Garcia Calvo

L’État comme Mensonge Réalisé

L’État comme Mensonge Réalisé

L’idée d’État est une idée mensongère, écrit Agustin Garcia Calvo. L’idée est mensongère signifie qu’elle renferme en soi une contradiction qui est dissimulée par une apparence d’unité. Cette contradiction qui est cachée, c’est la confusion entre le peuple et le Gouvernement. Cette confusion confère à l’idée d’État un pouvoir effectif dans l’organisation du monde. C’est pourquoi, le philosophe l’appelle « mensonge réalisé ».

Les États ou l’État

Agustin Garcia Calvo, Qu’est-ce que L’État?, Atelier de création libertaireLa dimension mensongère de l’idée d’État se révèle lorsque nous examinons les deux grandes catégories d’usage de ce terme. D’un côté, nous parlons des États français, vietnamien, sénégalais en tant que créations sociales et historiques. D’un autre côté, nous évoquons souvent « l’État », au singulier. Dans ce registre, nous parlons de la « raison d’État », de « crime d’État », de « secret d’État », d’ « appareil d’État » ou encore du « service de l’État »…

Selon que nous nous situons dans l’une ou l’autre de ces deux grandes catégories d’usage, le mot « État » ne dit pas la même chose. Dans le premier cas, il fait référence à quelque chose comme un « pays » ou une « nation » dont il devient une sorte de définition politique. Dans le deuxième cas, l’État forme une notion plus vague mais qui est liée aux idées de Gouvernement, de Pouvoir et d’administration.

Le peuple et le Gouvernement

En fait, il n’y a rien de particulièrement surprenant dans le fait qu’un mot possède deux valeurs d’usage différentes. En revanche, ce qui est remarquable c’est le succès avec lequel l’ambiguïté des deux valeurs du mot « État » est dissimulée et entretenue. Ainsi, lorsqu’on nous parle des mesures prises par l’État français ou du budget de l’État ou encore quand on nous dit que l’État « ne peut pas payer pour tout », nous ne savons jamais très clairement si on nous parle du Gouvernement ou du pays où vivent la majorité des Français.

Ce qui se passe c’est que l’idée d’État est établie, dans nos esprits, comme un compromis entre une idée clairement définie, celle de Gouvernement et une notion plus vague qui fait allusion au « peuple » ou aux « gens ». Or ces deux choses sont en réalité opposées. Comme chacun sait, le Gouvernement s’établit en dominant de multiples façons le « peuple » ou les « gens ». Et quand le peuple tente de se définir de manière spontanée, il le fait souvent négativement, comme étant ce qui n’est pas le Gouvernement ou les « gouvernants ».

L’État démocratique comme mensonge

En réussissant à confondre, avec un grand succès, les notions contraires de « Gouvernement » ou de « Pouvoir » avec celle de « peuple », l’idée d’État se transforme en une arme puissante. Elle enferme le peuple dans la confusion et dans l’identification avec ce qui le gouverne. Elle empêche ainsi la formation de tout sentiment clair d’opposition.

Avec l’idée d’« État démocratique », la culmination logique de ce processus est atteinte. Le mot « démocratie » est construit en fusionnant les idées de peuple et de pouvoir. Il fait du Gouvernement et des gouvernés une seule et même chose. Cette confusion est justement celle qui définit la constitution de l’État comme mensonge réalisé.

A notre époque, l’idée d’État circule et domine, dans la société, comme quelque chose de neutre, voire de purement technique. Les défenseurs de n’importe quelle idéologie politique peuvent l’utiliser. L’existence de l’État ne fait pas question. Seule semble compter sa couleur politique.

Le pouvoir et sa justification

Il n’y a pas de Pouvoir sans justification. Celle-ci est d’autant plus efficace et puissante qu’elle est plus abstraite et, par conséquent, plus difficile à dénoncer et plus facile à dissimuler. Cette justification atteint le comble de la réussite quand il n’est même plus nécessaire de l’énoncer parce qu’elle est déjà ce que tout le monde sait.

La justification comme idée mensongère est la force et le fondement de la réalité politique. Mais, elle en est aussi la faiblesse. Les idées justificatrices peuvent finir par être prises au mot. De l’idée de « pouvoir du peuple » peut finir par émerger quelque chose d’efficace contre le Gouvernement du peuple.

Gilles Sarter

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