la multitude contre l'empire sociologie et critique sociale

La Multitude face à l’Empire

Dans deux ouvrages, les philosophes M. Hardt et T. Negri ont popularisé les concepts de Multitude, d'Empire et de Commun.

M. Hardt et T. Negri, L'Empire (Exils, 2000) et Multitude (2004, La Découverte)Ces concepts ont pour vocation, selon les deux auteurs, de contribuer au développement des formes politiques qui s'opposent au capitalisme mondialisé.

Empire

L'époque est à l'affaiblissement de la souveraineté des États-nations. Cet affaiblissement s'effectue au profit d'un nouvel ordre global, mondial que les deux philosophes appellent l'Empire.

La principale caractéristique de l'Empire est de soutenir indéfectiblement le capitalisme mondialisé.

L'Empire ne doit pas être envisagé comme une sorte d'Hyper-État de dimension planétaire. Sa structure est en réalité radicalement différente des États-nations traditionnels.

Contrairement à ces derniers, l'Empire ne s'ancre pas dans un territoire et ne s'entoure pas de frontières fixées. En revanche, il essaie de construire un ordre mondial en utilisant toutes formes de relations de pouvoir : militaires, économiques, politiques, culturelles...

Pour essayer de mieux visualiser sa structure, T. Negri et M. Hardt empruntent à l'historien Polybe (IIe siècle av. JC) sa description de l'Empire romain en trois catégories de corps.

Les corps monarchiques sont ceux qui peuvent exercer un maximum de pouvoir à l'échelle planétaire : USA et les instances et organisations internationales (G8, OTAN, FMI, Banque Mondiale).

Le pouvoir exercé par les corps aristocratiques est conséquent mais de moindre intensité : États-nations de moyenne puissance et grandes multinationales.

Enfin, les corps démocratiques (Assemblée générale des Nations-Unis, grandes ONG...) sont supposés représenter le peuple.

Tous ces éléments n'ont donc pas la même importance. Et, ils développent tous des stratégies particulières. Ces stratégies les conduisent à coopérer, à s'affronter ou à essayer de s'instrumentaliser mutuellement.

Par exemple, les multinationales tentent de faire des États de simples instruments pour enregistrer les flux de monnaie, de marchandises et de populations. Le FMI oriente les politiques nationales. Les USA déclenchent des guerres contre d'autres pays...

Mais in fine, les actions combinées des différents corps aboutissent à la production d'un ordre global.

Cet ordre à la particularité de chercher à réguler la vie à tous les niveaux aussi bien sociaux qu'individuels. Cette régulation opère sous la forme de rapports d'exploitation et de marchandisation.

Multitude de sujets différenciés

Dans le contexte de l'Empire qui essaie de capter toutes les relations de pouvoir à son profit, une multiplicité de mouvements et de sujets engagent des luttes pour leur émancipation : Forum de citoyens, zadistes, Occupy Wall Street, mouvements de paysans sans terre...

Le concept de Multitude sert pour nommer, à la fois, ce processus social et le projet politique qu'il porte.

En un premier sens, la Multitude est donc multitude de sujets différenciés.

La Multitude est irréductible à l'unité, contrairement au "peuple", qui est souvent conçu comme gouverné par l’État. Selon cette conception, le principe d'unité du "peuple" est le prétendu contrat social qui est passé entre l’État et ses citoyens.

La Multitude au contraire refuse de se laisser capturer par l’État. Sa base est d'abord le refus de tout commandement. Elle trouve son unité dans la rébellion, la révolte et les essais de réappropriation du pouvoir.

La Multitude n'est pas non plus la "masse". La "masse" est construite par le totalitarisme ou le consumérisme, en détruisant les singularités et en additionnant les solitudes individuelles (les fameuses "foules solitaires").

Dans la Multitude, les individus singuliers cultivent leurs différences et s'unissent par l'action. La lutte contre l'Empire sur différents terrains prend différentes formes singulières : supermarchés coopératifs, La Carmagnole, sociétés coopératives de travailleurs...

Enfin, la Multitude n'est pas le prolétariat, ni une nouvelle classe sociale qui réunirait les individus sur la base de leurs attributs socio-économiques.

La Multitude est mouvement de résistance contre la marchandisation du monde et son exploitation par le capital.

Lors des émeutes anti-G8 de Gênes en 2001, les no global sont devenus une multitude dans tous les sens du terme : à la fois sujet de libération et objet de répression.

Une réalité économique et une puissance

Dans un deuxième sens, la Multitude est une réalité économique.

Elle constitue une puissance productrice extrêmement forte. En réalité l'Empire est totalement dépendant de la Multitude productive sur laquelle il aspire à régner. A l'inverse, la Multitude pourrait s'autonomiser et "faire société" à elle seule.

En paraphrasant le sociologue Bernard Friot, on peut dire que la Multitude pourrait organiser elle-même le travail sans employeurs ni prêteurs.

Dans un troisième sens, T. Negri et M. Hardt font de la Multitude une puissance.

Ici les deux philosophes s'appuient sur la distinction opérée par Spinoza entre pouvoir et puissance. Le pouvoir est "pouvoir sur". Le pouvoir agit en forçant à accomplir ou en empêchant d'accomplir un acte. La puissance et "puissance de", c'est-à-dire capacité ou faculté à réaliser un acte.

La Multitude est puissance. Elle veut recréer le monde. Elle aspire à libérer son travail créatif et productif de l'exploitation par le pouvoir impérial. Pour se faire, elle invente des formes sociales et productives nouvelles.

L'Empire est une structure parasitaire qui se nourrit de la capacité de création et de la coopération de la Multitude. Il exerce son pouvoir de manière ambiguë. D'un côté, il a besoin d'absorber les éléments d'innovation provenant de la Multitude. De l'autre son action tend à inhiber ce qu'elle a de créateur au bénéfice de formes figées ou déjà existantes.

Le Commun comme projet

Le projet politique de la Multitude est celui de la radicalisation de la liberté et de l'égalité, à travers la promotion du Commun.

Le Commun concerne ce que nul ne devrait s'approprier individuellement. Cependant, il ne doit pas être conçu comme ce qui nous appartient collectivement.

Le Commun c'est ce qui nous lie aux autres. C'est un don que nous avons reçu et qui nous oblige à rendre.

Dans un premier sens, il est attaché au monde naturel : terre, air, eau, lumière, plantes, bactéries... Les entreprises et les États s'octroient des brevets et des droits à exploiter ou à polluer le Commun comme s'il leur appartenait.

Le deuxième sens englobe les résultats de la créativité, de l'intelligence et du travail humain. Tout étant produit par tous devrait appartenir à tous. Or là aussi le capital s'approprie cette production commune.

Découvrez d'autres articles de Critique SocialeEnfin, le Commun concerne le droit à la différence et à la collaboration des singularités. Le projet encore une fois s'oppose à l'uniformisation, à l'aliénation et à la domination promues par l'Empire capitaliste.

 

1 commentaire

AIT BOUHOU HAMID

Excellent

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