pouvoir social sociologie critique de l'économie par erik wright

Renforcer le Pouvoir Social dans l’Économie

E.O. Wright propose, dans "Utopies réelles", de prendre au sérieux le radical "social" dans socialisme.

Il utilise la notion de "pouvoir social" pour identifier les alternatives qui permettent d'introduire plus de démocratie, dans les décisions économiques.

Capitalisme et étatisme

L'organisation des activités économiques au sein des sociétés requiert de nombreuses prises de décisions :

Que produire ? Comment le produire ? Quelle est la valeur de ce qui est produit? Quelles externalités négatives sociales ou environnementales sont acceptables ? Qui possède la valeur produite ?…

Toutes ces décisions ont à voir avec l'exercice du pouvoir. Et dès lors, la question centrale devient : qui décide?

Au sein des sociétés occidentales actuelles, les activités économiques sont principalement organisées de manière étatique et capitaliste.

Étatisme signifie que la production et la distribution sont contrôlées par l’État. En France, les administrations et les entreprises publiques produisent des biens et des services dans les secteurs de l'éducation, de la sécurité, de la défense, de l'énergie, de la santé, des transports, de la recherche... Le pouvoir de décision au sein de ces organisations étatiques appartient aux hommes politiques et aux hauts-fonctionnaires.

Le capitalisme repose sur l'idée qu'au sein de l'entreprise seule la propriété des moyens de production et des capitaux confère le droit de décision. Les travailleurs qui ne possèdent pas les machines mais dont le travail est indispensable à leur mise en activité sont maintenus, selon l'expression de Bernard Friot, dans un statut de mineur social. Rien d'autre ne leur est dû que leur rémunération.

Bernard Friot, L'Enjeu du Salaire, La Dispute.L'étatisme aussi bien que le capitalisme supposent une violence indéfiniment renouvelée qui écarte les principes démocratique et égalitariste. La justice politique énonce, en effet, que toutes les personnes devraient avoir un accès égal aux moyens nécessaires pour participer aux décisions qui affectent leurs vies en tant qu'individus et en tant que membres de la communauté.

Pouvoir social

Ce que les idées reçues cherchent justement à masquer, c'est que toutes les personnes sont parties prenantes dans les activités économiques, pas seulement les capitalistes et les hommes politiques.

Elles le sont au sens restrictif quand elles participent directement à la production et à la consommation. Et elles le sont au sens large parce que leurs existences sont affectées par ces deux activités même quand elles n'y participent pas directement (pollution, nuisances, maladies, occupation de l'espace, impôts...).

Il en résulte que si les principes de la démocratie étaient effectivement appliqués – le fameux gouvernement par le peuple – alors chacun pourrait participer aux prises de décisions qui concernent l'économie : ce qui doit être produit, comment il doit être produit, quelle est la valeur de ce qui est produit, quelles externalités négatives sont tolérables...

E.O. Wright décrit 7 voies qui permettent de mettre en œuvre un contrôle démocratique direct et indirect de l'économie.

Ces différentes voies reposent sur la capacité des individus à s'organiser politiquement pour faire progresser leurs objectifs. En effet, les associations volontaires (partis, syndicats, clubs, communautés, ONG...) sont en mesure d'exercer un pouvoir par leur capacité d'action collective. C'est ce que E.O. Wright appelle le "pouvoir social".

L'idée d'un pouvoir social capable de défier le pouvoir économique ou étatique est illustrée par le slogan : "Ils ont des milliards. Nous sommes des milliards".

Si la démocratie est le nom donné à la subordination du pouvoir étatique au pouvoir social, "socialisme" est le nom qui désigne la subordination du pouvoir économique au pouvoir social.

Le socialisme est alors défini comme une structure économique dans laquelle les multiples déclinaisons du pouvoir social encadrent l'organisation de l'activité économique, directement ou indirectement.

Socialisme étatiste

L'idée de base du socialisme étatiste est la suivante. L’État est un instrument à travers lequel la société civile pourrait contrôler certaines activités économiques.

Dans ce système, les personnes s'assembleraient en associations ou partis volontaires. Leurs représentants assumeraient démocratiquement et de manière transparente le contrôle des administrations et entreprises publiques.

Dans nos sociétés contemporaines, la production par l’État de services (éducation, santé, transports en communs...) est très peu subordonnée au pouvoir social.

Les politiques visent davantage à renforcer les conditions favorables au développement des entreprises capitalistes, à leur céder des pans entiers de l'activité publique (autoroutes, énergies...) ou à leur en ouvrir les portes (ouverture de l'éducation nationale aux entreprises du numérique...).

La démocratisation de l’État est donc un préalable nécessaire pour que la production de services et biens publics émane de l'exercice d'un authentique pouvoir social.

Régulation sociale-démocrate de l'économie

L’État dans la régulation sociale-démocrate de l'économie n'agit pas comme producteur mais comme régulateur de l'activité économique.

L’interventionnisme étatique inclut de nombreuses mesures : contrôle de la pollution, de la santé au travail, de la qualité des biens et services, fixation des salaires...

L'expression du pouvoir social dépend bien sûr de la démocratisation des processus régulateurs étatiques. Car encore une fois, les politiques actuelles des États occidentaux répondent davantage aux besoins et au pouvoir des entreprises capitalistes qu'à ceux de la société civile.

 

pouvoir social dans l'économie selon le sociologue erik olin wright

 

Démocratie associative

La démocratie associative englobe toutes les modalités d'organisation qui permettent à la société civile de participer à l'orientation des activités des structures économiques publiques ou privées.

La forme la plus connue est peut-être celle des dispositifs de négociation tripartites (syndicats, organisations patronales, État) sur la réglementation du travail et de l'emploi.

Ce modèle peut aussi être appliqué dans de nombreux autres domaines : environnement, santé, éducation... Il consiste à rassembler les parties prenantes (communautés locales, association d'usagers ou de protection de la nature, professionnels et entreprises du secteur concerné, représentants de l’État...). Ces assemblées prennent des décisions de manière transparente et délibérative.

Capitalisme social

Dans la voie du capitalisme social, les groupements d'intérêt issus de la société civile exercent directement leur pouvoir social sur les entreprises.

L'exemple le plus classique est celui des syndicats de travailleurs qui réussissent à imposer des augmentations de salaire ou des améliorations des conditions de travail.

Une version plus radicale serait de remplacer les comités d'administration ou d'actionnaires des entreprises par des comités composés de toutes les parties prenantes : propriétaires ou actionnaires, salariés, consommateurs, communautés de riverains, associations de protection de l'environnement...

Une autre possibilité serait de remplacer les services publics qui sont chargés du contrôle de la fraude, de l'hygiène, de la sécurité, de la pollution… par des comités de travailleurs, de consommateurs...

Économie de marché coopérativiste

Les coopératives de travailleurs autogérées fonctionnent selon le principe démocratique une personne, une voix.

Afin de renforcer la place des coopératives au sein des économies capitalistes, E.O. Wright propose de favoriser le développement d'une économie coopérative de marché.

Il s'agit de favoriser les regroupements en coopératives de coopératives permettant de mutualiser des moyens (formation, logistiques, matériels...). On pourrait aussi imaginer de favoriser l'organisation de filières de coopératives de l'amont à l'aval, par exemple : des coopératives d'agriculteurs approvisionnant des coopératives agro-alimentaires qui distribuent leur production au sein de super-marchés coopératifs...

Économie sociale

L'économie sociale suppose l'implication directe d'associations de bénévoles dans les activités économiques.

Les collectifs produisent directement des biens ou des services sans que la production soit soumise au calcul du profit ou à la rationalité technocratique de l’État.

Par exemple, l'encyclopédie Wikipédia dissémine gratuitement de la connaissance élaborée par des bénévoles. Les coûts de fonctionnement sont assurés principalement par des dons.

Socialisme participatif

Le socialisme participatif combine le socialisme étatique et l'économie sociale.

Les associations exercent leur pouvoir social à travers l’État ou les collectivités locales. De plus, elles participent directement aux activités économiques déployées par l’État.

E.O. Wright avance comme exemple la mise en place d'un budget participatif à Porto Alegre au Brésil. Les associations de citoyens sont responsables de la mise en place des politiques municipales. En même temps, elles sont directement engagées dans les projets d'infrastructures publiques décidés par ces politiques.

Trois conditions de réussite

Erik Olin Wright, Utopies réelles, La Découverte.La conception du socialisme que défend E.O. Wright n'a rien à voir avec les tentatives de planification globale, encadrées par des institutions bureaucratiques centralisées, qui ont eu lieu dans l'ex-URSS et les pays de sa sphère d'influence.

Cette approche ne prétend pas résoudre définitivement le problème du contrôle des activités économiques. Les 7 voies décrites reposent sur l'idée qu'il est possible d'exercer un contrôle démocratique direct ou indirect sur l'économie. Cette liste ne constitue pas un inventaire complet des initiatives existantes ou imaginables allant dans ce sens.

Les propositions examinées renforcent le pouvoir d'agir social mais préservent une place substantielle aux marchés

Pour le sociologue, seul un mouvement intégrant simultanément l'ensemble de ces modèles pourrait contraindre ces marchés en fonction de priorités démocratiques et tenter de neutraliser leurs effets négatifs.

Gilles Sarter

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