La sociologie du droit selon Max Weber a pour objectif d'étudier le sens que les individus donnent à la norme juridique.
Pour le sociologue, l'élaboration d'un droit formel - procédural, prévisible et ne s'appuyant sur aucune valeur extérieure - a joué un rôle de premier plan dans le développement du capitalisme.
La sociologie du droit : les relations sociales
La sociologie du droit s'intéresse à la manière dont les normes juridiques encadrent les relations sociales.
Max Weber parle de relations sociales à propos des comportements qui concernent plusieurs personnes. Celles-ci orientent leurs actions les unes sur les autres.
Max Weber, Sociologie du droit, PUF
Comme toutes les actions sociales, les relations sociales sont sous-tendues par du sens. Ce qui veut dire que les gens sont capables d'évoquer les raisons pour lesquelles ils se comportent d'une certaine manière.
C'est sous la condition du sens seulement que l'on peut dire que les relations sociales sont les briques à partir desquelles se construisent les édifices sociaux que nous appelons sociétés, familles, entreprises, églises...
Une Église ou un État n'existent que dans la mesure où existent des relations entre des gens et que leurs motifs peuvent être exprimés par rapport à l'idée de cette Église ou de cet État.
Toutefois la notion de relation sociale n'implique pas que les gens lui prêtent un sens identique. Celui-ci peut même être antagonique.
La notion n'implique pas non plus l'idée d'une solidarité entre les acteurs. Cette dernière n'est qu'une modalité de relations parmi tant d'autres : amitié, hostilité, rivalité, coopération, commerce, sexualité, concurrence, etc.
Le droit et les conventions
Certaines relations sociales se répètent et ont cours chez de nombreuses personnes.
Bien souvent (la plupart du temps?), ces relations sociales répétitives sont encadrées par des ordres légitimes. Ces ordres sont plus ou moins manifestes (je ne traverse pas quand le petit bonhomme est rouge) et plus ou moins conscients.
Dans sa "Sociologie du droit", Max Weber distingue entre deux types d'ordre : le droit et la convention.
Le droit implique l'existence d'une instance qui est chargée de veiller au respect de son application. Le cas échéant, cette instance peut punir la violation de l'ordre.
L'instance en charge de la coercition peut prendre différentes formes. La police, la communauté villageoise ou la tribu peuvent agir comme forces de châtiment en cas de transgression d'un ordre légitime.
La convention se distingue du droit. En effet, sa transgression au sein d'un collectif n'implique pas un châtiment. Tout au plus elle peut déclencher une réprobation générale.
Pour être précis, il est aussi important de distinguer entre convention, usage et coutume.
Les usages et les coutumes
L'usage est simplement une régularité dans la relation sociale. Il devient coutume quand sa pratique repose sur une routine ancienne.
Dans le domaine vestimentaire, les modes passagères sont des usages. Par contre, le port de la jupe uniquement par les femmes se rapproche davantage d'une coutume, dans les pays européens. Sauf en Écosse où une tradition existe pour les hommes de porter des kilts.
Notons que les limites entre droit et convention sont flottantes. Il en est de même entre usage et coutume, ainsi qu'entre coutume et convention.
Le non-respect d'une coutume peut être interprété comme une transgression par le groupe et susciter la réprobation générale.
Ces différences et ces flottements nous ramènent aux objectifs de la sociologie du droit.
La sociologie compréhensive du droit
La perspective de Max Weber est celle d'une sociologie compréhensive. Le sociologue s'intéresse au droit pour essayer de mettre au jour sa signification.
Le sociologue n'interroge pas la validité des lois, des règlements comme le juriste. Il s'intéresse uniquement à la conduite des gens telle qu'elle découle de la signification qu'ils donnent du droit.
Comment les gens comprennent-ils la norme, le droit, l'ordre, la sanction... ? Où mettent-ils des limites ? Comment les significations orientent leurs comportements ?
En outre, le droit ayant pour fonction d'encadrer les relations sociales, quelle peut être l'influence de la nature de ces dernières sur son contenu ?
Max Weber s'intéressait au premier chef à la société capitaliste moderne. Il a donc essayé de mettre au jour l'idéal-type du droit qui domine dans une société où les relations marchandes prévalent.
Rappelons qu'un idéal-type, selon la définition établie par le sociologue, est une construction purement intellectuelle. Il agit en fournissant une compréhension de la réalité qui est toujours plus complexe. On le construit en rassemblant des traits épars mais qui s'articulent de manière rationnelle.
L'idéal-type du droit moderne brossé par Max Weber ne prétend pas correspondre à la réalité qui reste indescriptible tant elle est complexe. Mais il prétend fournir un modèle de ce qui en fait son originalité par rapport à d'autres formes de droits.
Le formalisme du droit
Si la rationalité instrumentale ou la calculabilité constitue le trait distinctif du capitalisme, le droit moderne lui se caractérise par son formalisme.
Le droit formel est un système qui obéit à une logique strictement interne. Les lois, les propositions et les notions juridiques s'articulent et se déduisent logiquement entre-elles.
Les considérations externes au droit ne sont pas nécessaires à son fonctionnement.
Au contraire, le droit matériel se réfère quant à lui à des éléments extra-juridiques : la morale, la religion, la politique, l'économie...
Jacques Grosclaude dans son introduction à la "Sociologie du droit" propose un exemple qui permet de bien comprendre ce que l'on entend par formalisme.
Nora et Paul sont agriculteurs. Leurs champs sont limitrophes. Pour accéder au champ de Nora, il faut traverser le champ de Paul. Afin de tirer profit de son fonds, Nora se fait établir une servitude de passage.
Marie rachète le champs de Paul. Puis, elle rachète le champs de Nora et le revend immédiatement à Marc. Celui-ci ne bénéficie plus du droit de passage chez Marie malgré le caractère perpétuel de la servitude.
Cette règle se fonde sur un raisonnement strictement formel qui s'appuie sur l'article 705 du code civil : "Toute servitude est éteinte lorsque le fond à qui elle est due [champs de Nora] et celui qui la doit [champs de Paul] sont réunis dans la même main [au moment où ils sont acquis par Marie]."
Dans cette situation la rationalité formelle s'abstient de toutes considérations extérieures au droit qu'elles soient sociales ou économiques...
Inversement le droit matériel pourrait s'interroger s'il est pertinent pour l'utilisation efficiente des champs que les servitudes puissent s'éteindre. La réponse nécessite l'introduction d'éléments économiques, utilitaires, agronomiques...
Le formalisme et le capitalisme
Max Weber affirme que pour son essor le capitalisme a besoin d'un droit sur lequel il puisse compter comme sur une machine.
Encore une fois cette prévisibilité découle de deux phénomènes.
Le droit est formel quant à la logique. Tout son contenu forme un système logiquement clair, ne se contredisant pas et étant sans lacune.
Mais le droit est aussi formel sur le plan de la procédure. Il n'est valide que s'il se conforme à des caractéristiques extérieures établies une fois pour toute.
Par exemple, la validité d'un acte repose sur l'utilisation d'un mot ou d'une phrase établis une fois pour toute. Un contrat n'est valide que s'il présente une forme écrite bien précise...
La formalisation du droit résulte du travail de juristes spécialisés et professionnels, formés dans des Universités.
Max Weber avance que ces derniers ne se préoccupent que de la cohérence logique des propositions. Ils ne s'intéressent pas aux valeurs qui sous-tendent les propositions juridiques.
Il en résulte un droit entièrement prévisible.
Le formalisme juridique permet en somme à l'appareil judiciaire de fonctionner comme une machine techniquement rationnelle.
Un tel mode de fonctionnement offre aux individus la possibilité d'estimer rationnellement les conséquences juridiques de leurs activités. En ce sens, il est favorable au développement d'activités capitalistes.
La coercition en dernier recours
L'égalité formelle de droit ne fait pas de distinction de personnes. En principe, elle garantit une liberté maximale aux individus dans la poursuite de leurs intérêts matériels.
Dans les faits, au sein des sociétés capitalistes, le pouvoir économique est inégalement réparti. Le formalisme juridique avalise cet état de fait.
Max Weber en conclut que la liberté garantie par le droit formel foulera toujours aux pieds les idéaux de justice matérielle.
De manière générale, le formalisme du droit tend toujours vers le minimum moral.
La modernité se caractérise, selon le sociologue, par un vide normatif : disparition des contenus culturels traditionnels ; fin des grands récits religieux ; absence de valeurs ultimes...
Pour approfondir, lisez aussi notre article sur la sociologie de Max Weber
Il est donc aisé pour le système juridique de justifier son auto-fondation et son émancipation vis-à-vis de la morale.
Mais ce phénomène d'auto-fondation a une conséquence. Le consentement aux lois n'est plus fondé comme autrefois sur une validité d'ordre religieuse, charismatique ou coutumière.
L'adhésion aux lois repose dès lors sur la contrainte légale nue. Les justiciables doivent savoir qu'en cas d'insoumission, ils seront forcés physiquement à obéir.
Finalement, dans les sociétés modernes, la cohésion sociale ne reposerait plus sur l'adhésion à des valeurs communes. Elle serait plutôt fondée sur la crainte de se voir appliquer une force physique en cas de refus de se soumettre.
© Gilles Sarter
C’est un article intéressant