les contraintes sociales en sociologie critique

Contraintes sociales comment les expliquer?

Les contraintes sociales orientent notre vie quotidienne. L'un des enjeux de la sociologie consiste à rompre avec les opinions et les idées reçues, qui circulent à leur sujet.

En effet, ces dernières tendent souvent à masquer la nature réelle des contraintes et à y substituer des pseudo-explications métaphysiques . Trois questions simples permettent de déjouer ces fausses explications.

Des forces contraignantes mais abstraites

De nombreux noms servent à désigner des phénomènes qui semblent peser sur nous tels des contraintes :

le marché - l'économie - la mondialisation - la libre concurrence - l’État - la nation - la France - le libre échange - la numérisation - la robotisation - l'Islam - la religion - le sous-développement - la communauté internationale - la finance - la société - l'école - l'Europe - la crise - etc.

Ces mots font partie de notre langage quotidien, de celui des médias et des politiciens. Malheureusement, leur usage donne souvent l'impression qu'ils désignent des entités indépendantes, par exemple:  la robotisation des usines est responsable du chômage des ouvriers; la mondialisation de l'économie agro-alimentaire ruine les petits paysans; l’État n'a pas à tout payer...

Autant de phrases qui sonnent comme si les contraintes exercées sur les gens l'étaient par des forces abstraites.

Norbert Elias, Qu'est-ce que la sociologie?, Agora, Pocket.

Ces pseudo-explications relèvent de ce que Norbert Elias appelle la pensée métaphysique. Elles ont pour conséquence de masquer la réalité humaine et sociale des phénomènes qu'elles prétendent expliquer. La robotisation n'est pas responsable du chômage des ouvriers. Mais les personnes qui ont décidé d'implanter des robots dans les usines le sont.

La force apparente des contraintes

Norbert Elias explique pourquoi nous adhérons facilement à ces pseudo-explications métaphysiques. Les formations sociales (l’économie, l'Europe, le marché...) sont constituées d'individus en interrelations. Nous sommes nous-mêmes reliés à ces réseaux de personnes et il en résulte que des contraintes pèsent sur nous.

Parfois, ces contraintes s'appliquent avec une telle force qu'il nous semble impossible de pouvoir y résister. Souvent, elles résultent d'actions ou de décisions de personnes qui sont très éloignées de notre propre position, dans le réseau social concerné.

Dans ces circonstances, nous avons tendance à croire que ces contraintes échappent à l'emprise humaine et nous les attribuons à des entités métaphysiques.

Comme l'explique l'anthropologue David Graeber, attribuer des objectifs et des intérêts à la France relève de la métaphysique. Si le roi de France avait des objectifs et des intérêts, en revanche la France n'en a pas. Par contre, il nous semble réaliste de croire qu'elle en a. En effet, les personnes qui la gouvernent ont des pouvoirs bien concrets. Ils peuvent, aux noms des intérêts nationaux, lever des armées, bombarder des villes ou réprimer des manifestants. Et ce serait folie d'ignorer ces différentes possibilités.

3 questions sur les contraintes sociales

La pensée métaphysique nous empêche de comprendre clairement les contraintes sociales qui pèsent sur nous. Adopter un questionnement sociologique constitue le meilleur moyen de la briser en esprit.

C'est pourquoi, face à une pseudo-explication métaphysique, il convient de se demander ou demander à celui qui la soutient :

Quels sont les réseaux de personnes engagées dans les contraintes sociales considérées ?

Vous me dites que les salaires sont fixés par les contraintes qu'exerce le marché du travail. Vous prétendez que le marché a ses propres lois auxquelles nous ne pouvons pas nous opposer. Reprenons plutôt le problème à la racine. Qui sont tous les acteurs impliqués dans ce phénomène social que vous appelez "marché du travail" ? De quelles façons interagissent-ils ? Qui fait quoi ? Qui négocie avec qui ? Qui fixe les limites ? De quels moyens de coercition, de quelles informations disposent ces personnes pour faire peser la décision en leur faveur ?...

Quelle est ma propre position dans ces réseaux ?

La mondialisation est responsable de la ruine des petits paysans. Voyons voir ! Quelle est ma place dans ce réseau d'êtres humains qui constitue la contrainte appelée mondialisation ? Qu'est-ce que je consomme ? Qu'est-ce que j'aime ? Où est-ce que je m'approvisionne ? D'où ces produits proviennent-ils ? Qu'est-ce que je suis prêt à abandonner ?...

Quels sont les intérêts ou les responsabilités masqués par les abstractions métaphysiques ?

Henry Kissinger qui fut Secrétaire d’État sous Nixon a déclaré un jour que "la mondialisation n'est que le nouveau nom de la politique hégémonique américaine." C'était déjà fournir un élément à l'encontre de la pensée métaphysique que de le dire ainsi. Bien sûr, si vous aviez été présents à ce moment là, vous l'auriez certainement interpellé en ces termes : "Monsieur, quel est exactement le réseau de personnes à qui profite toutes ces contraintes que vous rassemblez sous le nom de "politique hégémonique américaine" ?"

Garder ces 3 questions à l'esprit

Le sexisme n'est pas responsable des inégalités salariales entre femmes et hommes. Le sous-développement n'est pas responsable de la misère des gens en Afrique. La pollution atmosphérique n'est pas responsable du réchauffement climatique.

Chacune des pseudo-entités invoquées occulte la réalité qui est constituée d'êtres humains qui interagissent.

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Ces personnes peuvent avoir des intérêts à agir comme elles le font. Elles peuvent vouloir dissimuler ces intérêts pour pouvoir continuer à tirer profit de leurs actions. Il est aussi possible qu'elles tentent de se masquer à elles-mêmes leur part de responsabilité, en invoquant l'action de forces abstraites. Il est même possible que nous fassions partie de ces gens.

Garder ces trois questions à l'esprit. S'exercer à les poser le plus souvent possible. Et ainsi, ramener ces contraintes qui pèsent sur nous à leur véritable nature qui est sociale.

© Gilles Sarter


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4 commentaires

Je comprends votre démarche et les motivations qui la sous tendent. Pourtant mes propres recherches m’ont conduit à une autre approche qui procède aussi d’une logique valide et possède une certaine fécondité explicative. On peut considérer les concepts métaphysiques que vous décrivez comme des entités bien réelles à condition de définir l’espace dans lesquelles elles évoluent comme une dimension informationnelle. Prises comme des acteurs, elles se reproduisent dans cet espace par la captation de la ressource vaste mais néanmoins limitée qu’il contient: le temps d’activité des esprits humains. La France ne possède pas plus ou moins de volonté intrinsèque que l’esprit du roi de France: ce dernier est lui même le théâtre complexe de compétitions entre des sous ensembles cognitifs qui in fine coderont ou non ses comportements effectifs. Ce n’est que par réduction à une idée synthétique « le roi » que ce champ mouvant, probabiliste et contradictoire peut apparaître comme un « acteur » effectuant des « choix ». Et il en est de même pour la France, le Marché ou autre, tout n’est qu’une question de point de vue, et ce n’est que le rapport d’échelle informationnel entre « moi-observateur » et « ceci-observé » qui tend à nous le faire considérer comme une chose-en-soi transcendante (le Roi) plutôt que comme un champ de sous-ensembles immanent (l’ego du roi, le devoir du roi, l’affection du roi pour son ministre, etc)

Votre approche est tout à fait passionnante. Et j’adhère complètement à l’idée de la déconstruction de la métaphysique de l’individu pris comme « une chose en soi transcendante ». J’aimerais en savoir plus sur la manière dont vous délimitez et analysez la dynamique de ce que vous appelez une « dimension informationnelle ». Et je suis aussi curieux de savoir comment vous traduisez le résultat de vos analyses sur le plan de l’action politique ou sociale.

Une dimension est, je dirais, définie comme l’accumulation linéaire infinie de valeurs entre deux tendances vers des absolus abstraits et donc par construction inatteignables, illimitées dans leur extension et ce par rapport à un référent donné. Par exemple il existe un « haut » allant indéfiniment vers les galaxies les plus lointaines et au delà et un « bas » allant indéfiniment aussi vers les galaxies les plus lointaines (et au delà) MAIS passant par le centre de la Terre car le point de référence est moi, debout sur la Terre, et que l’information de référence dans la définition de cette dimension est le sens de l’attraction gravitationnelle terrestre. C’est là que nous voyons dans cet exemple l’interaction fondamentale entre les dimensions classiques et la dimension informationnelle.

Cependant, une dimension informationnelle est dure à définir. Je ne suis même pas sûr que « informationnelle » soit le bon mot, il faudrait faire tout un travail de définition.
L’information, c’est ce qui « occupe » les autres dimensions. Une « longueur » et « un temps » n’ont aucun sens ni aucune consistance en eux-mêmes, ils n’ont de valeur que parce qu’ils correspondent à des modalité de circulation de l’information, et l’information n’a pas non plus de valeur en elle-même car elle ne fait qu’informer des sous-systèmes informationnels. Par contre le fait qu’il existe des sous-systèmes (ex: un atome) par rapport à des sur-systèmes (ex: une molécule), fonde bien un axe d’un point de vue logique. Donc une dimension. Bien sûr à notre échelle il est plus difficile d’évaluer ce qui tient du « sur » et du « sous » informationnel, mais en définissant un référentiel il est toujours possible de composer et décomposer selon cet axe, comme nous l’avons fait avec l’exemple du Roi.

Bien sûr ce n’est là qu’une ébauche de présentation, il y a tout un travail de formalisation à faire.

Les développements sur le plan de l’action politique et sociale offrent bien des perspectives mais l’heure est (très !) tardive au moment où j’écris ces lignes ce sera pour une autre fois !

Quand il s’agit de nom commun, disons substantivés, et donc pris comme essence…on peut considérer que ce sont des obstacles verbaux, pour reprendre l’idée de Bachelard…et alors dans la vie quotidienne et pour un dégré de connaissance empirique préférer notamment en économie et sociologie voire philosophie éthique des relations intersubjectives ou inter-personnelles seules susceptibles d’intentions. Mais si ce vocabulaire de base et spontanément idéologique et travaillé et devient un ensemble de concept et pas seulement des mots, de relations et non de substance il faut alors concevoir qu’ils ont un essence en tant que relation substantielle comme l’attraction universelle ou le champ magnétique ou l’accélération comme grandeur vectorielle et physique ou disons comme réalisme objectif donc à la fois empirique et théoriquement spéculatifs. Ainsi je crois que le marché, la production, la circulation du capital peut donner lieu et c’est le cas chez Marx et cela après la juste critique du fétichisme d la marchandise, à une conception qui montre objectivement à l’inverse que les relations économiques et sociales ne sont pas purement conventionnelle/intentionnelle voire seulement institutionnelle en ne distinguant par exemple, l’institution de l’organisation, mais au contraire que comme les lois d’airains de la nature elles font des individus intervenants sur le marché comme en politique ou en Conseils Economiques Sociaux l’expression des rapports de classe et donc même la réification/expression même de leur classe. Il y a donc un réalisme disons ou essentialisme matérialiste des relations ou rapports sociaux, d’ailleurs rapport plutôt que relation, car les relations sont en effet de l’ordre de la convention inter-intentionnelles. Pour autant, on n’est pas contraint d’en faire des rapports capitalistes des Choses ou des faits traités comme tels ayant une intention. Mais ils ont tout de même une productivité ou étiologie ou fonction-structurelle ce qui est en effet une sorte de finalité interne circonscrite par un ensemble de concept en leur domaine de stricte définition. Mais c’est aussi le cas en médecine de la fonction vitale ou organique, cardiaque, respiratoire ou même plus précisément neuronale des synapses etc…

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