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Qu’est-ce que le fascisme?

Qu’est-ce que le fascisme?

Fascisme est une appellation qui, dans le langage politique courant, tend à devenir toujours plus générique. Elle est souvent utilisée comme synonyme d’extrême-droite, de réaction, de conservatisme, d’autoritarisme, de racisme, de nationalisme, etc.

Pourtant, le mot « fascisme » fait référence à une expérience historique bien précise, celle du régime mussolinien (1922-1945). Aussi, on ne peut aujourd’hui qualifier un mouvement ou un parti politique comme fasciste, néo-fascite ou encore post-fasciste, sans mettre au jour des liens affinitaires avec l’expérience italienne originelle. Pour ce faire, encore faut-il pouvoir caractériser cette expérience avec suffisamment de précision. C’est ce que tente de faire l’historien Emilio Gentile, en étudiant le fascisme historique à l’aide des concepts de totalitarisme et de religion politique.

Totalitarisme

Les expériences historiques totalitaires, advenues au 20ème siècle, sont caractérisées par des composantes qui s’articulent logiquement et chronologiquement : un mouvement révolutionnaire et un parti à la discipline militaire, le monopole du pouvoir, la conquête de la société, une idéologie qui se propose la « régénération » ou la « création d’un être humain nouveau », des ambitions expansionnistes.

L’objectif principal du totalitarisme est de conquérir la totalité de la société. Il s’agit de subordonner, intégrer et homogénéiser les individus dont l’existence est considérée comme intégralement politique. La politique est elle-même sacralisée et raccordée à une idéologie palingénésique.

L’interprétation que E. Gentile donne du totalitarisme se distingue des théories qui sont élaborée principalement autour du concept institutionnel de « régime politique totalitaire ». Pour lui, le totalitarisme est plutôt une expérience continue de domination politique. L’expérience totalitaire gagne donc à être abordée selon une perspective dynamique.

Considéré d’un point de vue strictement historique, le totalitarisme est toujours un processus. Il ne peut être une forme complète et définitive. En effet, l’intégration totalitaire de la société dans l’État ou le parti ne peut jamais être définitive. Elle achoppe toujours sur diverses limites ou résistances qu’elle doit tenter de dépasser ou de combattre temps après temps.

Définir le fascisme comme totalitarisme ne signifie donc pas affirmer qu’il fut une réalisation pleine et entière du totalitarisme, ni qu’il fut totalitaire de la même manière que le furent le bolchevisme ou le national-socialisme. Mais le fascisme n’en a pas moins été la « voie italienne vers le totalitarisme »

Religion politique

La sacralisation du politique a été un aspect fondamental du fascisme dès son origine et a joué un rôle de plus en plus important tout au long de son développement.

Pour élaborer le concept de religion politique, E. Gentile s’appuie sur une définition de la religion comme système de croyances, de rites et de symboles qui interprètent le sens de l’existence humaine (individuellement et collectivement) en la subordonnant à une entité suprême. Cette définition ne coïncide pas nécessairement avec la catégorie de « dieu ». En revanche, elle correspond à une interprétation de la religion comme expression d’une dimension sacrée de l’expérience humaine.

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En suivant une telle définition, il paraît possible d’utiliser le terme religion pour définir des expériences politiques. La religion politique constitue une forme de religion qui déifie et sacralise une ou des entités séculières (une idéologie, un mouvement, un parti, un régime…). Cette entité se voit alors conférer le statut de source originelle et indiscutable du sens et de la fin de l’existence humaine.

La religion politique n’accepte pas la coexistence avec d’autres idéologies ou d’autres mouvements politiques. Vis-à-vis des institutions religieuses traditionnelles, elle adopte un comportement destructeur ou tente de les incorporer au sein de son propre système de rites et de croyances. Elle sanctifie la violence comme action légitime à l’égard de ses ennemis et comme instrument de régénération collective.

Les individus sont soumis à la stricte observance des commandements et du culte politique. Cette stricte observance a pour objectif d’affirmer la primauté de la communauté sur l’autonomie individuelle. Ainsi défini, le concept de religion politique ne concerne pas seulement les croyances et les rites mais aussi les aspects fondamentaux du totalitarisme (conquête du pouvoir, homogénéisation des individus et révolution anthropologique, visées expansionnistes).

Fascisme

Les concepts de « totalitarisme » et de « religion politique » tels que E. Gentile les définit forment les deux des piliers de son interprétation du phénomène fasciste. Il les utilisent pour comprendre les évènements historiques concrets de l’expérience fasciste en Italie mais aussi pour établir une définition théorique du fascisme qui soit fidèle à sa réalité historique. Cette définition tente de mettre en évidence les liens chronologiques mais surtout logiques qui unissent les dimensions organisationnelle, culturelle et institutionnelle du fascisme.

En dix points, le fascisme serait donc :

1- Un mouvement de masse qui agrège les classes mais dont les cadres dirigeants et les militants sont principalement issus des classes moyennes. Ces militants sont organisés dans un parti-milice qui cherche à conquérir le monopole du pouvoir. Sa stratégie de conquête repose sur l’utilisation de la terreur (il se considère en état de guerre avec ses adversaires) et sur la recherche de compromis parlementaires avec les groupes dirigeants. Le parti fasciste se considère comme investi d’une mission de régénération sociale et de renouveau de l’être humain. Pour mener à bien cette mission, il veut bâtir un nouveau régime sur les décombres de la démocratie parlementaire.

2- Une idéologie qui se veut pragmatique, anti-matérialiste, anti-individualiste, anti-libérale, antidémocratique, anti-marxiste et à tendance anti-capitaliste. Cette idéologie s’exprime de manière esthétique plutôt que théorique, en usant de mythes, rites et symboles d’une religion laïque. Cette religion laïque s’érige à partir d’un processus d’acculturation et d’intégration des masses dans la création d’un « homme nouveau ».

3- Une culture fondée sur une conception de la vie comme manifestation de la volonté de puissance, sur le mythe de la jeunesse construisant l’histoire et sur la militarisation comme modèle de vie et d’organisation sociale.

4- Une conception de la politique comme expérience intégrale permettant de réaliser la fusion des individus en une unité organique. La nation organique est une communauté ethnique et morale qui adopte des mesures de discrimination et de persécution contre ceux qui sont hors de la communauté (ennemis du régime, « races inférieures » ou dangereuses pour l’intégrité de la nation).

5- Une éthique qui prêche la virilité, l’esprit guerrier, le sacrifice et le don de soi, à la communauté nationale. Elle prône aussi la discipline, l’obéissance et la fidélité inconditionnelle à la volonté de puissance d’une minorité d’élus. Les fascistes proclament de manière franche leur mépris pour la liberté, le bonheur et l’égalité.

6- Un parti unique chargé de la défense armée du régime, de la sélection des dirigeants, de l’organisation des masses, sous la forme d’une mobilisation permanente par l’émotion et par la foi. Avant même la conquête du pouvoir en Italie, le Parti National Fasciste présentait déjà les caractéristiques d’un «parti militaire ».

7- Un appareil policier qui prévient, contrôle et réprime la contestation et l’opposition, en recourant à la terreur organisée.

8- Un système politique que E. Gentile propose de définir par l’expression césarisme totalitaire. C’est donc une dictature charismatique d’un « chef » qui dirige à la fois les activités du parti et du régime. Mais ce césarisme possède en plus la particularité d’être intégré dans une structure organisationnelle étatique fidèle à un mythe totalitaire. Le fascisme comme expérience de domination politique n’est donc pas une dégénération ou une déformation fortuite du pouvoir dictatorial. Sans l’existence et le comportement du parti unique et d’une mobilisation de masse, c’est-à-dire sans l’organisation fasciste, le mythe du Duce et sa figure ne seraient pas compréhensibles.

9- Une organisation corporatiste de l’économie, qui supprime la liberté syndicale, qui préserve la propriété privée et la division en classes. Il s’agit de réaliser la pleine collaboration des « classes productives » sous le contrôle de l’État.

10- Une politique extérieure fondée sur le mythe de la grandeur et de la primauté absolue de la nation, sur une vocation belliqueuse et un objectif d’expansion impérialiste qui lancent en permanence L’État fasciste dans de nouvelles guerres.

Gilles Sarter

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Publié par secession dans sociologie de l'état, 1 commentaire