La Nature du Social

Aux questions de la société, de sa nature et de ses lois, Émile Durkheim considère qu’ont mal répondu les théoriciens du contractualisme (Rousseau, Hobbes) et du naturalisme (Spencer, les économistes orthodoxes). A tous, leur défaut majeur a été de vouloir déduire le social de la nature humaine et de voir la société comme un agrégat d’individus. Ils n’ont pas su comprendre la nature véritable de la société et appréhender ce qui empêche sa réduction à la somme de ses parties.

Contractualisme

Les contractualistes (Rousseau, Hobbes) considèrent que les êtres humains sont naturellement réfractaires à la vie en société. Ils ne peuvent s’y résigner que s’ils y sont contraints. Les fins de la vie sociale sont contraires aux fins individuelles. La société telle qu’elle existe fait violence aux individus par des croyances, des préjugés, des coutumes et des limites qui sont factices, artificiels et monstrueux.

Mais comment comprendre que les individus aient pu eux-mêmes élaborer une telle machine coercitive, capable d’annihiler leur liberté individuelle ? E. Durkheim voit ici une contradiction fondamentale. Selon lui, les contractualistes y répondent par l’ « artifice » du pacte ou du contrat social. Autrement dit, c’est la duperie de l’adhésion à un pacte social qui entraîne les individus à se soumettre, sans en prendre conscience, à une machine qui a pour fonction de les dominer.

Naturalisme

Les naturalistes, parmi lesquels E. Durkheim range les théoriciens du droit naturel comme Spencer et les économistes, font la même erreur que les contractualistes mais en adoptant une perspective inverse. En effet, ils postulent l’existence chez l’être humain d’un instinct de sociabilité qui le prédestine à la vie sociale. Les humains possèdent donc une inclination naturelle à la vie domestique, à la vie politique, au commerce… De cette inclination découle l’organisation de la société.

Pour E. Durkheim, la théorie qui considère qu’il faut laisser faire les forces individuelles qui s’auto-organisent est naïve. Elle minimise le rôle de la contrainte dans la vie sociale.

Des prémisses anthropologiquement raisonnables

L’opposition des postulats du contractualisme à ceux du naturalisme permet à E. Durkheim de présenter ses propres des prémisses, « anthropologiquement raisonnables ». L’être humain n’est pas enclin à faire société au point d’adhérer à ce mouvement sans contrainte. Mais, il n’y est pas non plus foncièrement opposé. Les individus n’entrent pas en société sous l’effet d’une machinerie coercitive, dissimulée par l’illusion du pacte social.

E. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Chap.V Règles relatives à l’explication des faits sociaux, 1895La participation à la vie sociale résulte plutôt du fait que l’individu se trouve en présence d’une force qui le dépasse. Il se soumet volontairement à l’autorité de cette force parce qu’il en reconnaît la supériorité intellectuelle et morale. Il comprend que l’être social est incomparablement plus riche, plus complexe, plus durable que l’être individuel.

Ce qui est important pour E. Durkheim, c’est donc l’aspect contingent de la société humaine. La formation des sociétés est progressive. Elle résulte d’une multitudes de causes naturelles. Mais la société n’est pas une chose naturelle en ce sens qu’elle serait déjà pré-inscrite dans la nature humaine. Il n’y a pas de prédisposition humaine à l’interaction, fondée sur des échanges ou des services mutuels. Et quand bien même il y en aurait une, l’interdépendance ne suffit pas pour qu’il y ait société.

Nature particulière des faits sociaux

Une société est davantage que la somme des interactions entre les membres qui la constitue. Elle est une « synthèse associative » est non pas une simple agrégation d’individus. Cette synthèse produit des effets qui appartiennent à un nouvel ordre de réalité et qui sont régis pas une causalité spécifique.

E. Durkheim explique ce phénomène en invoquant les représentations collectives et en tissant une analogie avec la chimie. En chimie, la synthèse se produit en unifiant plusieurs éléments et donc en les transformant en un élément nouveau dont les propriétés sont différentes des premiers.

De la même façon, les représentations collectives dérivent du concours des individus mais sont extérieures aux consciences individuelles. Les représentations privées deviennent sociales en se combinant sous l’effet de la force associative. En se combinant, elles deviennent des faits sociaux, des manières collectives de faire, d’agir ou de penser.

Les faits sociaux constituent un ordre de faits différents des faits purement individuels. C’est pourquoi la sociologie holiste n’explique les phénomènes sociaux, qu’en en cherchant les causes efficientes et les fonctions, parmi d’autres faits sociaux.

© Gilles Sarter

2 commentaires

Merci beaucoup pour cette synthése importante.

Merci!

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