Simmel

La sociabilité comme forme d’interaction

La sociabilité comme forme d’interaction

Georges Simmel place la notion de sociabilité au centre de sa conception relationnelle du monde social.

Une sorte de lien social pour lui-même

Dans un article de 1910, Georges Simmel introduit la notion de Geselligkeit en sociologie. La traduction de ce terme peut être rendue par « le fait d’être avec d’autres personnes agréablement ». Ce sens est proche d’un usage premier du mot français « sociabilité » qui en fait une aptitude à fréquenter agréablement ses semblables (Dictionnaire de l’Académie française, 1798).

Cette Geselligkeit – sociabilité est au centre du monde social tel que Georges Simmel le conçoit. A ce titre, la perspective qu’il adopte est strictement relationnelle. La société se construit au fil des actions réciproques que les individus établissent entre eux, en vertu d’intérêts et pour la réalisation de ces derniers.

Dans cette conception, le sociologue envisage la sociabilité comme une forme pure ou résiduelle du phénomène de socialisation. Il s’agit d’une sorte de lien social pour lui-même, au sens où il est constitué d’actions réciproques, dépourvues de toute contrainte et finalité rationnellement utilitaire : manger ensemble, s’écrire, se parler, rire…

Une vision relationnelle du monde social

A ce sujet, lire notre article sur la nature du social selon Émile DurkheimLa vision du sociologue allemand s’oppose nettement à la conception holiste de son contemporain Émile Durkheim. Pour le sociologue français, la société est plus que la simple somme des éléments qui la composent. Les associations d’individus donnent naissance à des faits sociaux  ayant des caractéristiques et des propriétés spécifiques. L’explication sociologique d’un fait social doit donc être recherchée dans d’autres faits sociaux qui le déterminent et non dans les individualités qui le composent.

Georges Simmel veut s’élever contre ce qu’il considère comme une vision réificatrice du monde social. Les phénomènes sociaux ne sont jamais que la somme de différentes formes de liaisons, entre les éléments qui les composent. Ce que le langage commun appelle « société », « État », « famille », « parti politique »… ne renvoie jamais qu’à des actions réciproques durables.

Basiquement, la vie sociale est constituée d’une infinité d’actions inter-individuelles qui nous paraissent futiles, à première vue. Les gens se parlent, s’écrivent, se jalousent, s’amusent, partagent des repas par-delà des intérêts tangibles. Ces actions relient les individus les uns aux autres. Elles les conduisent à adapter leurs comportements les uns vis-à-vis des autres. Finalement, elles exercent une puissante force ordonnatrice de la vie sociale.

La sociabilité comme forme d’interaction

Le social constitué par les actions réciproques est relativement fragile. Mais quand ces actions se stabilisent et s’établissent durablement, elles forment des cadres qui orientent la conduite des individus. Les organisations super-individuelles auxquelles nous pensons habituellement, sous les noms de « société », « famille », « Église »… ne sont pour G. Simmel que des moyens de consolider les actions réciproques quotidiennes, à l’aide de cadres durables.

Ce que nous appelons une « famille », c’est un ensemble d’individus qui sont engagés dans des actions réciproques qui entrent dans les cadres qui définissent des interactions familiales. C’est pourquoi un repas de famille, n’est pas la même chose qu’un repas professionnel ou que le repas annuel d’une association…

Dans la perspective de Georges Simmel, la notion de sociabilité a deux valeurs. D’une part, elle permet de rendre compte de l’existence de formes d’actions réciproques qui à première vue nous paraissent anodines. Alors qu’en réalité, ces actions jouent un rôle central dans l’ordonnance du monde social.

D’autre part, la notion de sociabilité sert à Georges Simmel pour illustrer l’idée que les formes sociales ne sont pas des objets figés mais des processus qui découlent d’interactions entre individus. La spécificité de la sociologie devrait selon lui consister à analyser les modalités dans lesquelles se nouent ces actions réciproques.

© Gilles Sarter

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