Le projet d’autonomie collective et individuelle chez C. Castoriadis

Le projet d’autonomie pour Cornélius Castoriadis, c’est le projet d’une société dans laquelle tous les citoyens ont la possibilité effective et égale de participer au gouvernement, à la législation et à la juridiction.

Dans cet état de chose, tous les citoyens contribuent à l’institution de leur société. Ce projet est révolutionnaire, au sens, où il appelle une démarche collective et volontaire qui induit un changement radical des formes d’organisation et de fonctionnement de nos sociétés actuelles.

Cornélius Castoriadis, Une société à la dérive, Éditions du Seuil.

Pour décrire l’organisation générale de ces sociétés et penser les changements qu’appellent le projet d’autonomie, Cornélius Castoriadis recourt à trois catégories de la pensée grecque antique, qui délimitent trois sphères de la vie sociale.

L’oikos est l’univers de la maison et de la famille qui l’occupe. Il correspond à la sphère privée, celle de la vie étroitement personnelle des individus. L’ekklèsia est l’assemblée des citoyens, le lieu de la délibération et de la décision concernant les affaires communes. C’est la sphère publique ou politique. L’agora, enfin, est le lieu de rencontre où les gens discutent, échangent des nouvelles, achètent, vendent… C’est la sphère publique-privée.

Sur la démocratie grecque vue par C. Castoriadis, lire aussi Le germe de la démocratie

Dans la cité athénienne, la participation des citoyens à la prise de décision démocratique est effective et égalitaire dans la sphère publique. Dans la sphère privée, c’est l’autorité du pater familias qui s’impose aux membres de l’oïkos (femmes, enfants, esclaves). Enfin, les activités de la sphère publique-privée et de la sphère publique sont cantonnées à leurs domaines respectifs.

Nos sociétés contemporaines sont organisées différemment. Il y a d’abord une exclusion prononcée des citoyens de la politique. La population n’y participe pas, sauf à élire de loin en loin des personnes qu’elle ne connaît pas, sur des programmes et des problèmes mal connus. La sphère publique y perd donc son caractère public. Les décisions qui impactent la collectivité sont prises par une minorité et sans transparence. L’État contemporain acquiert un caractère privé et secret.

La population étant écartée de la politique, elle est cantonnée à la sphère privée et à la sphère publique-privée, principalement dans la consommation, le loisir et le travail.

Une autre caractéristique majeure, des sociétés de type de capitaliste concerne la domination plus ou moins nette de la sphère « publique » (qui en réalité n’est plus publique) par une autre composante de la sphère privée-publique qui est l’économie de marché.

Oligarchie libérale est la formule qui, selon Cornélius Castoriadis, désigne le mieux nos sociétés dans lesquelles la sphère publique a presque complètement perdu sa qualité publique et où elle est plus ou moins subsumée par une partie de la sphère privée-publique (l’économie, le « marché »).

Dès lors, le projet d’autonomie exige une ré-articulation correcte des trois sphères de la vie sociale. Il exige aussi de redonner sa qualité publique à la sphère publique. Pour ce faire, les institutions doivent inciter les gens à participer à la détermination des affaires communes et elles doivent leur permettre de le faire. Le vrai sens de l’égalité est celui de la participation effective et égale, à tous les pouvoirs institués au sein de la société.

La réalisation de l’autonomie soulève de nombreux problèmes qui ne pourront être résolus que si un mouvement collectif d’ampleur suffisante s’en empare de manière volontaire. Par exemple, l’autonomie n’est pas compatible avec la concentration de la propriété patrimoniale et de la propriété d’usage des moyens de production, dans les mains d’une minorité de grands capitalistes. Elle n’est pas non plus compatible avec une organisation bureaucratique déconnectée des processus de décision démocratique.

Sur ce thème, voir l’article La légende de la libération du travail

Il y a aussi la question de l’autonomisation du travail par rapport à sa mise sous-tutelle du profit. De manière générale, l’autonomie implique que les activités économiques soient orientées vers la satisfaction des besoins réels des gens, décidés démocratiquement.

Pour Cornélius Castoriadis, ces transformations vont de pair avec une transformation anthropologique des individus. Autonomie collective et individuelle sont inséparables. Pour le dire rapidement, la passion pour les affaires communes, telle qu’elle l’a emporté à des moments ou des époques passées, doit l’emporter sur les intérêts et les attitudes promus par l’imaginaire capitaliste : la production et la consommation, l’accumulation matérielle, la course au profit… comme buts de la vie humaine.

Gilles Sarter

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