La notion de subjectivation politique est une notion de théorie politique. Elle désigne les processus par lesquels les individus se découvrent une liberté ou une capacité d’action à l’égard des assignations sociales qui régissent leur vie.
Subjectivation politique
Contrairement à ce que l’expression pourrait laisser à penser, les processus de subjectivation politique n’ont pas trait spécifiquement au « monde de la politique ». Ils relèvent plutôt des manifestations du politique dans la vie sociale en général.
Ainsi, ces processus peuvent prendre naissance dans n’importe quelle sphère d’action sociale (travail, éducation, art, consommation…) qu’ils finissent par déborder en ouvrant sur des conflits d’ordre politique. En la matière, ce qui est politique, ce n’est donc pas la sphère sociale où se déroule les actions mais c’est la qualité des actions produites par les sujets.
Des femmes au foyer, des ouvrières et des ouvriers, des étudiantes et des étudiants deviennent des sujets politiques à partir du moment où, à titre individuel et collectif, ils remettent en question, par delà le foyer, l’usine ou l’université, les assignations sociales qui régissent leur vie, en tant que femmes, ouvriers, étudiantes…
Federico Tarragoni, Du rapport de la subjectivation politique au monde social, Raisons politiques, 2016/2, n°62
La subjectivation politique s’actualise alors obligatoirement par la combinaison de processus individuels et collectifs.
Ainsi, c’est par une transformation subjective que des femmes ou des ouvriers reconfigurent leur rapport à soi, en s’autonomisant vis-à-vis des représentations sociales et des normes qui disent ce que « sont » ou ce que « doivent être » une femme et un ouvrier. La formation de collectifs permet de porter le conflit sur un plan politique. Ce conflit remet en question la distribution des positions et des statuts qui échoient aux unes et aux autres, au sein de l’organisation sociale.
Sujet et peuple forment donc les deux pôles indispensables de la subjectivation politique. En l’absence de constitution d’un peuple porteur d’un conflit, les résistances individuelles à des ordres sociaux oppressants ne peuvent déboucher sur des processus de subjectivation politique.
Quant aux mouvements sociaux, ils ne peuvent pas être considérés comme des agrégats de sujets politiques, si les individus n’effectuent pas un travail réflexif sur eux-mêmes. Ces précisions permettront d’identifier les mésusages des concepts de subjectivation, d’empowerment, de résistance ou d’émancipation.
Le concept d’émancipation et celui de subjectivation politique peuvent être considérés comme des synonymes, dans la mesure où s’émanciper et devenir un sujet politique présupposent, tous les deux, une remise en question des certitudes et des dispositions qui conditionnent les rapports des individus aux assignations et hiérarchies sociales.
Approches sociologiques
La question de l’articulation entre l’individu et le collectif constitue une problématique centrale de la sociologie. Il paraît donc naturel que cette discipline s’intéresse aux processus de subjectivation ou d’émancipation.
L’écueil qu’elle doit éviter est celui du sociologisme qui ramène toute explication, en dernière instance, à des contraintes sociales extérieures pesant sur les individus. Ce réductionnisme est présent dans les théories qui conçoivent la « société » comme une totalité cohérente et intégrée qui écrase les individus et annihile toute possibilité de créativité politique. Dans cette vision « sociocratique », précise Federico Tarragoni, le social devient l’horizon d’un dispositif d’invisibilisation du politique.
A l’encontre de cette démarche, s’oppose une sociologie qui tente de montrer les ancrages sociaux des processus de subjectivation politique, en analysant les rapports entre domination et émancipation, dans des contextes socio-historiques précis.
Les individus qui s’émancipent ou se construisent comme sujets politiques ne le font pas « hors du social ». Ils demeurent, tout au long du processus, plongés dans des rapports de domination ou d’exploitation. La sociologie de l’émancipation s’intéresse aux mécanismes par lesquels des individus parviennent à mettre en question ces rapports, individuellement et collectivement, et par là à se créer de nouvelles identités politiques.
Gilles Sarter