peu sur le problème de Kidal