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Pouvoir social & Économie

Dans « Utopies réelles », Erik Olin Wright décrit une série de voies possibles pour renforcer le pouvoir social au sein des activités économiques.

Par pouvoir social, le sociologue désigne le pouvoir qu’exercent les gens en s’associant volontairement. La capacité mobilisatrice de ces associations (partis, syndicats, coopératives, communautés, ONG…) permet d’organiser des formes d’actions collectives qui font avancer les objectifs communs.

Pouvoir social dans l’économie

Voir notre article : 7 voies pour renforcer le Pouvoir Social dans l’économie.

Les voies qui permettent d’introduire davantage de démocratie dans les activités économiques peuvent prendre différentes formes : économie sociale, économie coopérativiste, démocratie participative…

L’idée que défend E.O. Wright consiste à dire qu’un mouvement d’ensemble qui combinerait ces différentes voies partout où cela est possible pourrait conduire à une modification des rapports de force et de domination capitalistes.

De son propre aveu, cette théorie peut paraître à la fois séduisante et assez improbable.

D’abord elle peut séduire. En effet, les sociétés capitalistes semblent présenter de nombreux interstices. Dans ces interstices peuvent s’immiscer des formes d’activités économiques non capitalistes.

Freins de l’État capitaliste

En même temps, il peut paraître tout-à-fait improbable que l’accumulation de ces expériences puisse réellement supplanter le capitalisme.

D’une part, les grandes entreprises détiennent des richesses immenses et sont donc en mesure de maintenir ces alternatives à la marge de l’économie générale.

D’autre part, pour de nombreux penseurs, les États des sociétés actuelles ne sont pas prêts à admettre la remise en question de la prédominance du capitalisme.

Les tenants de l’idée d’un « État capitaliste » avancent qu’il n’est pas seulement question d’États « dans » des sociétés capitalistes mais bien de structures étatiques qui tendent à reproduire les rapports capitalistes et à bloquer les autres possibilités.

Pour ces penseurs, l’État soutient systématiquement le capitalisme, non pas en raison de la préférence des gouvernants mais du fait même de sa structure. Les mécanismes qui sous-tendent son action sont biaisés de sorte à favoriser systématiquement les intérêts de la classe capitaliste.

Si tel est le cas alors un approfondissement significatif et durable de la démocratie au sein des sociétés capitalistes n’est pas envisageable. La démocratie par participation directe des citoyens aux décisions économiques restera confinée à des secteurs marginaux.

États hybrides

Toutefois, pour le sociologue ces critiques sont fondées sur une conception du monde social qui est contestable. Fondamentalement, celle-ci repose sur l’idée que les sociétés sont des systèmes intégrés et cohérents dont les éléments doivent être bien assemblés pour fonctionner.

A l’inverse, E.O. Wright nous invite à considérer les sociétés comme des systèmes qui sont faiblement ajustés.

Ainsi, dans les sociétés dites capitalistes cohabitent des structures économiques capitalistes mais aussi étatiques (entreprises et administrations publiques) et socialistes (coopératives de travailleurs, économie sociale…).

De la même façon, l’État combine en son sein des éléments antinomiques qui peuvent le conduire à agir de manière contradictoire. Pour E.O. Wright, la description de l’État comme État capitaliste devrait être comprise comme un type idéal.

Les États capitalistes réels doivent être appréhendés comme des systèmes hybrides, à l’intérieur desquels, selon des degrés variables les mécanismes en faveur du capitalisme sont plus ou moins dominants.

C’est ainsi qu’au milieu du 20ème siècle, les États capitalistes ont mené des politiques de la sociale-démocratie. Ils ont alors facilité le développement de réglementations et d’administrations publiques dynamiques.

A l’époque actuelle, la sociale-démocratie ne prospère plus. Le capitalisme a retrouvé sa voracité. Le pouvoir populaire semble affaibli dans sa capacité à contester sa domination absolue.

Un retour à la situation qui prévalait dans la seconde moitié du 20ème est-elle encore possible ?

Deux tendances favorables

Le sociologue américain pense qu’il existe des sources d’optimisme. Il pense que deux tendances peuvent éroder la position dominante du capitalisme.

Premièrement, le réchauffement climatique pourrait provoquer la fin du néolibéralisme. Les adaptations nécessaires aux nouvelles conditions écologiques vont demander une augmentation considérable de biens publics fournis par l’État (notamment des infrastructures).

Leur financement nécessitera une augmentation considérable de la fiscalité. En outre, il faudra réhabiliter, dans les esprits, la fonction interventionniste de l’État comme pourvoyeur de services et de biens publics.

En France, Cédric Durand (économiste) et Razmig Keucheyan (sociologue) proposent de créer un nouvel impôt sur la fortune pour financer la transition écologique. Le principe en est simple. Au-dessus de 10 millions d’euros l’État prélèverait tout. La mesure concernerait 0,1 % de la population. Les 500 milliards d’euros récoltés financeraient une instance chargée d’élaborer et d’exécuter un plan d’investissement dans l’écologie. Sa gouvernance répondrait au principe de renforcement du pouvoir social. Elle inclurait des élus, syndicats, associations de consommateurs, des citoyens tirés au sort, des scientifiques…

Si ces processus de revalorisation du rôle de l’État comme fournisseur de biens publics se déroulent dans un cadre démocratique, ils peuvent favoriser des interventions à vocation sociale plus large.

Ces politiques sociales seront aussi encouragées par une seconde tendance. La révolution de l’information et ses bouleversements technologiques vont avoir des effets conséquents sur l’emploi. Il va en résulter une augmentation de la précarité et de l’exclusion sociale pour une portion significative de la population.

Cette tendance est susceptible de produire de l’instabilité sociale et des conflits coûteux.

L’exclusion économique d’une part importante de la population et l’insécurité sociale engendrées par les changements technologiques devront être pris en charge par des politiques publiques.

Dans ce contexte, E.O. Wright voit une chance pour les mobilisations et les luttes populaires de produire des nouvelles formes d’interventions publiques qui garantiraient le développement d’activités économiques plus démocratiques et égalitaires.

(c)Gilles Sarter

Erik Olin Wright (1947-2019) est un sociologue américain grand spécialiste de l’étude des classes sociales et des alternatives au capitalisme. Sur son apport à la connaissance des sociétés contemporaines et à l’activisme anticapitaliste, voir notre livre:

Couverture livre Erik Olin Wright et le pouvoir social

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