En opposant politique de la dignité et politique de la pauvreté, John Holloway décrit deux conceptions différentes du monde, de la politique et de ce qui entre en jeu dans le changement social.
Politique de la Pauvreté
John Holloway utilise l’expression « politique de la pauvreté » pour parler de certaines politiques qui entendent éradiquer l’état de pauvreté. Ces politiques se caractérisent par la mise en œuvre d’actions qui sont définies dans la perspective de bénéficier à une population cible, considérée comme pauvre : amélioration des revenus, de l’accès à des emplois stables, des conditions de santé, de l’éducation, du logement…J. Holloway, A quelle distance est l’Amérique latine?, Variations n°13/14, 2010
L’élaboration des politiques de la pauvreté, telles qu’entendues par J. Holloway, repose sur un processus d’objectivation. Ce sont les individus identifiés comme bénéficiaires qui sont objectivés. La complexe réalité de leur subjectivité d’être humain est oubliée. Les destinataires de ces politiques deviennent « les pauvres », « les chômeurs », « les sans-abris », « les précaires »…
Autrement dit, les conditions ou les situations sociales de vie des individus (la privation de ressources, de travail, de logement…) finissent par devenir des qualités qui servent à les caractériser et à les définir.
C’est au nom des populations objectivées en « pauvres », « précaires », « chômeurs »… que sont mises en œuvre les politiques de la pauvreté. Un groupe de personnes (gouvernement, fonctionnaires, experts, élus…) déclarent qu’ils agissent pour « les pauvres » et en leur nom. Cette manière d’agir les conduit généralement à imposer leur point de vue sur ce qui est bénéfique pour ces derniers et donc à les traiter comme des objets.
Politique de la Dignité
A cette conception de la politique, John Holloway en oppose une autre. Il l’appelle « politique de la dignité », en s’inspirant des Zapatistes qui font de la dignité leur principe moral principal.
Le principe de dignité vise à remettre au premier plan les sujets humains que les politiques de la pauvreté tentent d’objectiver.
En nous tournant vers les gens qui vivent dans des situations de dénuement matériel, nous ne pouvons manquer d’observer qu’ils sont engagés dans une lutte quotidienne pour la survie ou pour l’amélioration de leurs conditions d’existence. Au titre de ces capacités d’action, de réflexion ou des capacités à lutter pour changer le monde, il n’y a pas lieu d’opérer une distinction entre les êtres humains. Seules leurs conditions de vie peuvent différer.
Méthode de l’Égalité
En somme, le principe de dignité peut être rapproché de ce que Jacques Rancière appelle la méthode de l’égalité. Au lieu de partir de l’inégalité comme le fait la politique de la pauvreté, il convient de partir de l’idée de l’égalité entre les êtres humains.
La politique de la pauvreté affirme une inégalité entre les individus. Elle parvient à ce résultat en objectivant les sujets à partir de leurs conditions d’existence. Alors il y a des pauvres, des chômeurs et des riches ou des non-pauvres et des travailleurs. Et les pauvres ou les chômeurs sont exclus de la prise des décisions politiques qui les concernent.
La méthode de l’égalité part du constat que tous les sujets sont égaux. Ils sont tous capables de penser, d’agir, de décider, de juger… Dès lors que fait-on de cette égalité ?
C’est précisément ce à quoi tente de répondre la politique de la dignité. La dignité affirme « ne faites rien en notre nom, nous le faisons nous-même ».
Émancipation Humaine
Pour John Holloway penser la politique à partir de la dignité des sujets consiste à construire des formes d’organisation qui permettent l’exercice de la volonté collective de ceux qui sont concernés : dispensaires ou jardins collectifs, municipalités auto-gérées, ZAD, crèches parentales, logiciels libres…
Lire un article sur la politique de l’autonomie
La politique de la dignité pourrait aussi s’appeler politique de l’autonomie (C. Castoriadis), au sens où les participants se donnent à eux-mêmes leurs propres règles, au lieu de se les voir imposer d’en haut. A ce titre, elle repose sur le dialogue et non plus sur le monologue.
La politique de la dignité suppose une critique et une réforme de la démocratie représentative telle qu’elle est exercée actuellement. Par définition, un représentant revendique d’agir au nom de ceux qu’il représente.
La représentation tend vers la création d’une sphère publique, séparée du privé. Si elle n’est pas correctement maîtrisée, la représentation tend donc vers une exclusion.
Lire aussi un article sur « l’émancipation humaine » dans la pensée de K. Marx
En revanche ce que vise la politique de la dignité, c’est une forme de démocratie qui n’exclut pas. Elle recherche des formes d’organisation qui tendent à abolir la séparation entre le politique et la vie quotidienne. Elle tente de réaliser l’émancipation humaine que K. Marx voit advenir lorsque les Hommes se réapproprient leur force sociale.
→ Sur le même thème, voir « Pouvoir social et Démocratie »
© Gilles Sarter