Les mots « populisme » et « populiste » sont largement utilisés, dans les médias et dans les débats publics, pour porter une accusation contre une manière jugée inacceptable de pratiquer l’activité politique.
Des projets disparates
Au plus simple, le substantif et le qualificatif renvoient aux programmes politiques qui défendent l’idée de rendre le pouvoir au peuple. Mais, dans la réalité de leurs usages, ils ne font jamais référence à une forme d’organisation de la société (contrairement aux mots libéralisme, socialisme ou fascisme, par exemple), ni à un mode de gouvernement spécifique.
Au contraire même, le qualificatif « populiste » est accolé à des projets forts disparates qui peuvent être de nature souverainiste, nationaliste, identitariste, autoritariste, séparatiste mais aussi anti-productiviste, écologiste, anti-capitaliste, municipaliste, révolutionnaire…
Par ailleurs, le discours sur la « montée du populisme » s’appuie sur les résultats électoraux des partis qualifiés de « populistes ». Cette argumentation oublie que le vote est surtout une expression circonstancielle qui n’équivaut pas forcément à une adhésion à des thèses politiques.
Albert Ogien soutient que cette confusion dans l’attribution du qualificatif « populiste » et cette més-analyse des résultats électoraux est liée à l’embarras des « élites » de pouvoir et des milieux qui les soutiennent, face à un constat. Les explications qu’elles fournissent sur l’état du monde ne rencontrent plus l’adhésion de ceux qu’elles sont censées convaincre.
La tendance à voir du populisme partout et à y déceler un état pathologique des « sociétés démocratiques » résulterait, selon Albert Ogien, d’une remise en cause de la légitimité des pouvoirs en place, qui elle-même serait alimentée par un accroissement de l’autonomie de jugement des individus.
Un point commun
Pour étayer son hypothèse, le sociologue répertorie les principaux arguments discursifs auxquels est accolé l’adjectif « populiste » : critique des politiques d’austérité ; contestation des « élites » de pouvoir ; refus d’abandonner une souveraineté nationale qui serait garante du droit de contrôle des citoyens sur les décisions politiques ; haine de l’autre, de l’étranger ; identitarisme et isolationnisme, vis-à-vis de l’ordre mondialisé ; remise en cause des principes de l’État de droit ; réhabilitation de l’autorité et exaltation des traditions ; défense d’un autre modèle d’organisation économique ; volonté de mettre en place des politiques qui satisfont les attentes de la population, plutôt que les aspirations de l’oligarchie.
Albert Ogien, Oublier le populisme, Revue européenne des sciences sociales, 2020/2
Pour Albert Ogien, le point commun entre ces différents arguments est qu’ils entrent tous en opposition avec un élément ou un autre du consensus sur lequel s’est construit le modèle des sociétés « démocratiques », depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Ce consensus est établi sur la prescription du respect des droits humains, sur l’égalité entre les ressortissants d’un même État, sur un fonctionnement impartial des institutions publiques, sur une obligation de solidarité, sur la défense de la propriété privée, sur la défense de l’économie de marché, sur le paradigme de la croissance économique et de la productivité.
Dans le cadre de ce statu quo idéologique, parfois appelé « cercle de la raison », « pensée unique » ou « politiquement correct », sont qualifiés de « populistes » les projets qui s’inscrivent dans la rupture avec ce modèle. Cette qualification permet de les dénoncer comme des dangers pour la liberté, l’égalité, la cohésion sociale, l’humanisme ou encore le développement économique.
Fonctions du mot « populisme »
L’usage du mot « populisme » servirait donc, avant tout, à inspirer à l’électorat une peur des discours qui prônent une rupture radicale, avec le cours habituel des choses. Ce faisant, il plonge le jugement politique dans une grande confusion car, comme nous l’avons vu, il rassemble sous une même étiquette des projets très disparates, voire antagonistes.
Ainsi les mouvements sociaux et politiques qui naissent d’une demande de radicalisation de la démocratie, de l’opposition aux politiques d’austérité, de la dénonciation de la domination de la finance, de la contestation des différentes modalités d’oppression ou encore de la volonté d’exercer un contrôle sur les élus sont qualifiés de populistes, par les pouvoirs en place.
Finalement, Albert Ogien en conclut que la disqualification par l’usage du terme « populisme » vise, surtout à renforcer l’idée que l’activité politique est le monopole des « sachants ». Les individus ordinaires ayant vocation à se soumettre aux prescriptions de ces derniers.
Elle reconduit aussi une image dégradante du « peuple », de ses conceptions de la politique, de la démocratie et de ses jugements sur la manière dont il est gouverné.
Toujours dans la même perspective, le mot « populisme » permet de négliger, d’un seul tenant, l’ensemble des jugements sur les orientations politiques qui s’expriment en dehors des formes et canaux institués de la démocratie représentative.
Enfin, en entretenant la confusion, il empêche d’examiner et de débattre les projets politiques réunis sous une même étiquette, à partir des visées concrètes et différentes qu’ils poursuivent.
Gilles Sarter
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